Les footballeurs de petite taille en quête de reconnaissance avant la Coupe du monde 2026 : « Nous aussi, on représente la France »

Créé en 2023, le Collectif France PPT, qui réunit des joueurs atteints de nanisme, tente d’être reconnu comme équipe nationale par les instances du sport français. Son objectif : disputer le premier Mondial de son histoire, au Maroc, en novembre 2026.

Déc 14, 2025 - 08:47
Les footballeurs de petite taille en quête de reconnaissance avant la Coupe du monde 2026 : « Nous aussi, on représente la France »
MATHIAS BENGUIGUI / PASCO&CO POUR « LE MONDE »

Assis sur les bancs d’un vestiaire exigu, 11 joueurs enfilent un maillot bleu roi dans un silence solennel soudain interrompu par la voix de leur entraîneur. « La seule chose que je vais vous demander, c’est comme d’habitude : prendre du plaisir. On prépare la Coupe du monde qui arrive dans moins d’un an, ça vient très vite », avertit Ramon Capella. Au coup d’envoi de la rencontre, samedi 6 décembre, pas de Kylian Mbappé, Michael Olise ou Rayan Cherki, mais sept footballeurs de moins de 1,49 m, membres du Collectif France PPT – pour personnes de petite taille –, nommé ainsi faute d’être reconnu comme une équipe de France par la Fédération nationale de football (FFF).

⁠Kavikaran Kathirgamasegaran, au centre, lors du rassemblement du Collectif France PPT, à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 6 décembre 2025.

Pour ces Bleus, le rendez-vous planétaire de 2026 ne se jouera pas aux Etats-Unis, au Canada ni au Mexique à l’été, mais au Maroc, en novembre. Afin de préparer cette échéance, les joueurs, venus de Marseille, Toulouse, Guingamp, Beauvais et Mulhouse, affrontent, en ce début d’après-midi, les moins de 11 ans de l’AC Asnières (ACA), dans un gymnase mis à disposition par la commune des Hauts-de-Seine.

Sous les yeux d’un public clairsemé, mais devant les flashs de nombreux médias venus couvrir l’événement, les membres du Collectif France démontrent d’entrée leur maîtrise technique. Multipliant les circuits de passe léchés, ils ouvrent logiquement la marque sur une frappe à angle fermé du doyen de l’équipe, Anthony Chambe, 44 ans. « Ils peuvent nous avoir sur l’accélération, car on a un peu trop mangé ces derniers temps », ironise, à propos de ses adversaires, Kavikaran Kathirgamasegaran, qui commence la rencontre sur le banc des remplaçants.

L’entraîneur de l'équipe du Collectif France PPT, Ramon Capella, donne les dernières consignes avant un match, au gymnase El Hannouni d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 6 décembre 2025.
⁠Ayéna Adjido (à gauche) et Mohamed Lamyne, lors du rassemblement du Collectif France PPT, à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 6 décembre 2025.

Un constat validé quelques secondes plus tard par l’égalisation de l’ACA sur une contre-attaque, qui prend à défaut le gardien Eyyub Aybin, benjamin des Bleus, âgé de 12 ans, et auteur de ses grands débuts lors de ce rassemblement. Cependant, ses coéquipiers ne cèdent pas au doute, redoublent d’intensité dans les duels face à des jeunes de taille légèrement supérieure, et finissent par l’emporter sur le score de 7 à 2, grâce à un quadruplé de leur capitaine, Mohamed Lamyne.

Une reconnaissance conditionnée

C’est l’habileté balle au pied de ce dernier qui a donné l’idée à ses amis, Soufiane Aït-Jebli et Ramon Capella, de créer une équipe de France PPT, au début de 2023. Le joueur, aujourd’hui âgé de 29 ans, s’était vu refuser, quand il était enfant, l’entrée dans un club valide. « Au départ, on voulait juste le voir jouer », rappelle Soufiane Aït-Jebli, désormais manageur général du collectif. Le trio prend alors contact avec le Marseillais Ayéna Adjido, déjà lancé dans la création d’une sélection nationale après avoir lui-même participé à une Coupe d’Europe des personnes de petite taille, en octobre 2022, au sein d’un groupe France encore embryonnaire.

Avec la vingtaine de footballeurs recrutés partout dans le pays, dont le vivre et le couvert sont pris en charge lors des rassemblements, le collectif se réunit depuis quatre ou cinq fois par an, mais a dû renoncer au Mondial en Argentine, en décembre 2023, faute de fonds. En cause, notamment, l’absence de financement de la part de la FFF, qui a conditionné la reconnaissance du collectif en tant qu’équipe de France à l’organisation d’un championnat national et à l’obtention d’un minimum de 40 licenciés.

