Au Maroc, les manifestants appellent à la démission du premier ministre
« Nous avons presque totalement perdu confiance dans les gouvernements successifs », déclarait sur le réseau social Discord, jeudi 2 octobre, le collectif Gen Z 212, à l’origine de la mobilisation qui secoue le pays depuis samedi.

De la casse, des feux, des tirs et, au bout, les premiers morts. Deux jeunes ont été tués par la gendarmerie, mercredi 1er octobre au soir, dans la ville de Leqliaâ, près d’Agadir. Selon les autorités, citées par l’agence marocaine Maghreb Arabe Presse, les forces de l’ordre auraient agi « en état de légitime défense » pour repousser des individus cherchant « à s’emparer d’armes de service dans les locaux d’une brigade de la gendarmerie ».
Cette version est en partie démentie par un représentant local du collectif Gen Z 212, à l’origine de la mobilisation. Il affirme que des manifestants, échaudés par la répression des forces de l’ordre, se seraient effectivement rendus devant la brigade, cible de nombreux jets de projectiles, mais sans chercher à y pénétrer par la force.
Ces morts, auxquels s’ajoutent plusieurs blessés, surviennent en pleine flambée des violences, alors que les rassemblements mobilisant une partie de la jeunesse marocaine se poursuivent quotidiennement depuis samedi 27 septembre dans plusieurs villes du pays. A Salé, commune limitrophe de la capitale, Rabat, des jeunes encagoulés ont été filmés, mercredi soir, en train de sauter à pieds joints sur des voitures de police abandonnées. Ailleurs au Maroc, des véhicules étaient incendiés, des administrations, des banques et des commerces saccagés.
Prélude à ce déchaînement, alors que les rassemblements se déroulaient jusqu’à présent dans un calme relatif, la seule journée de mardi s’est soldée par plus de 400 gardes à vue. Le parquet a entamé des poursuites contre 200 personnes environ, selon le ministère de l’intérieur, qui chiffre à près de 300 le nombre de forces de l’ordre blessées ce jour-là.
« Akhannouch dégage ! »
Jeudi, peu après minuit, le collectif Gen Z 212 s’est exprimé, sur le réseau social Discord, parlant d’une « génération entière, épuisée par des années d’attente et rongée par la frustration ». « Nous avons presque totalement perdu confiance dans les gouvernements successifs. Cette perte n’est pas passagère, mais plutôt le résultat d’une longue accumulation de promesses non tenues, qui ont affaibli dangereusement la confiance dans les institutions officielles », ajoutait le mouvement, qui dit maintenir ses revendications : « Le droit à la liberté d’expression et une réforme radicale des secteurs de la santé et de l’éducation. »
La pression s’accentue sur le gouvernement, qui se dit ouvert au dialogue avec les manifestants, mais qui n’a pas apporté de réponses urgentes à leurs doléances. A Casablanca, principale ville du Maroc, des centaines de protestataires marchaient, mercredi, dans le quartier de Sidi Bernoussi, aux cris de « Akhannouch dégage ! ». Aziz Akhannouch, le chef de l’exécutif, concentre toutes les critiques en raison de son bilan jugé « insuffisant » par les protestataires et les partis d’opposition, au terme de quatre ans de mandature.
Le ras-le-bol culmine face au chômage, en baisse mais qui frôle toujours les 13 %, et à la corruption persistante, alors que le gouvernement, composé de nombreux hommes d’affaires, dont Aziz Akhannouch lui-même, est associé par une large part de la population à la rente et à la prédation. Une source sécuritaire, citée par Jeune Afrique, affirmait mercredi que « ce gouvernement ne prend pas ses responsabilités et nous laisse seuls en première ligne face à la rue. Le strict minimum serait que les ministres de la santé et de l’éducation soient limogés ».
Un limogeage, « le seul levier »
Parmi les ministres en poste, une seule voix s’est aventurée à faire un exercice de contrition dont le gouvernement n’est pas familier. « Nous n’avons pas réussi. Si nous avions réussi, nous n’entendrions pas ces voix aujourd’hui dans la rue et sur les réseaux sociaux, et cette colère ne perdurerait pas », a déclaré la ministre de l’habitat, Fatima Zahra Mansouri, également maire de Marrakech, lors d’une réunion de sa formation, le Parti authenticité et modernité, mardi.
L’hypothèse d’une démission du patron de l’exécutif est à présent sur toutes les lèvres. « Réformer la santé et l’éducation prendra des années, un limogeage d’[Aziz] Akhannouch est le seul levier dont dispose le Palais pour répondre dans l’immédiat aux demandes des manifestants », assure, sous couvert d’anonymat, un homme d’affaires de Casablanca. Le collectif Gen Z 212 se voulant apolitique, partis et syndicats n’ont guère de prise sur lui, ce qui rend plus étroite la marge de manœuvre pour parvenir à apaiser un mouvement dont la mobilisation ne faiblit pas.
Un signe du plus haut sommet de l’Etat se fait donc attendre, alors que les activités officielles de la famille royale se poursuivaient ces derniers jours. Mercredi, le roi Mohammed VI lançait les travaux d’un centre de santé, près de Casablanca. Lundi, son fils aîné, le prince héritier Hassan, donnait le coup d’envoi d’un salon équestre, au sud de la capitale économique, à El-Jadida. Jeudi, le collectif Gen Z 212 appelait, de son côté, à de nouvelles manifestations « pacifiques », indiquant rejeter « toute forme de violence ».
[Source: Le Monde]