Présidentielle au Chili : La « chronique d’une défaite annoncée » de la gauche face à l’extrême droite

Le candidat ultraconservateur José Antonio Kast est le favori du second tour de l’élection présidentielle qui l’oppose, dimanche, à la communiste Jeannette Jara, ancienne ministre du président de gauche sortant, Gabriel Boric.

Déc 14, 2025 - 08:33
Déc 14, 2025 - 08:50
Présidentielle au Chili : La « chronique d’une défaite annoncée » de la gauche face à l’extrême droite
Le candidat à la présidence chilienne José Antonio Kast, du Parti républicain, lors de son dernier meeting à Temuco (Chili), le 11 décembre 2025. EITAN ABRAMOVICH / AFP

José Antonio Kast, 59 ans, a l’air satisfait d’un enfant content de sa blague. Le candidat ultraconservateur, favori pour le second tour de l’élection présidentielle chilienne organisé dimanche 14 décembre, vient de réussir, encore une fois, à éluder toute précision sur ses intentions en cas d’élection. « Allez-vous, oui ou non, gracier Krassnoff ? », insiste pour la énième fois la journaliste le 3 décembre, lors de l’avant-dernier débat télévisé, en présence de l’adversaire de José Antonio Kast, la communiste Jeannette Jara, 51 ans.

L’ex-brigadier Miguel Krassnoff, 79 ans, membre de la DINA, la sinistre police secrète d’Augusto Pinochet, a été condamné à plus de mille ans de prison pour crimes contre l’humanité commis pendant la dictature (1973-1990). A la question posée, José Antonio Kast, admirateur du régime pinochétiste, répond à côté, tergiverse, joue la montre. Quand la journaliste lui signale qu’il ne reste plus de temps au chronomètre, le candidat hausse les épaules et lâche : « Les règles sont les règles » et se mure dans le silence, sourire en coin.

A la même question, Jeannette Jara a répondu un « non » franc et massif. « La stratégie de Kast a été d’en dire le moins possible, mais c’est encore plus flagrant dans l’entre-deux-tours, explique le politiste Antoine Maillet, enseignant à l’université du Chili. Il sait déjà qu’il va gagner, il n’a pas besoin de débattre ni de donner de détails sur ses propositions. »

Environ 15,7 millions de Chiliens sont appelés dimanche – le vote est obligatoire – à choisir entre Jeannette Jara (26,8 % des voix au premier tour le 16 novembre), ancienne ministre du travail de l’actuel président Gabriel Boric (gauche), et José Antonio Kast, du Parti républicain (extrême droite, 23,9 %), dont c’est la troisième tentative de parvenir au palais de la Moneda.

Dans les rues de Santiago, rien ne laisse penser qu’une élection cruciale se tient bientôt, pas même sur la place Baquedano, centre névralgique du soulèvement populaire qui a éclaté en octobre 2019. La place est en travaux, entourée de panneaux en bois qui auraient pu servir de support pour des affiches ou des graffitis. Il n’en est rien. « C’est qu’on en a marre de voter, une dizaine de scrutins en cinq ans, et en fin de compte ça n’a rien changé dans nos vies, au contraire », explique Evangelina Gonzalez, une vendeuse de 37 ans. Des débats ont bien lieu, mais sur les réseaux sociaux. Le second tour est, par ailleurs, considéré comme joué, José Antonio Kast étant assuré de rassembler la grande majorité des voix des autres candidats de droite ou d’extrême droite du premier tour.

Promesses de répression

Pour son dernier meeting de campagne, jeudi – où il a d’abord remercié Dieu qui l’a « protégé, guidé et accompagné » –, il a choisi Temuco, dans la région de l’Araucanie, où il a obtenu son résultat le plus important au premier tour (32,5 %). José Antonio Kast a annoncé un « gouvernement d’urgence », car le Chili vit, selon lui, « une crise totale », issue d’un gouvernement « incompétent » qui n’a laissé que « chaos, désordre et insécurité ». « Prison pour les terroristes, prison pour les violents », a-t-il martelé dans son dernier discours, attribuant l’augmentation de l’insécurité aux migrants, surtout vénézuéliens, arrivés en masse ces dernières années.

