Le satellite franco-chinois SVOM détecte les traces de la plus vieille supernova jamais observée

Un sursaut gamma, repéré en mars par les instruments du satellite, a permis aux télescopes au sol d’observer rapidement son origine, située à près de 30 milliards d’années-lumière de la Terre.

Déc 9, 2025 - 11:24
Le satellite franco-chinois SVOM détecte les traces de la plus vieille supernova jamais observée
Vue d’artiste du satellite SVOM détectant un sursaut gamma. CNSA/CNES

Le signal n’a duré que 10,24 secondes. Un court instant pendant lequel les instruments embarqués du satellite SVOM ont enregistré un sursaut gamma, c’est-à-dire une brève émission de rayons lumineux extrêmement énergétiques en raison de leur très courte longueur d’onde.

Le système informatique du satellite le notifie immédiatement aux équipes au sol, qui examinent les données. Le sursaut n’est ni particulièrement long ni puissant. Mais un détail retient l’attention des astrophysiciens d’astreinte, le 14 mars 2025 : le télescope embarqué par le satellite n’a rien détecté à l’endroit précis d’où le signal provient, du moins pas dans le spectre visible de la lumière. Une caractéristique qui n’est explicable que si la source du sursaut gamma est tellement lointaine que l’expansion de l’Univers a entièrement décalé la longueur d’onde du signal dans le domaine infrarouge.

Près de dix-sept heures après l’observation du sursaut, les observations faites avec l’aide de trois télescopes au sol confirment ce que pressentaient les responsables de la mission SVOM. D’après les données du spectrographe monté sur le Very Large Telescope (VLT), un ensemble de quatre télescopes européens installé au Chili, le décalage dans le rouge du sursaut appelé « GRB 250314A » atteint la valeur faramineuse de 7,3.

Cela signifie que sa lumière a voyagé treize milliards d’années avant de nous parvenir. Puisque l’Univers est en expansion, l’explosion de l’étoile ayant provoqué ce sursaut se situerait aujourd’hui à près de trente milliards d’années-lumière de la Terre. GRB 250314A est en fait la trace éphémère de la plus vieille et distante supernova jamais observée.

« Il faut aller vite »

Un exploit qu’il a été possible d’observer grâce aux instruments de cette mission franco-chinoise, lancée en juin 2024, depuis la base de Xichang, et que relatent les équipes de SVOM dans deux articles paraissant dans Astronomy & Astrophysics ce mardi 9 décembre. La mission ne vise pas qu’à détecter les sursauts gamma. Elle ambitionne à chaque fois de localiser très précisément leur origine, pour obtenir les données spectrales complètes des événements qui génèrent ces sursauts, grâce aux télescopes, au sol ou dans l’espace, qui prennent le relais. Car le temps est un facteur-clé.

« La difficulté, c’est qu’on a affaire à des événements qui vont disparaître dans le temps, donc si on veut faire de la science, il faut aller vite », explique Bertrand Cordier, responsable scientifique de SVOM et chercheur au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

Après la première brève bouffée de photons gamma suit généralement un rayonnement dit « rémanent », qui ne dure qu’un jour ou deux et qui s’efface vite. « Au-delà de vingt-quatre heures, c’est presque trop tard, les informations vont disparaître. On aura beaucoup de mal à mesurer la distance, qui est le premier objectif », témoigne Bertrand Cordier. « Entre le moment où on a donné l’alerte et le moment où le télescope du Chili s’est réorienté, il s’est passé dix-sept heures. Typiquement, il faudrait tomber sous les dix heures, voire en dessous de cinq heures », confie le chercheur.

C’est d’autant plus important que ce type d’événement reste rare : seuls 12 sursauts gamma aussi lointains ont été découverts, ce qui rend précieuse la lumière qu’ils émettent. Décomposée par la spectroscopie, la lumière des supernovas permet aux astronomes d’en déduire des informations de premier plan, comme la composition chimique des gaz violemment expulsés, ou leur température.

Les derniers témoins

Ce qui intéresse les astrophysiciens tient aussi au fait que ces émissions de rayons lumineux sont les derniers témoins éphémères d’un Univers aujourd’hui disparu, celui de la première génération d’étoiles après le Big Bang. « C’est la première fois que l’on s’approche d’elle. Il n’y a pas, à ma connaissance, d’autres objets astrophysiques qui permettent de remonter directement à cette génération », relate Bertrand Cordier.

Selon la théorie généralement acceptée, ces étoiles, que l’on dit « de population III », devaient être particulièrement massives et avoir une durée de vie très courte – de l’ordre de quelques millions d’années, voire moins, pour les plus imposantes (à comparer aux dix milliards d’années d’une étoile comme le Soleil). Elles n’ont donc jamais été observées directement, mais l’étude de leurs restes post-supernova pourrait donner de précieuses informations sur leur composition chimique, qui doit être différente des étoiles d’aujourd’hui.

Car ces premiers astres ont été formés avec les seuls éléments disponibles dans le jeune Univers d’alors : l’hydrogène et l’hélium. La fusion nucléaire en leur cœur va progressivement produire des « métaux », des éléments plus lourds (du carbone, de l’oxygène, du fer, etc.), qui seront relâchés dans le milieu interstellaire, après la mort de l’étoile. Ces atomes vont enrichir l’Univers et servir à former les générations suivantes d’étoiles. Ce qui explique que la métallicité soit supérieure au sein des étoiles les plus jeunes.

« Si nous trouvons un spectre qui correspond à celui du gaz enrichi par une étoile de population III, ce serait une confirmation que ces étoiles-là ont bien existé et que l’enrichissement chimique de l’Univers fonctionne comme le prédit la théorie », observe Susanna Vergani, directrice de recherche CNRS à l’Observatoire de Paris-Meudon.

L’âge sombre de l’Univers

L’enjeu est aussi cosmologique, puisque les chercheurs tentent en parallèle de mieux caractériser une partie de la jeunesse de l’Univers, appelée « époque de réionisation ». Plusieurs centaines de millions d’années après le Big Bang, l’Univers a en effet connu un âge sombre où aucune lumière ne fut produite.

Cela tient au fait que les photons, les particules de lumière, sont émis lorsqu’un électron change de niveau d’énergie autour du noyau atomique. Cela était rendu impossible par la recombinaison de la matière, qui a vu les électrons se lier aux atomes d’hydrogène. La théorie actuelle prédit qu’il a fallu attendre la naissance des premières étoiles pour que leur rayonnement « arrache » les électrons aux noyaux d’hydrogène et que la matière s’ionise progressivement.

Les résultats sont en tout cas encourageants pour la mission SVOM, puisqu’il a fallu seulement huit mois au satellite pour détecter un sursaut gamma aussi lointain, alors que cela faisait douze ans qu’un tel signal n’avait plus été observé. « On s’attend à en voir un peu plus par rapport aux missions précédentes, parce qu’on a un détecteur plus sensible à ces événements, mais aussi parce que nous avons mis en place toute une synergie avec les observatoires dans l’espace et au sol », fait valoir Susanna Vergani. La chasse aux spectres de la jeunesse de notre Univers ne fait que commencer.

[Source: Le Monde]