Pour les jeunes, l’inquiétant bond en arrière des contrats d’apprentissage
Avec la conjoncture économique atone, l’incertitude politique et budgétaire, et la baisse des aides de l’Etat, les entreprises freinent les embauches combinant travail en entreprise et enseignement, lesquelles avaient fortement augmenté depuis la crise sanitaire.

De la cybersécurité à la comptabilité en passant par la soudure, les recherches de contrats d’alternance des étudiants sont longues et solitaires. « Plus de 300 tentatives, et toujours rien. Pas un seul échange avec un DRH pour défendre ma motivation. Le temps passe et garder le moral devient compliqué, résume Antoine, étudiant en finance à Cergy. Sans alternance, je devrai arrêter mon master en fin d’année, car mon université ne prévoit pas de retour en formation initiale. Mais le pire, c’est que 18 des 24 étudiants de ma promotion sont dans la même situation ! »
Même constat au goût amer pour Charly Arretche, étudiant en école de commerce à La Rochelle. Après avoir échoué, à la rentrée 2024, à trouver une entreprise pour terminer son master en alternance, il avait décidé de reporter son année d’alternance d’un an et de retenter sa chance en 2025. Après des mois de candidature, l’impasse demeure. « C’est juste honteux de se retrouver dans cette situation », dénonce-t-il.
Ces deux étudiants ne sont pas les seuls à désespérer, à l’approche de la date limite pour commencer une formation en apprentissage. Dans un appel à témoignage lancé par Le Monde, ils sont nombreux à énumérer les multiples candidatures déposées pendant des mois, par centaines voire milliers, pour seulement quelques retours, la plupart du temps négatifs. Des exemples qui confirment les prévisions alarmistes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). « L’emploi en alternance, pour lequel l’essentiel des embauches a lieu en septembre, se retournera d’ici à la fin de l’année avec 65 000 postes d’alternants détruits en six mois », expliquait l’Insee dans sa note de conjoncture, publiée le 11 septembre.
La fin d’un « âge d’or »
C’est la fin de l’« âge d’or » des contrats d’apprentissage, ce système combinant immersion en entreprise et enseignement, qui avait vu leur nombre exploser depuis la crise sanitaire, en passant de 295 000 en 2017 à 879 000 en 2024, avec l’objectif, fixé par le président de la République, Emmanuel Macron, d’atteindre 1 million d’apprentis en 2027.
Avec l’atonie de l’activité économique, sur fond d’incertitude politique et budgétaire, les entreprises freinent les investissements et les embauches. D’autant plus facilement que les aides avantageuses de l’Etat, qui avaient porté le succès de l’apprentissage, ont fortement diminué avec les coupes budgétaires. Après une première baisse en 2024, elles ont été ramenées, en 2025, à 2 000 euros par apprenti pour les entreprises de plus de 250 salariés et à 5 000 euros pour celles de moins de 250 salariés, contre 6 000 euros dans les deux cas en 2024.
A ces enveloppes moins généreuses s’ajoute une réforme du financement de l’apprentissage – lancée au printemps – visant à économiser entre 400 millions et 500 millions d’euros (sur un coût estimé des aides à l’apprentissage entre 13 milliards et 16 milliards d’euros par an). Un reste à charge de 750 euros a notamment été mis en place en juillet pour les entreprises embauchant un apprenti de niveau bac + 3 ou plus. Et ce n’est pas fini, les crédits de l’apprentissage risquant encore de diminuer dans le projet de budget pour 2026.
Les résultats des premiers coups de rabot n’ont pas tardé : après s’être relativement maintenues depuis janvier, les offres d’alternance chutent. A la fin juillet, 141 600 contrats avaient été enclenchés depuis le début de l’année, soit une baisse de 2,7 % sur un an, selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail. Même constat du côté des sites d’offres d’emploi. Sur JobTeaser, les propositions des entreprises ont plongé de 18 % entre mars et septembre alors que les candidatures ont bondi de 22 %. Du côté de l’agrégateur d’offres Indeed, les propositions d’alternance « décrochent depuis juillet », avec une chute de 29 % par rapport à juillet 2024.
« Aussi chers que les salariés »
Toutefois, le recul de l’apprentissage n’est pas uniforme. Il est moins marqué pour les grandes entreprises malgré la forte baisse des aides de l’Etat. Et ce pour deux raisons : leurs programmes de recrutement ont souvent été décidés avant les mesures d’économies, et elles ont plus facilement les moyens que les petites structures de poursuivre l’apprentissage, considéré avant tout comme un investissement pour l’avenir.
