Au Cameroun, le crépuscule de l’opposition incarnée par Issa Tchiroma Bakary

Alors que l’ancien ministre, expatrié en Gambie, revendique toujours la victoire à la présidentielle d’octobre, sa voix faiblit dans le pays, où 1 200 personnes sont toujours détenues, sans procès, après les manifestations post-électorales.

Déc 14, 2025 - 08:44
Au Cameroun, le crépuscule de l’opposition incarnée par Issa Tchiroma Bakary
L’opposant camerounais Issa Tchiroma Bakary, dans sa résidence de Yaoundé, le 25 août 2025. DANIEL BELOUMOU OLOMO / AFP

Deux mois après le scrutin présidentiel controversé du 12 octobre, le pouvoir camerounais semble être parvenu à étouffer toute contestation. Réfugié en Gambie après un court séjour au Nigeria, c’est loin de son fief de Garoua, dans le nord du Cameroun, que le candidat de l’opposition Issa Tchiroma Bakary revendique toujours sa victoire face à Paul Biya. L’inamovible président depuis quarante-trois années a entamé son huitième mandat.

Face à lui, les appels à la mobilisation, notamment les opérations « villes mortes » consistant à cesser toute activité économique, ont été peu suivis. La voix de l’opposant faiblit. La violence répressive n’y est pas étrangère. Vendredi 12 décembre, selon le décompte d’un collectif d’avocats des victimes des manifestations post-électorales, 1 200 personnes étaient toujours détenues, sans procès, dans les prisons du pays ou dans les cellules des postes de police et de gendarmerie.

Un premier groupe de 77 prévenus a bien comparu, jeudi, devant un tribunal militaire, mais l’audience a finalement été renvoyée au mois de janvier. Le bilan des tués – des manifestants pacifiques, pour la plupart, tombés sous les balles des forces de sécurité – s’élève à 55 personnes.

« Les Camerounais sont conscients du danger dans lequel ce régime les fait vivre, ils ont peur », dénonce Alice Nkom, porte-parole du « président élu » Issa Tchiroma Bakary. « Paul Biya tient par la force des fusils, la répression et la sauvagerie, à tel point que l’ambiance au Cameroun est celle du deuil national permanent », ajoute cette avocate.

« Le régime ne l’a pas vu venir »

De passage à Paris pour y recevoir, en tant que représentante du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale, un prix pour son combat pour les libertés fondamentales, décerné par la fondation Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, l’avocate exprime un vœu en forme d’impuissance : « C’est vous, Camerounais, qui avez élu Issa Tchiroma Bakary, vous devez prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’il puisse s’installer et gérer son mandat pendant les sept prochaines années. »

« La police est camerounaise, elle n’appartient pas à Paul Biya, ni la gendarmerie », ajoute-t-elle. A ce jour, pourtant, aucune défection majeure dans les rangs des services de sécurité ne permet d’affirmer que l’appareil répressif s’affaiblit. Dès lors, comment faire passer le message de résistance, alors qu’Issa Tchiroma Bakary lui-même a quitté le pays ?

Au lendemain du scrutin qu’il affirme avoir remporté, il nous disait, à son domicile de Garoua, être déterminé à demeurer dans sa ville coûte que coûte. « Il faudra me tuer, je resterai chez moi, protégé par les miens et la population », affirmait-il alors. Quelques dizaines de ses partisans campaient devant chez lui nuit et jour pour protéger l’accès de son domicile. « S’ils m’arrêtent, tout le Cameroun va brûler », lançait-il.

Opposant au début de sa carrière politique avant de devenir ministre dans plusieurs gouvernements formés par le président Biya, Issa Tchiroma Bakary surfait alors sur l’engouement populaire réel qu’il avait eu le loisir de mesurer à chacun de ses meetings, aux quatre coins du pays. « Le régime a laissé passer Tchiroma parce qu’il ne l’a pas vu venir », explique Alice Nkom.

« Vague de répression politique »

L’attention des autorités se focalisait en effet sur l’opposant Maurice Kamto, qui avait mis Paul Biya en difficulté lors du précédent scrutin de 2018. Le « tout sauf Biya » avait alors constitué le principal argument électoral auprès d’une population éreintée par les difficultés économiques. Non seulement les jeunes – l’âge médian est de 18 ans –, qui ne se reconnaissent pas dans cette gérontocratie, mais aussi les plus âgés, qui assistent à la dégradation de l’état général du pays et souhaitent tourner la page, malgré la difficulté à imaginer un autre régime que celui qui les dirige depuis près d’un demi-siècle.

En 2018 aussi, Maurice Kamto se disait « détenteur d’un mandat clair du peuple ». Puis la machine du pouvoir avait broyé les espoirs en déclenchant une « vague de répression politique », selon les termes utilisés par Human Rights Watch, dans une note publiée le 28 octobre.

« Après le scrutin, des manifestations menées par l’opposition avaient éclaté dans tout le pays, et le gouvernement avait réagi par une répression sévère, déployant la police, l’armée et les gendarmes, qui avaient fait usage d’une force excessive contre les manifestants », rappelle l’ONG.

Maurice Kamto lui-même avait été arrêté en janvier 2020, accusé « d’insurrection, d’hostilité envers la patrie et d’association de malfaiteurs ». Agé de près de 80 ans, Issa Tchiroma Bakary ne prendra sans doute pas le risque de passer plusieurs mois en prison en revenant prématurément au Cameroun.

[Source: Le Monde]