La Nouvelle-Calédonie suspendue au futur de Manuel Valls et du gouvernement

Le ministre des outre-mer a quitté mardi la Nouvelle-Calédonie sans avoir ramené les indépendantistes du FLNKS à la table des discussions. Or l’accord de Bougival, qu’il porte à bout de bras depuis juillet, est menacé par la possible chute du gouvernement Bayrou.

Août 27, 2025 - 02:42
La Nouvelle-Calédonie suspendue au futur de Manuel Valls et du gouvernement
Le président du Sénat coutumier, Aguetil Mahé Gowe (à droite), accueille le ministre français des outre-mer, Manuel Valls, au Sénat coutumier de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 20 août 2025. DELPHINE MAYEUR/AFP

Manuel Valls l’a promis avant de s’envoler mardi soir pour Paris, après une semaine passée en Nouvelle-Calédonie : « La continuité de l’Etat s’appliquera. » Le matin même, le ministre des outre-mer a appris être en sursis, suspendu, comme tous les membres du gouvernement, au vote de confiance des députés qui sera examiné le 8 septembre. Juridiquement, la loi constitutionnelle qu’il vient d’élaborer avec les formations politiques néo-calédoniennes toujours engagées dans l’accord de Bougival doit pouvoir s’inscrire dans le calendrier prévu : examen le 17 septembre en conseil des ministres, pour un vote au Sénat début novembre, puis à l’Assemblée nationale en décembre et, dans la foulée, la réunion du Parlement à Versailles.

Mais ce calendrier peut-il tenir sans le ministre qui a défendu cet accord avec énergie – sans pour autant faire l’unanimité ? Censé repartir samedi, Manuel Valls a décalé à deux reprises son départ pour donner une ultime chance au dialogue avec le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS).

Si le FLNKS a accepté une rencontre mardi matin, la ligne tracée le 9 août lors du congrès extraordinaire du mouvement, et rappelée la semaine dernière lors d’une première réunion, n’a pas varié d’un iota : tout en se disant « ouvert au dialogue », le FLNKS a « réitéré son rejet catégorique du projet d’accord », selon le communiqué diffusé par le mouvement à l’issue de la rencontre.

« Nous avons beaucoup avancé »

Le rendez-vous, qui a duré plus de trois heures, aura tout de même permis à Manuel Valls de prendre contact avec la nouvelle équipe de discussions désignée par le Front depuis la disgrâce du député Emmanuel Tjibaou – qui avait validé, le 12 juillet, cet accord entre l’Etat, indépendantistes et non-indépendantistes – et dans laquelle figurent deux ténors de l’Union calédonienne, composante historique du FLNKS, Pierre-Chanel Tutugoro et Gilbert Tyuienon. Une désignation qui démontre que, contrairement à ce qu’assuraient une partie des non-indépendantistes mais aussi Manuel Valls lui-même, la frange radicale du FLNKS n’a pas totalement pris le pouvoir au sein du mouvement.

Cet échec à « convaincre le FLNKS de s’inscrire dans le processus de Bougival », comme l’espérait Manuel Valls, laisse planer le doute quant à la possibilité de voir l’accord aboutir réellement. « Peut-on réussir un accord de décolonisation sans le FLNKS ? Je ne crois pas », a estimé le président de L’Eveil océanien, Milakulo Tukumuli, exhortant le mouvement indépendantiste à revenir à la table des discussions.

M. Valls assure de son côté repartir « avec le sentiment que l’accord de Bougival est conforté et que nous avons beaucoup avancé ». La loi constitutionnelle, rédigée à partir de la proposition du gouvernement, est ficelée, après trois réunions du comité de rédaction, réunissant les signataires de l’accord, en charge de « préciser », d’« affiner » le texte. Seul couac : le retrait, après une séance seulement, du Sénat coutumier, invité par le ministre à prendre part aux travaux. L’institution a estimé que ses propositions n’étaient pas prises en compte. Comme le FLNKS, le Sénat se dit prêt à « poursuivre le dialogue », mais hors des discussions sur l’accord de Bougival.

Pour le ministre, la société néo-calédonienne, épuisée par les violences de 2024 et par la crise économique, aspire à tourner la page : « La société calédonienne attend un accord. Mais la société calédonienne, ce n’est pas que le FLNKS. Donc je les invite aussi à reprendre contact avec les autres groupes politiques. Un espace de discussion existe. Il faut le saisir. »

Le spectre de nouvelles tensions

Des paroles rassurantes qui se heurtent à la grande inconnue qu’est le poids du FLNKS, comme celui de tous les partis néo-calédoniens : la crise insurrectionnelle de 2024 a rebattu les cartes tant du côté indépendantiste que du côté non-indépendantiste. Et personne ne s’est compté depuis longtemps : le mandat des élus provinciaux et du Congrès, entamé en 2019, aurait dû s’achever en 2024, mais les élections ont déjà été repoussées à deux reprises. La mobilisation de mai 2024, qui a dégénéré en émeutes, a montré la capacité du FLNKS à rassembler, alors que déjà on le disait isolé.

Or le spectre de nouvelles tensions, attisées par une crise économique sans précédent qui touche principalement la communauté kanak, est dans tous les esprits. « L’Etat, cette fois, ne se laisserait pas surprendre », explique Manuel Valls. Mais, s’il devait quitter le gouvernement, son successeur mettrait-il la même combativité à défendre l’accord de Bougival, avec les risques politiques que cela implique, sans l’avoir porté ? Si le gouvernement devait tomber le 8 septembre, le texte pourrait tout de même être présenté en conseil des ministres le 17. L’accord est « soutenu par le président de la République, le chef du gouvernement, les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, ainsi que par une majorité des partis nationaux », énumère le ministre des outre-mer.

Mais, même si la représentation nationale devait échapper à une dissolution, le Rassemblement national a déjà fait savoir qu’il pourrait ne pas voter le texte. La France insoumise, qui a accueilli la semaine dernière Christian Tein, leader indépendantiste kanak, dans ses universités d’été, ne devrait pas le soutenir. Et ceux qui y sont favorables regarderont de près la situation en Nouvelle-Calédonie : en 2024, les émeutes avaient en effet éclaté le jour de l’examen de la réforme contestée du corps électoral par l’Assemblée nationale.

[Source: Le Monde]