Logement : les étudiants parisiens fuient la capitale, devenue inabordable, pour la Seine-Saint-Denis

Une majorité d’étudiants de Paris sont contraints d’élire domicile ailleurs, comme à Saint-Denis, une ville bien desservie par les transports en commun où les loyers et le coût de la vie sont moindres.

Août 29, 2025 - 01:37
Logement : les étudiants parisiens fuient la capitale, devenue inabordable, pour la Seine-Saint-Denis
AGNES DHERBEYS/MYOP POUR «LE MONDE»

« Nous sommes dans le pic de la galère pour les étudiants à la recherche d’un logement. » A une semaine de la rentrée, Laetitia Caron, directrice générale de PAP-Particulier à particulier, observe le nombre de contacts générés par les annonces de location mises en ligne sur son site. Si Paris figure en tête des demandes, la Seine-Saint-Denis « attire de plus en plus les étudiants, constate-t-elle. Dans le “93”, certaines annonces donnent actuellement lieu à plus de 500 contacts ».

Les agences immobilières du département, assaillies de demandes, évoquent un basculement. « Le Grand Paris devient concret en cette rentrée, alors qu’en 2024 encore cela paraissait lointain, déclare Paul Pereira, directeur de deux agences Century 21, à Drancy et au Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis. Les prix parisiens font fuir les étudiants, dont les parents ne peuvent plus suivre. Ils réalisent qu’être à vingt minutes de Paris, ce n’est pas dramatique. »

Ses deux agences ont reçu ces derniers jours par e-mail quelque 140 demandes d’appartement quotidiennes, et collectent à flux continu des dossiers d’étudiants, très majoritairement inscrits dans l’enseignement supérieur parisien.

Hiérarchie sociale

Seuls 44 % des étudiants de l’académie de Paris y résident, contre près de 50 % il y a vingt ans, révélait en juin une étude de la chambre régionale des comptes. La capitale ne cesse d’attirer de nouveaux étudiants : la hausse se chiffre à 105 000 entre les rentrées 2001 et 2023, soit une croissance de 36 %, selon l’Atelier parisien d’urbanisme. Mais la majorité d’entre eux sont contraints d’élire domicile ailleurs. Ainsi, 32 % des étudiants de Paris habitent en petite couronne et 18 % en grande couronne, indique l’enquête sur les conditions de vie réalisée début 2023 par l’Observatoire de la vie étudiante (OVE).

En résulte une nouvelle hiérarchie sociale : à 54 %, ceux qui vivent dans la capitale sont issus d’une famille avec un parent cadre, à 28 % d’une famille avec un parent ouvrier ou employé. « Plus leur origine sociale est élevée, plus les étudiants vivent à Paris », souligne Fanny Bugeja-Bloch, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris-Nanterre.

« La Seine-Saint-Denis est un marché de report pour les étudiants parisiens qui prend de plus en plus d’ampleur, confirme Salim Bennaï, responsable de plusieurs agences ORPI, notamment à Aubervilliers et à Saint-Denis, dans le quartier de La Plaine Saint-Denis. Un studio de 20 mètres carrés se loue 600 à 650 euros charges comprises à Aubervilliers ou à Saint-Denis. C’est facilement 100 à 200 euros de moins qu’à Paris, porte de La Chapelle, à seulement deux stations de métro. Et à Saint-Denis, nous avons des commerces de centre-ville et tous les transports. »

Sur le site PAP, Montreuil (Seine-Saint-Denis) arrive en tête du top 10 des villes de petite couronne les plus demandées, et le top 20 révèle une présence marquée de communes de Seine-Saint-Denis. « Saint-Ouen, Aubervilliers, Livry-Gargan, Noisy-le-Grand et Saint-Denis font partie des villes qui montent en puissance dans les recherches étudiantes, note le spécialiste des annonces entre particuliers. Ce phénomène confirme l’intérêt croissant pour un territoire longtemps écarté des circuits locatifs étudiants traditionnels. »

Outre les loyers plus abordables que ceux de Paris et un réseau de transports qui s’est grandement étoffé grâce à l’extension de la ligne 14 et aux lignes de tramway, l’effet des Jeux olympiques a rendu la Seine-Saint-Denis plus accessible. Le logement étudiant y est en pleine expansion, avec un doublement du parc prévu entre 2018 et 2028, pour atteindre 12 000 logements.

