Parcoursup 2025 : pour les candidats sans proposition, un long été d’angoisse et d’incertitude
A l’issue de la phase principale, achevée le 10 juillet, 103 000 lycéens et étudiants n’ont obtenu aucune proposition d’admission. Face à ce vide, les familles peinent à s’organiser pour la rentrée à venir.

En deux mois d’été, le geste est devenu rituel. Tous les matins, Nora se lève, se connecte à Parcoursup et ouvre son dossier avec l’espoir d’y découvrir une proposition d’admission dans une formation de l’enseignement supérieur. « Tous les matins, elle entre dans la pièce et lâche le même “j’ai toujours rien”, et on repart pour une journée », se désole sa mère, Irène Gaillard.
La jeune femme, tout juste titulaire d’un bac STMG (sciences et technologies du management et de la gestion), n’avait reçu aucune réponse positive sur la plateforme lorsque la phase principale s’est achevée, le 10 juillet. Depuis, les vœux pour lesquels elle était toujours sur liste d’attente, en bachelor universitaire de technologie (BUT) ou en licence, ont été gelés et Nora est plongée dans une longue période d’expectative que seuls d’éventuels désistements avant la rentrée pourraient clore.
La commission d’accès à l’enseignement supérieur de son académie, chargée de l’accompagnement personnalisé des candidats sans proposition, ne lui a pas trouvé de solution adaptée. Le nouveau vœu qu’elle a fait au cœur de l’été sur une formation qui l’intéressait en phase complémentaire, où sont proposées toutes les places vacantes, a été refusé. « Nerveusement, c’est très dur pour elle, raconte Irène Gaillard, aux côtés de sa fille. Elle n’a pas pu se détendre de l’été et il lui est impossible de se projeter sur l’année prochaine, ni même sur la rentrée, alors que nous sommes fin août ! »
Comme elle, 103 000 lycéens et étudiants n’ont obtenu aucune proposition d’admission sur Parcoursup à l’issue de la phase principale, qui s’est étirée du 2 juin au 10 juillet. Leurs vœux en attente ont été « archivés » sur la plateforme, les listes d’attente ont cessé d’être mises à jour, des appels ont été passés pour les inviter à saisir les académies et à chercher d’autres solutions parmi les 110 000 places vacantes offertes en phase complémentaire, tandis que tous se sont mis à guetter un mail leur annonçant une place finalement libérée dans leurs vœux principaux. Un été d’incertitude et d’angoisse d’autant plus difficile à gérer qu’il est vécu dans un profond sentiment de solitude à une période où les lycées et les formations du supérieur, dont les équipes sont, durant l’année, les référents des jeunes et de leurs familles, ferment leurs portes pour plusieurs semaines.
Ces jeunes, pour qui l’entrée dans une formation n’était pas assurée, représentent 12 % des 867 956 candidats inscrits sur la plateforme – ces chiffres excluent les 112 000 candidats en reprise d’études, dont le ministère de l’enseignement supérieur n’assure pas le suivi. Il s’agit pour la moitié de lycéens (50 826), pour un tiers d’étudiants en réorientation (34 826), les autres sont scolarisés à l’étranger (17 930). Quelque 33 000 autres candidats ont quitté la plateforme avant d’avoir obtenu une réponse favorable. A ceux qui attendaient toujours une issue sur Parcoursup après le 10 juillet, il faut encore ajouter les candidats qui ont bien reçu une proposition, mais qui ne correspond pas à leurs souhaits.
Phase complémentaire jusqu’au 11 septembre
Pour Mathis René, étudiant de 19 ans, cette désillusion est la seconde. En 2024, déjà, il n’avait obtenu aucune proposition dans les licences liées aux SVT (sciences de la vie et de la Terre) qu’il avait demandées à l’issue de son baccalauréat. Lui qui voulait initialement être professeur d’histoire-géographie s’est découvert une passion pour les SVT lors de ses cours de spécialité au lycée et ambitionne finalement de rejoindre l’enseignement dans cette discipline.
