Brésil : un géant de la viande aurait pratiqué du « blanchiment de bétail » élevé sur des terres déforestées, selon Greenpeace
Dans deux enquêtes, l’ONG affirme que le groupe JBS aurait commercialisé des bovins élevés sur des terres déboisées illégalement puis transférés dans d’autres propriétés. L’entreprise dit avoir « bloqué préventivement » l’approvisionnement venant des fermes litigieuses.

Dans le milieu du crime, il est possible de blanchir de l’argent, des véhicules volés, des contrefaçons… Mais en Amazonie, le phénomène le plus inquiétant concerne le « blanchiment de bétail ». En pratique, il s’agit pour les éleveurs sans scrupule de transformer des bovins, élevés sur des terres déboisées illégalement, en troupeaux élevés sur des terrains agricoles légaux, pour les vendre aux grands abattoirs. Un système dans lequel le géant brésilien de la viande JBS serait aujourd’hui impliqué.
Le groupe est accusé par Greenpeace de cautionner cette pratique dévastatrice pour l’environnement dans deux enquêtes publiées les 25 et 29 septembre. Le premier cas concerne l’État du Mato Grosso (Centre-Ouest), où, selon l’ONG, plus de 1 200 animaux élevés clandestinement sur la terre indigène Pequizal do Naruvôtu auraient approvisionné, entre 2018 et 2023, des abattoirs locaux de JBS. Pour ce faire, le fournisseur aurait transféré ses têtes de bétail depuis sa ferme illégale vers une autre propriété voisine, Itapiranga, libre de sanctions.
L’affaire est doublement embarrassante pour JBS. D’abord, car l’éleveur mis en cause, Mauro Fernando Schaedler, est un personnage sulfureux et bien connu, qui cumule 3,1 millions de reais (495 000 euros) d’amendes pour crimes environnementaux. Mais aussi et surtout car les abattoirs mis en cause, dans les localités de Barra do Garças et Agua Boa, sont autorisés à exporter dans plusieurs pays d’Asie et du continent américain vers l’Union européenne. Ce qui est du plus mauvais effet pour l’image du groupe, même si le nombre de bovins concernés est modeste.
La moitié du cheptel brésilien
Le deuxième cas dévoilé par Greenpeace vise la région du Para, au sud-est de la grande forêt amazonienne. Il concerne la famille Biernaski, propriétaire de l’immense ferme Nova Orleans, de plus de 10 000 hectares (l’équivalent de Paris), placée sous embargo par les autorités pour déforestation illégale. Entre 2018 et 2023, le clan aurait fait transiter 2 000 bovins élevés illégalement sur ce site vers une autre de ses propriétés, baptisée Rancho Alegre, en règle celle-ci, et fournisseuse directe de JBS.
« Tout cela est grave car l’ouverture de nouveaux pâturages reste le principal vecteur de déforestation en Amazonie », rappelle Cristiane Mazzetti, coordinatrice du pôle Déforestation Zéro de Greenpeace Brésil. Selon MapBiomas, une autre ONG, l’élevage bovin serait responsable de 90 % du déboisement illégal dans la forêt tropicale. Une activité en plein essor : l’Amazonie concentre aujourd’hui près de la moitié du cheptel brésilien : plus de 100 millions d’animaux (pour environ 29 millions d’habitants).
Fondé en 1953, JBS est le mastodonte du secteur de la viande. Le groupe emploie 270 000 collaborateurs répartis à travers le monde, exporte vers 150 pays et se dit en mesure d’abattre 75 000 bovins par jour. Son chiffre d’affaires a avoisiné les 417 milliards de reais (66 milliards d’euros) en 2024. Du fait de sa taille, « c’est l’entreprise la plus susceptible de s’approvisionner en bétail d’origine irrégulière », note Paulo Barreto, chercheur à Imazon, une ONG engagée dans le développement durable en Amazonie.
L’organisation publie chaque année un rapport baptisé « Radar Vert », évaluant le degré d’exposition des grands abattoirs au risque de déboisement illégal en Amazonie. « L’année dernière, JBS opérait sur une superficie de 11,5 millions d’hectares [l’équivalent du Portugal], exposés au risque de déforestation », poursuit M. Barreto, ajoutant que les entreprises du secteur « restent incapables de démontrer une maîtrise totale de leur chaîne de production, n’ayant toujours pas mis en place de suivi de leurs fournisseurs indirects ».
« Promesses non tenues »
Contacté, JBS rejette les accusations. « JBS surveille 100 % de ses fournisseurs au moyen d’images satellite de haute résolution », précise le groupe dans une note écrite transmise au Monde. A la suite de l’enquête de Greenpeace, le géant de la viande affirme avoir « bloqué préventivement » l’approvisionnement venant des fermes litigieuses du Mato Grosso et du Para, et « demandé des éclaircissements aux producteurs ». Il souligne, entre autres, avoir mis en place, en 2021, sa plateforme digitale « Élevage transparent », permettant aux intermédiaires de JBS de vérifier la conformité de leurs propres fournisseurs.
« JBS accumule les promesses non tenues, et en continue à se présenter comme une entreprise engagée pour l’environnement, mais sans proposer de plans adéquats de mise en œuvre », oppose Cristiane Mazzetti de Greenpeace, appelant les autorités à « développer des plateformes publiques et transparentes de traçabilité ».
Alors que doit se tenir la COP30 à Belem, du 10 au 21 novembre, le gouvernement du président Lula cherche à démontrer son engagement en la matière. La police environnementale a mené, début septembre, le troisième volet de son opération « Viande Froide » visant à combattre l’élevage lié à la déforestation illégale. Plus de 7 000 têtes de bétail ont été confisquées dans l’État du Para, et 49 millions de reais (7,8 millions d’euros) d’amendes ont été infligées. De quoi soigner l’image du Brésil avant ce grand rendez-vous international.
[Source: Le Monde]