« Rééquilibrer la dynamique »

Il faut veiller toutefois à « rééquilibrer la dynamique », soulignait la Cour des comptes dans un rapport sur le soutien public au logement étudiant, le 3 juillet. En effet, sur 45 000 étudiants inscrits dans une formation sur le territoire de Plaine Commune – qui regroupe neuf villes à la frontière nord de Paris –, un quart seulement y résident, alors que près de 10 000 étudiants qui y habitent étudient ailleurs.

Abritant deux universités, à Saint-Denis et à Villetaneuse, la Seine-Saint-Denis doit avant tout loger ses propres étudiants. « Ici, on manque déjà de logements pour eux. Par défaut, ils prennent des colocations, plus faciles à trouver », reprend Salim Bennaï. Celles-ci représentent désormais 30 % de son portefeuille de locations. « On constate que les étudiants parisiens vont habiter en petite couronne et que ceux inscrits en proche banlieue se retrouvent contraints de se loger dans une banlieue plus lointaine », ajoute-t-il.

Pour répondre aux besoins locaux croissants, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de Créteil « attache une importance particulière à satisfaire les demandes des étudiants cristoliens » en fonction de leur échelon de bourses, de leur propre classement des résidences et des places disponibles, indique un responsable. Pour augmenter ses capacités d’accueil, le Crous veut doubler d’ici à 2035 son parc, qui compte aujourd’hui 5 600 places dans trente résidences de l’académie.

A deux pas de l’université Paris-VIII Saint-Denis, la résidence Marie-Curie, l’une des 26 (pour 2 700 logements) que gère en petite couronne le bailleur social Espacil, accueille près de 160 étudiants. Pour ce type de chambre avec kitchenette louée autour de 450 euros, Espacil reçoit 53 demandes pour un logement. Le bailleur est aussi présent à Paris, avec 500 logements répartis dans 4 résidences, qui reçoivent 371 demandes pour un logement.

Un emploi à côté des études

Pour plus de la moitié des étudiants qui résident à Marie-Curie, le temps de trajet quotidien pour aller en cours atteint deux heures, aller-retour, en transports en commun.

« Mon critère principal, c’est les transports : il me fallait un logement proche du métro », témoigne Kord (les personnes citées par leur prénom n’ont pas souhaité donner leur nom), qui traverse Paris tous les jours, du nord au sud, pour rejoindre son école de commerce. Idem pour Farid, inscrit dans une école de marketing de l’Est parisien, qui dit se plaire à Saint-Denis. « Pour des étudiants modestes comme moi, ça fait la différence d’habiter dans une ville de la petite couronne. On m’avait proposé une autre résidence dans le 19arrondissement, mais j’ai choisi Saint-Denis, car il y avait une différence de 200 euros de loyer, explique-t-il. En plus, les commerces sont beaucoup moins chers. Faire ses courses à Paris, c’est quasiment le double. »

Quitter le foyer familial au moment de s’engager dans l’enseignement supérieur est vécu comme un facteur de réussite, rappelle Pascale Dietrich-Ragon, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques, autrice en 2021 d’un article consacré aux étudiants des catégories populaires face à la décohabitation familiale.

Avec un risque majeur toutefois : pour être solvable, avoir un emploi à côté des études s’impose bien souvent. « Ils se mettent à travailler, puis à travailler de plus en plus, car le logement requiert toutes leurs ressources, poursuit la chercheuse. Ils étudient donc de moins en moins et certains entament un parcours de sortie d’études. »

Adama, qui habite lui aussi dans la résidence Marie-Curie, a connu cette spirale durant sa première année de licence en science politique à l’université Paris-VIII. « J’étais barman à Bry-sur-Marne [Val-de-Marne], à une heure dix de transport de Saint-Denis. Cela m’a pris tellement de temps de trajet que j’ai lâché le rythme des études et j’ai dû redoubler », narre-t-il.

Son voisin de chambre, Soamboala, vient justement de déposer son CV dans des commerces, des supermarchés, mais aussi dans des établissements scolaires pour un poste de surveillant. « Je ne serai plus boursier à la rentrée, ce qui va compliquer mon quotidien », souligne l’étudiant en master sur les questions de patrimoine à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Il reste plein d’espoir. « On m’a dit qu’on me rendrait une réponse tout début septembre, je serai donc vite fixé sur mon sort. »

Selon le rapport de l’OVE de 2023, 6 % des étudiants ont une activité professionnelle « concurrente ou très concurrente des études », à mi-temps ou plus. Ce qui se traduit chaque semaine par une moyenne de quatre heures de cours et de quatre heures de travail personnel de moins par rapport aux autres étudiants.

[Source: Le Monde]