Chez Axa, par exemple, où 800 alternants sont recrutés chaque année, 700 étudiants ont déjà signé leur contrat en 2025 et des recrutements restent en cours. Même chose pour Sodexo France. « Nous avons décidé de garder nos engagements en termes de recrutement d’alternants. Nous avons diffusé plus de 400 offres et nous accueillons, pour cette rentrée, 327 alternants, contre 340 en 2024 et 391 en 2023 », précise le groupe.
La situation est plus critique pour les petites et moyennes entreprises (PME). Sur JobTeaser, le nombre d’offres publiées par les PME s’est écroulé de 80 %, contre seulement 9 % pour les grands groupes. Si les entreprises de moins de 250 salariés ont conservé un niveau d’aides conséquent, celles-ci sont désormais insuffisantes aux yeux de certains dirigeants, à l’heure où la conjoncture se durcit.
« Sachant qu’ils sont débutants et absents de l’entreprise 30 % du temps, les alternants deviennent aussi chers que les salariés, fait valoir Thomas Ratier, dirigeant d’une entreprise de sellerie marine (sept salariés) à La Ciotat (Bouches-du-Rhône). Nous en recrutons tous les ans depuis une dizaine d’années mais, là, ça devient difficile, d’autant que, depuis mars, les charges patronales ont aussi augmenté pour les apprentis. »
L’évolution de l’alternance diffère également selon les secteurs d’activité. D’après JobTeaser, le recours à l’apprentissage recule dans les transports ou l’industrie, mais résiste dans la construction ou la banque. La tendance reste positive dans le commerce puisque « 57 000 contrats ont déjà été signés, contre 53 000 au même moment l’année dernière », assure Véronique Allais, présidente de l’Opcommerce, l’opérateur de compétences du commerce, qui contribue au financement des contrats d’apprentissage dans le secteur.
Même chose au sein de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), un centre de formation (CFA), surtout pour des métiers manuels en tension (technicien de maintenance, électricien, couvreur…) : 2025 sera une année du record. « Nous visons 6 000 apprentis à la fin de l’année, contre 3 500 l’an dernier. Fin août, nous en comptions déjà 4 200. Il y a une incertitude sur les aides, mais les besoins sont bien là pour les premiers niveaux de qualification », exprime Thomas Delourmel, le directeur général délégué.
Espoirs déçus et inquiétude
L’inquiétude est bien plus forte au sein de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), qui se concentre sur les jeunes de niveau bac + 3 et plus, qui avaient particulièrement bénéficié de l’effet d’aubaine lié aux aides. Pour eux, le nombre d’offres a diminué de 20 % au deuxième trimestre par rapport à la même période de 2024. « Il va y avoir un retournement entre le nombre de candidats, de formations et les besoins réels des entreprises », juge Eric Gras, spécialiste du marché de l’emploi chez Indeed. Une équation compliquée qui laisse présager de grandes difficultés pour certaines écoles qui n’arrivent plus à remplir les promotions.
Les difficultés se retrouvent même dans les secteurs en tension. Technicienne en BTS dans l’industrie aéronautique, Eden, 20 ans, a répondu à 113 annonces avant d’être acceptée : « Bouche-à-oreille, salons, réseaux sociaux… On a tout fait, c’est même devenu une compétition entre élèves. Cette annonce ne me plaisait pas, mais mon professeur référent m’a dit de foncer, car je n’aurais rien d’autre. En fait, il y a beaucoup de BTS en alternance et pas beaucoup d’entreprises dans le secteur. »
Devant cet échec, plusieurs possibilités s’offrent aux étudiants : abandonner leur cursus, car ils ne peuvent assurer seuls les frais de scolarité ou reporter d’un an leur parcours en alternance et occuper cette année scolaire entre jobs alimentaires et stages. Pour payer leur logement, d’autres envisagent de se rediriger définitivement vers l’intérim.
Ces histoires marquent souvent des espoirs déçus et de grandes inquiétudes envers l’avenir. « On ressent une angoisse grandissante, dans un contexte où la précarité des jeunes était déjà en train d’exploser, alerte Florian Joufflineau, responsable du pôle étudiant d’Article 1, une association qui soutient l’insertion des jeunes gens de milieux populaires.Ce soutien permettait aux jeunes l’accès à des filières et des diplômes auxquels ils n’avaient pas forcément accès. On craint que beaucoup de jeunes lâchent les études. »
[Source: Le Monde]