Comme tous les jours de l’entre-deux-tours, il a évoqué son compte à rebours : « Je dis aux personnes qui se trouvent de manière irrégulière au Chili : il vous reste quatre-vingt-dix jours pour quitter le pays volontairement », c’est-à-dire avant la date de la prise de fonctions du gouvernement élu, le 11 mars 2026. Après cette date, a-t-il promis, ces 336 000 migrants seront capturés et expulsés « avec ce qu’ils auront sur le dos ».

Evasif sur Miguel Krassnoff, il l’a aussi été sur la méthode qu’il compte employer pour ces expulsions. De même, il a toujours refusé de répondre aux questions concernant la mise en œuvre de son projet de coupes budgétaires, de l’ordre de 6 milliards de dollars (soit environ 5,1 milliards d’euros). Son porte-parole, Rodolfo Carter, a mis les pieds dans le plat à la télévision, le 9 décembre, en expliquant qu’il était « évident » que l’équipe de Kast ne pouvait révéler quels programmes ou secteurs seraient affectés, « sinon le pays serait paralysé dès le lendemain (…), les rues incendiées ».

Aux promesses de répression de José Antonio Kast, Jeannette Jara a répondu, pendant son dernier meeting, jeudi également, à Coquimbo, dans le nord du pays, que sa « main ne tremblera[it] pas pour utiliser l’Etat de droit » contre les délinquants. Elle a déroulé son discours autour de ses projets sur la santé, l’éducation, l’emploi ou le logement plus que contre son adversaire, comme elle en avait l’habitude.

Peur martelée à l’envi

La droite a réussi à faire de cette élection un plébiscite contre le gouvernement sortant : « Jara, c’est Boric, et Boric, c’est Jara », rabâche José Antonio Kast. Jeannette Jara a passé la campagne à jouer les équilibristes, devant tout à la fois revendiquer son bilan au ministère du travail – hausse du salaire minimum, réduction du temps de travail hebdomadaire, hausse des pensions, gratuité des soins dans le secteur public – et se démarquer du gouvernement de Gabriel Boric, très impopulaire malgré les avancées sociales obtenues.

Même au sein du Parti républicain, on reconnaît à mi-voix le bienfait de ces mesures. « Les Chiliens apprécient de gagner plus et de travailler moins, confie un proche de l’équipe de José Antonio Kast qui préfère rester anonyme. Mais ça n’a pas été suffisant pour faire oublier l’insécurité et la peur. » Une peur martelée à l’envi par les chaînes d’information en continu et les journaux, alors que le Chili reste un des pays les plus sûrs du continent.

Carlos Ominami, ancien ministre et conseiller économique de Jeannette Jara, partage ce constat : « Certes, le gouvernement a baissé l’inflation de 14 % à 3 % et assaini les comptes publics, admet-il. Mais nous n’avons pas compris à temps à quel point le thème de l’insécurité était central pour les Chiliens. » Sans oublier que, depuis vingt ans, les Chiliens ont toujours voté pour l’opposition.

Jeannette Jara, elle, applique la méthode Coué : « Nous allons gagner ! », a-t-elle conclu à Coquimbo. Mais plus grand monde n’y croit vraiment. « On est venu la soutenir, mais c’est plus pour nous soutenir entre nous et nous consoler », soupire Carolina Salas, 26 ans, venue à l’avant-dernier meeting de Mme Jara à Puente Alto, dans une banlieue populaire au sud de Santiago, mercredi. « L’espérance est la dernière chose que l’on perd », rappelle sur un ton désabusé M. Ominami, qui reconnaît toutefois qu’il s’agit là d’une « chronique d’une défaite annoncée ».

Reste à connaître le taux de votes blancs ou nuls, alors qu’une grande partie des électeurs ne croient plus en la politique et ne se reconnaissent chez aucun des deux candidats. « Si ce chiffre est élevé, avance M. Maillet, cela montrera que le vote obligatoire ne repolitise pas forcément les gens. » Les soutiens de Mme Jara, eux, n’espèrent qu’une chose, que l’écart avec M. Kast ne soit pas si important qu’annoncé, histoire de sauver la face.

[Source: Le Monde]