« Il est très dur de trouver 40 joueurs de petite taille », observe Ayéna Adjido, qui a interrompu ses échanges avec l’instance après l’annulation à la dernière minute d’un rendez-vous avec le directeur technique national, Hubert Fournier, et un représentant du ministère des sports, prévu le 30 mai 2024. « Avec tout l’argent qu’ils ont, ils pourraient nous aider, ne serait-ce qu’en faisant un travail de communication », ajoute celui qui a déboursé 3 000 euros pour organiser, à Asnières, un match contre l’Espagne, en juin 2023.

La FFF n’a pas répondu aux sollicitations du Monde. Le ministère des sports, lui, rappelle que, « conformément au cadre réglementaire, la FFH [la Fédération française handisport], en tant que fédération délégataire du football pour personnes de petite taille, demeure seule compétente pour attribuer les crédits et les aides financières à cette discipline ». Or, le directeur technique national de cette dernière, Grégory Saint-Géniès, estime que le Collectif France PPT ne satisfait pas à plusieurs critères et explique que son instance est sur le point de signer une convention avec l’APPT, une autre organisation omnisports.

Un projet « sur quinze ans »

Financé exclusivement par des dons privés et des sponsors, le collectif, structuré sous la forme d’une association, n’est pas certain de pouvoir se rendre au Maroc en 2026, malgré sa qualification, alors que l’absence au Mondial argentin résonne encore comme un traumatisme pour certains joueurs. « Quand ils [la FFF] nous ont dit que ce n’était pas possible, ils ont brisé mon rêve », raconte Mohamed Lamyne.

⁠Eyyub Aybin (au centre) et Anthony Chambe, lors du match de l’équipe du Collectif France PPT contre l’équipe de handifoot de l’AC Asnières, à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 6 décembre 2025.
L'équipe du Collectif France PPT, lors de son match contre l'équipe de handifoot de l’AC Asnières, à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 6 décembre 2025.

Le capitaine assure que, face aux discriminations dont il est régulièrement victime, la pratique du football est un vecteur de confiance en soi. « Toute ma vie, j’ai beaucoup pleuré, j’ai fait des dépressions. Beaucoup de jeunes en situation de handicap disent “Je préfère fumer et boire, ça va me faire oublier mes problèmes”. Moi, c’est le foot qui m’a fait oublier mes problèmes », confie le numéro 10 du collectif. Il revient sur la difficulté de recruter de nouveaux membres : « Les personnes de petite taille ont peur de se montrer, des critiques, des gens qui disent “Oh, des joueurs de baby-foot !”, “Oh, des nains !”… Moi, comme je me suis déjà habitué à toutes ces moqueries. J’en ai fait une force. »

Les membres du Collectif France PPT s’entraînent en extérieur, sous la direction de Soufiane Aït-Jebli, à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 6 décembre 2025.
Les membres de l’équipe du Collectif France PPT à l’entraînement, à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 6 décembre 2025.

Loin des vertes pelouses de l’Institut national de Clairefontaine (Yvelines), le capitaine et ses coéquipiers avaient commencé la journée à 10 heures, en enchaînant les montées de genoux sur une piste d’athlétisme en bitume à proximité du gymnase, puis les jeux avec ballon sur un terrain de basket-ball mouillé par la pluie et jonché de feuilles mortes, avant d’engloutir un frugal sandwich en guise de repas d’avant-match. « Pensez à l’Argentine, pensez au Brésil ! », leur soufflait, lors de l’entraînement matinal, Soufiane Aït-Jebli, alors que les sélections sud-américaines dominent les compétitions internationales de la FFTIB (Federacion internacional de futbol talla baja) grâce à des conditions de préparation quasi professionnelles.

« On en est encore à la genèse. C’est un projet sur quinze ans, juge le manageur général du collectif quant au temps nécessaire pour combler l’avance prise par les meilleures équipes de la planète. L’idée, ce n’est pas de se dire “On va à la Coupe du monde et c’est fini”. » A l’évocation de son plus grand rêve, l’un des défenseurs de l’équipe – qui n’a pas souhaité que son nom apparaisse –, voit également au-delà du Mondial 2026. « J’aimerais qu’on soit respectés, explique ce Parisien. Il y a un manque de soutien et de financements dans le handisport, qui est encore négligé. On ne cherche pas à être médiatisés, mais à avoir plus de lumière. » Avant de conclure : « Nous aussi, on représente la France. »

L’équipe du Collectif France PPT, à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 6 décembre 2025.