S’il a intégré, faute de proposition en voie scientifique, une fac d’histoire après son baccalauréat, il reste déterminé à se réorienter dans « n’importe quelle formation en lien avec les SVT ». « Je n’ai fait que des demandes sur des universités franciliennes, pour pouvoir continuer à vivre chez mes parents, car ma famille n’a pas forcément les moyens de me payer un appartement ailleurs », précise le jeune homme, originaire de l’Essonne. Bien que conscient que le nombre de places dans les universités de la région parisienne est inférieur à la demande importante, il peine à s’expliquer les raisons du mauvais classement de son dossier dans la quinzaine de formations en licence sollicitées. « Peut-être que le fait que je n’aie pas suivi d’autre spécialité scientifique que les SVT au lycée, puisque, en 2de, j’imaginais plutôt aller en histoire, joue en ma défaveur », suppute Mathis, qui se dit « extrêmement défaitiste ».
Contacté, le ministère de l’enseignement supérieur n’a pas souhaité communiquer de bilan actualisé au 26 août. Il ne fournit pas non plus de détails concernant le profil des 103 000 laissés-pour-compte de la phase principale.
Le bilan de la session 2024 montre seulement, concernant les lycéens, qu’ils viennent de toutes les voies, mais que ceux qui ont obtenu un bac professionnel (pour 23 % d’entre eux) et technologique (15 %) sont proportionnellement plus concernés que leurs homologues de filière générale (5 % d’entre eux seulement). « Parmi les candidats sans proposition, nombreux sont ceux qui ont déjà envisagé d’autres projets, fait valoir la Rue de Grenelle ; 158 000 ont déclaré cette année, au moment de confirmer leurs vœux, avoir aussi d’autres projets en dehors de Parcoursup : inscription dans une formation hors Parcoursup, études à l’étranger, service civique, entrée dans l’emploi, etc. » Le nombre de candidats n’ayant reçu que des propositions ne correspondant pas à leur souhait est, lui, inconnu.
Le ministère rappelle surtout que la session de Parcoursup n’est pas terminée. Les listes d’attente de la phase principale peuvent encore évoluer au cas par cas dans les formations, les académies sont à l’œuvre tout l’été et la phase complémentaire dure jusqu’au 11 septembre. En 2024, cette dernière « avait permis à 79 000 candidats de recevoir une proposition durant l’été », souligne-t-on. Cette phase de la deuxième chance sur Parcoursup n’offre toutefois pas les mêmes formations qu’en phase principale : il s’agit majoritairement de licences et de BTS, tandis que les BUT, les classes préparatoires ou les études de santé s’y font beaucoup plus rares. Ainsi, tous les candidats n’y trouvent pas ce qu’ils espèrent.
Deux mois sur liste d’attente
La fille de Sandrine Leroy-Houot est restée en attente pour tous les vœux en institut de formation en soins infirmiers (IFSI) dans son académie, et a été refusée partout ailleurs. La jeune femme est en réorientation après une année de parcours d’accès spécifique santé (PASS), qu’elle n’a pas validée et ne peut pas redoubler. « Elle avait été admise en IFSI après son bac, mais elle voulait médecine, aujourd’hui elle regrette sa décision, elle n’aurait jamais cru qu’elle ne serait pas prise après une année en PASS », explique sa mère.
Elles ont bien exploré les formations disponibles en phase complémentaire, mais aucun IFSI n’y figure. Pour « ne pas être déscolarisée », elle a accepté sa proposition d’admission dans une licence de psychologie proche de chez elle, son « vœu de secours » qui ne « correspond pas du tout à ce qu’elle veut ». « Elle est dégoûtée, elle ne peut quand même pas refaire des premières années pendant vingt-cinq ans ! », s’alarme Sandrine Leroy-Houot.
