L’océan continue de se dégrader sous l’effet d’un réchauffement climatique record

Le neuvième rapport sur l’état de l’océan publié mardi par l’Institut européen Copernicus et l’organisation scientifique Mercator Ocean International alerte sur les impacts du réchauffement sur les écosystèmes marins.

Oct 2, 2025 - 13:12
L’océan continue de se dégrader sous l’effet d’un réchauffement climatique record
Un poisson-clown caché dans les tentacules d’une anémone blanchies par les températures extrêmes du phénomène El Niño, à Mayotte, le 4 juin 2024. GABRIEL BARATHIEU / BIOSPHOTO VIA AFP

Les immensités marines auront occupé une place particulière dans la diplomatie environnementale en 2025. Une conférence des Nations unies sur l’océan, à Nice, en juin, et un traité sur la haute mer ratifié par plus de 60 pays en septembre, ce qui ouvre la voie à une conférence des parties (COP) consacrée à cet enjeu. Pendant que les dirigeants du monde se penchaient sur leur sort, les mers, écosystèmes cruciaux pour l’avenir de la planète, ont continué à se dégrader. « Chaque partie de l’océan est désormais affectée par la triple crise planétaire : le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution », explique le neuvième rapport sur l’état de l’océan, publié mardi 30 septembre par l’Institut européen Copernicus et rédigé par l’organisation scientifique Mercator Ocean International.

Piochant dans les gigaoctets d’observations quotidiennes centralisées par Copernicus, les 70 scientifiques ont synthétisé les travaux et les données existantes, mais aussi réalisé 12 études spécifiques pour établir le constat le plus clair possible. Dans toutes les régions du globe, l’océan, qui absorbe 90 % de l’excès de chaleur généré par les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, est gravement affecté par le dérèglement climatique. Au printemps 2024, la température moyenne des eaux de surface a battu son record, 21 °C. Ce réchauffement affecte grandement les côtes européennes. Depuis 1982, les eaux du nord-est de l’Atlantique subissent une augmentation deux fois supérieure à la moyenne globale, soit 0,27 °C par décennie. En Méditerranée, l’augmentation est de 0,41 °C par décennie, atteignant 0,6 °C dans les mers Egée, Adriatique et le bassin Levantin. « Bien que la moyenne mondiale des températures de surface évolue lentement, de faibles variations en apparence peuvent pourtant bouleverser profondément les grands équilibres du système terrestre », préviennent les auteurs.

Rappelant le fait que l’Arctique et l’Antarctique subissent de plein fouet cette évolution (l’Arctique a enregistré quatre minima de surface de glace historique entre décembre 2024 et mars 2025), Mercator Ocean s’est concentré sur le phénomène des canicules marines, des moments de surchauffe où la moyenne des températures de surface dépasse pendant plus de cinq jours un seuil très élevé. En 2023, 63 % de l’immense zone autour du tropique du Cancer, dans l’Atlantique Nord, a subi un tel phénomène de façon simultanée et sur de longues périodes. Certains endroits ont ainsi enduré plus de trois cents jours de canicule dans l’année.

Blanchissement des coraux

En Méditerranée, la vague de chaleur marine la plus longue a frappé entre mai 2022 et début 2023, avec des températures de surface supérieures en moyenne de 4,3 °C par rapport à la normale. « Nous assistons à une intensification et à une multiplication de ces canicules, analyse Karina von Schuckmann, océanographe à Mercator Ocean et directrice du rapport. L’océan subit directement l’effet de serre et absorbe une partie de la chaleur accumulée par le réchauffement climatique d’origine humaine. Puis les courants amplifient encore ce phénomène. »

Cette évolution progressive et ces pics de chaleur ont des conséquences directes sur la vie animale, parfois au bénéfice des activités humaines. Ainsi, les eaux plus chaudes des fonds marins en Nouvelle-Ecosse, à l’est du Canada, augmentent les déplacements des homards et améliorent les taux de capture, les crustacés étant plus vulnérables aux casiers. Le réchauffement et l’acidification menacent néanmoins de nombreux écosystèmes, par exemple les zones coralliennes qui sont entrées officiellement, depuis avril 2024, dans un quatrième épisode mondial de blanchissement. Ailleurs, les dérèglements sont très favorables aux espèces invasives. « Les crabes bleus atlantiques ont causé un effondrement de 75 % à 100 % de la production de palourdes dans le delta du Pô, tandis que les vers de feu barbus ont perturbé la pêche artisanale en Sicile », peut-on lire dans le rapport.

En perturbant l’océan, les activités humaines créent aussi de grandes incertitudes sur d’autres sources de revenus et de développement. Selon Mercator Ocean, 75 % des pays émettant plus de 10 000 tonnes de déchets plastiques par an bordent des récifs coralliens dont dépendent des pêcheurs et des entreprises liées au tourisme. Avec la dilatation de l’océan et la fonte des glaces terrestres, le niveau moyen de la mer a augmenté de 228 millimètres entre 1901 et 2024, ce qui accroît les risques d’inondation et d’érosion dans les zones côtières où vivent près de 200 millions de personnes le long des côtes européennes. « De nombreux sites du Patrimoine mondial de l’Uneco, situés dans des zones littorales basses en Europe, seront voués à être submergés dans les siècles ou millénaires à venir en raison de la montée des eaux », explique le document.

« Sources d’information indépendantes »

Ce rapport, fourmillant d’exemples et conçu de la façon la plus didactique possible, vise le grand public, mais aussi les chefs d’Etat et de gouvernement qui doivent se réunir, les 6 et 7 novembre, à Bélem, au Brésil, quelques jours avant l’ouverture officielle de la trentième conférence des parties (COP30).

Ce travail permet à l’Union européenne d’« avoir à sa disposition ses propres sources d’information indépendantes » dans un « moment particulier », a déclaré, le 23 septembre, lors d’une conférence de presse, Richard Gilmore, directeur général chargé des industries de défense et spatiales au sein de la Commission européenne, chargé des données satellites. Aux Etats-Unis, le président Donald Trump entrave la National Oceanic and Atmospheric Administration, institut crucial pour la connaissance de l’impact humain sur l’océan. Le rapport « permet d’avoir une vision globale des choses, de constater les conséquences de nos activités sur la physique et la chimie de l’océan, sur la biodiversité mais aussi sur les emplois, le tourisme, conclut Mme von Schuckmann. Finalement, cette vision est inquiétante, mais elle permet aussi de mesurer les efforts à faire ».

[Source: Le Monde]