Au Japon, l’élection de Sanae Takaichi à la tête du parti au pouvoir annonce un tournant nationaliste dans l’Archipel
Le Parti libéral-démocrate au pouvoir a élu Sanae Takaichi à sa présidence, samedi, ce qui devrait en faire la première femme à diriger un gouvernement au Japon. Son ancrage ultraconservateur aux relents révisionnistes pourrait menacer les relations avec la Corée du Sud et la Chine.

La très nationaliste Sanae Takaichi pourrait bientôt être la première femme à diriger un gouvernement au Japon. Son élection, samedi 4 octobre, à la tête du Parti libéral-démocrate (PLD), au pouvoir à Tokyo, doit lui permettre de succéder à Shigeru Ishiba, premier ministre démissionnaire à la suite de la défaite de son camp aux sénatoriales de juillet.
La native de Nara (Ouest) l’a emporté face au ministre de l’agriculture sortant, Shinjiro Koizumi, que les sondages donnaient pourtant favori. Agée de 64 ans, cette admiratrice de l’ancienne première ministre britannique Margaret Thatcher (1925-2013) prend la tête d’un parti fragilisé par les scandales, divisé et contraint aux compromis, faute de majorité au Parlement. Son positionnement ultraconservateur pourrait compliquer son action.
Promettant « une nouvelle ère pour le PLD », elle a dit « mesurer les défis qui [les] attendent ». Elle s’est engagée à s’attaquer « en priorité à la hausse des prix » et à « renforcer les liens avec les pays partageant les mêmes valeurs, en particulier l’alliance nippo-américaine, afin de préserver la paix au Japon ».
Les douze jours de campagne interne au PLD ont vu les candidats débattre de l’amélioration du niveau de vie des Japonais, dont les revenus déclinent, et des défis liés à l’augmentation du nombre d’étrangers. Sur ce dernier point, Mme Takaichi souhaite que le Japon « reconsidère les politiques qui permettent l’entrée sur son territoire de personnes issues de cultures et de milieux complètement différents ».
Election prévue au plus tôt le 15 octobre
Mme Takaichi est la première femme à présider le PLD. La domination de son camp au Parlement et les divisions de l’opposition lui ouvrent la voie vers le poste de première ministre. Son élection est prévue au plus tôt le 15 octobre, date de reprise de la session parlementaire.
Fille d’un représentant de commerce et d’une policière, diplômée de l’université de Kobe, passée par le très libéral Institut Matsushita, créé par le fondateur de Panasonic, Konosuke Matsushita, pour former les décideurs du futur, Sanae Takaichi a commencé sa carrière comme présentatrice sur la chaîne publique TV Asahi.
Elle a travaillé ensuite aux Etats-Unis pour la représentante démocrate Patricia Schroeder. De retour au Japon, cette ancienne batteuse de heavy metal et fan de moto s’est lancée en politique, en 1993, intégrant l’éphémère Parti de la nouvelle frontière (PNF, opposition), dont le déclin l’a amenée à rejoindre le PLD, en 1996, où elle s’est épanouie au sein de la très droitière faction Seiwakai.
Rejet de toute idée de repentance
Sur le plan idéologique, Mme Takaichi nie les crimes de l’armée nippone pendant la seconde guerre mondiale et rejette toute idée de repentance. En 1994, dans l’hebdomadaire Tokyo Seikei Tsushin, elle a vanté l’ouvrage de Yoshio Ogai, un élu du PLD, intitulé « la stratégie électorale d’Hitler, une bible pour gagner les élections modernes ». En 2011, elle a posé avec Kazunari Yamada, patron d’un groupuscule néonazi baptisé le Parti national-socialiste des travailleurs japonais, ce qui a fait réagir le Centre Simon Wiesenthal.
Elle refuse l’idée d’une femme sur le trône impérial. Mariée au parlementaire PLD Taku Yamamoto, elle défend une vision conservatrice de la famille. Koichi Nakano, politologue de l’université Sophia, voit dans ses choix « le positionnement opportuniste d’une personne sans véritable vision ».
Fidèle de l’ancien premier ministre Shinzo Abe (1954-2022), lui aussi conservateur révisionniste et membre éminent de la Seiwakai, elle fut sa ministre dès son premier mandat, en 2006-2007, avant de se voir confier le portefeuille de la gestion publique et des communications pendant son second mandat, de 2012 à 2020. Elle a ensuite été ministre de la revitalisation économique.
Un parti en plein doute
A la tête du PLD, elle hérite d’un parti en plein doute depuis les révélations de ses liens avec l’Eglise de l’unification (la secte Moon) et d’affaires de « caisses noires » impliquant ses élus. La formation, au pouvoir quasiment sans interruption depuis 1955, ne détient plus la majorité parlementaire depuis ses déroutes aux législatives d’octobre 2024 et aux sénatoriales de juillet.
Les positionnements clivants de Mme Takaichi vont l’obliger à amadouer le parti Komei, partenaire du PLD dans la coalition au pouvoir, qui souhaitait un premier ministre « modéré ». Ils pourraient compliquer les indispensables négociations avec les formations d’opposition pour mener à bien ses politiques, notamment économiques. MmeTakaichi prône le soutien au pouvoir d’achat par des allégements fiscaux et des plans de relance massifs.
Sur le plan diplomatique, elle a évoqué une renégociation de l’accord commercial conclu en juillet avec Washington par M. Ishiba, ce qui pourrait mécontenter l’administration Trump. Son arrivée au pouvoir menace aussi les relations du Japon avec la Corée du Sud et la Chine, où les questions mémorielles enflamment facilement les débats. M. Ishiba avait amélioré les liens avec ces voisins, en reconnaissant notamment l’agression du Japon pendant la guerre et la souffrance des victimes asiatiques du militarisme nippon.
Rien n’indique que Mme Takaichi suivra la même voie. Pendant la campagne pour la présidence du PLD, elle a refusé de dire si elle se rendrait au sanctuaire Yasukuni en cas de victoire. Elle se rend chaque année dans ce lieu où sont honorés, entre autres, les criminels de guerre nippons, et qui est considéré par Séoul et Pékin comme un symbole du militarisme nippon. Pour Mme Takaichi, le Japon « ne devrait pas permettre à d’autres nations de faire de ces visites une question diplomatique ».
Avec la nouvelle administration, estime Tetsuo Kotani, de l’université Meikai, « le Japon risque l’isolement, ses relations avec la Corée du Sud pourraient se détériorer et, si Tokyo adopte une position conflictuelle avec la Chine alors que les Etats-Unis se retirent d’Asie, cela le placerait dans une position extrêmement compliquée ».
La première épreuve de Mme Takaichi sur la scène internationale devrait être le sommet du Forum de coopération Asie-Pacifique (APEC), fin octobre, à Busan. Elle devrait y rencontrer le président sud-coréen, Lee Jae-myung, mais aussi Donald Trump, voire le dirigeant chinois, Xi Jinping, si celui-ci fait le déplacement.
[Source: Le Monde]