Accepter une formation par défaut ? Faire une année blanche ? Payer une école privée ? Pour les bacheliers et les étudiants, l’indétermination est source de nombreux dilemmes. Et si certaines situations finissent par se débloquer, à l’image de plusieurs personnes interrogées qui ont finalement reçu depuis le 20 août l’annonce d’une admission après deux mois sur liste d’attente, tous n’ont pas les moyens d’accepter une proposition trop tardive. C’est notamment le cas lorsqu’elle implique un déménagement, alors que les tensions sur le marché locatif et les difficultés à trouver un logement dans certaines villes étudiantes contraignent les familles à anticiper.
Iliona a réussi en juillet son brevet des métiers d’art – une spécialité professionnelle – et souhaitait intégrer des formations « liées à l’art » dans son département des Alpes-Maritimes. Ses vœux sélectifs ont été refusés et elle est sur liste d’attente pour une licence humanités, arts et métiers de l’image à l’université de Nice. « Elle avait une place assurée depuis longtemps dans une école privée à côté de chez nous mais la banque ne nous a pas suivis pour le prêt de 7 000 euros », précise Sandrine, sa mère (elles n’ont pas souhaité donner leur nom).
Difficile, toutefois, de se projeter à Nice sans certitude. Boursière, Iliona ne pourrait compter que sur des logements du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), dont les premières attributions ont lieu dès début juillet. « Nous avions eu un logement, payé 100 euros pour le réserver, puis il fallait verser le premier loyer fin août », détaille Sandrine. Redoutant de devoir « payer pour une chambre inoccupée », la famille, faute de visibilité sur l’évolution de la liste d’attente à Nice, a préféré annuler dans le courant du mois d’août. « Même si j’ai finalement une place en licence, je ne pourrai plus y aller parce que je ne pourrai plus trouver à me loger », résume Iliona. Pour la rentrée, même si l’académie doit encore lui faire une proposition, sa décision est prise : « Je vais faire un service civique, j’ai vu que ça pouvait donner des points sur Parcoursup, et je ferai de nouvelles candidatures en 2026 avec l’aide de la mission locale. »
Manque d’analyse qualitative
Comme elle, de nombreux candidats se projettent déjà sur une réorientation. Yohan a été admis dans plusieurs formations demandées « par défaut » et éloignées du domaine professionnel qu’envisage ce bachelier francilien, intéressé par l’économie et les statistiques. Il espérait plutôt des licences économie et gestion ou mathématiques et informatique appliquées aux sciences humaines et sociales, qu’il n’a pas obtenues. Après réflexion, il s’est résolu à accepter la réponse positive d’une licence en géographie près de chez lui, prévoit de se rendre à l’université à la rentrée pour taper à la porte des licences qui l’intéressent en quête d’une place vacante, et réfléchit à « améliorer son dossier pour l’an prochain ». « J’avais conscience que mes notes n’étaient pas super, confie-t-il, donc je vais essayer de me renseigner pour un service civique, des stages ou un job à côté. »
En 2024, au terme du processus complet de Parcoursup, 91 % des lycéens et étudiants en réorientation avaient reçu au moins une réponse, en phase principale, complémentaire, ou par l’intermédiaire des commissions académiques, et 78 % d’entre eux en ont accepté une.
Derrière la dimension quantitative du nombre de candidats sans solution se dessine cependant une question plus vaste : combien n’ont accepté qu’un vœu par défaut ? « En l’état du fonctionnement de Parcoursup, on ne sait rien du degré de satisfaction des candidats quant aux formations obtenues, ce raisonnement qualitatif fait défaut », regrette Nagui Bechichi, économiste de l’éducation rattaché à l’Institut des politiques publiques, cofondateur de l’outil en ligne gratuit SupTracker.
Signe que l’enjeu est d’ampleur, ses travaux mettent en évidence un résultat qui pousse à s’interroger sur la qualité des affectations à l’issue du secondaire : « Un tiers des lycéens qui intègrent l’enseignement supérieur refont désormais des vœux sur Parcoursup à la session suivante, ce qui veut dire qu’ils envisagent de se réorienter trois mois à peine après leur rentrée », explique le chercheur. A l’époque du système APB (Admission post bac, en vigueur entre 2009 et 2017), un quart des nouveaux étudiants étaient dans ce cas.
[Source: Le Monde]