En Côte d’Ivoire, les femmes et les minorités sexuelles fragilisées par le retrait des aides des Etats-Unis
Planification familiale, lutte contre la mortalité maternelle et infantile, soins contre le sida… Dans de nombreux domaines, les ONG craignent une « régression historique » six mois après l’arrêt des financements américains.
Il semble lointain le temps où Ivanka Trump, la fille du président américain, se rendait en Côte d’Ivoire pour promouvoir les droits des femmes. En robe blanche immaculée, elle était allée arpenter les plantations de cacao de la région d’Adzopé, au nord d’Abidjan, dansant avec les femmes qui y travaillaient. C’était en 2019, lors du premier mandat de son père, et elle était alors accompagnée de Mark Green, l’administrateur de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid), celle-là même que Donald Trump a démantelée dès le premier jour de son second mandat.
Il y a six ans, Ivanka Trump était venue appuyer l’Initiative mondiale pour le développement et la prospérité des femmes (W-GDP), destinée à aider à l’autonomisation économique de 50 millions de bénéficiaires, et elle avait annoncé une dotation de 2 millions de dollars (environ 1,7 million d’euros) pour les caisses d’épargne de cacaocultrices. « Quand on aide les femmes à être indépendantes financièrement, plaidait-elle, elles peuvent participer à la prospérité de leur pays. » Sa visite avait intensifié les actions de l’Usaid en la matière, tous brutalement abandonnés en janvier.
« Il nous a été demandé d’arrêter immédiatement les activités », regrette Francine Aka-Anghui, l’ex-présidente de l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire, qui travaillait sur l’un de ces projets : « Pour nos bénéficiaires, l’espoir s’est envolé d’un coup. » « L’arrêt de l’aide américaine est dramatique pour les Africaines, soupire la féministe ivoirienne Sylvia Apata. L’Usaid avait permis des avancées considérables des droits des femmes sur le continent. A moins que les gouvernements africains ne prennent leurs responsabilités, et j’en doute, nous allons assister à une régression historique. »
L’Etat a partiellement pris le relais
Le démantèlement de l’Usaid frappe les femmes et les minorités sexuelles dans tous les domaines, économiques mais aussi sanitaires, alors que les Etats-Unis étaient les plus grands donateurs en matière de planification familiale. En 2023, ils finançaient 43 % des programmes mondiaux consacrés aux soins reproductifs, dont la moitié étaient destinés à des pays africains.
Parmi eux, le projet Propel en Afrique de l’Ouest, qui venait justement de réussir à mobiliser des fonds pour que la contraception soit gratuite en Côte d’Ivoire. L’agence américaine dirigeait aussi l’initiative Momentum, une série de projets visant à la fois à améliorer la planification familiale et à réduire la mortalité maternelle, néonatale et infantile en Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire était visée, puisque le taux de mortalité maternelle y était encore de 385 décès pour 100 000 naissances vivantes en 2021 – un chiffre cinq fois supérieur à l’objectif fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les projets Propel et Momentum ont tous deux été abandonnés.
Pour le gouvernement ivoirien, l’urgence est de préserver les programmes de soin contre le VIH. Alors qu’un vote du Sénat américain, mi-juillet, a permis de sauver une partie du Plan d’urgence du président pour la lutte contre le sida (Pepfar) en évitant que 400 millions de dollars ne soient coupés, assurant la fourniture d’antirétroviraux, le gouvernement a promis de compenser les pertes liées à la fin de l’Usaid. L’Etat ivoirien a pris le relais dans les quelques zones où la fourniture des traitements était interrompue, grâce à un plan de contingence élaboré par le ministère de la santé.
Mi-juillet, le vice-président ivoirien, Tiémoko Meyliet Koné, a promis « une nouvelle stratégie de mobilisation de financements, avec une contribution plus importante des ressources domestiques », sans toutefois donner de chiffres. « Le gouvernement ivoirien montre que l’on peut pallier, même a minima, les aléas de l’aide internationale en prenant ses responsabilités de premier responsable de la santé des siens », salue Fred Eboko, représentant de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) en Côte d’Ivoire.
Les « populations clés » abandonnées
Mais ces mesures de court terme ne suffiront pas à empêcher une recrudescence de l’épidémie, alertent les ONG. Car les secteurs de la prévention, du dépistage et de l’encadrement communautaire ont pâti directement du gel de l’aide américaine, puisque Washington a choisi d’exclure explicitement les programmes DEI – pour « diversité, équité, inclusion », acronyme devenu étendard « anti-woke ». Il n’y a donc plus de prise en charge différenciée pour les « populations clés » (LGBT, travailleurs du sexe et usagers de drogue) les plus lourdement touchées par le VIH et les plus sévèrement marginalisées dans la population ivoirienne, pour lesquelles le gouvernement n’a pas pris le relais.
Les organisations de la société civile qui ciblaient ces catégories, comme Espace Confiance, l’Association de soutien à l’autopromotion sanitaire et urbaine (Asapsu) et Blety, ont cessé depuis mars toutes leurs activités soutenues par l’Usaid. Et une partie des centres d’hébergement, ces refuges pour LGBT rejetés par leurs familles, ont dû fermer leurs portes faute de financement. « La prise en charge communautaire, qui est aussi importante que la prise en charge clinique, n’existe plus du tout, résume Yvan N’Gadi, responsable de plaidoyer à l’ONG Solthis. La prévalence du VIH risque donc de croître rapidement. Ce n’est pas un problème idéologique, c’est un problème sanitaire. »
Dans des sociétés où l’homophobie reste largement répandue, l’inquiétude est aussi sociétale. « L’arrêt de l’Usaid fragilise le positionnement des organisations LGBT », regrette Anicat Ouanyou, directrice exécutive du Réseau des organisations des populations clés de Côte d’Ivoire (ROPC-CI), qui regroupe 47 organisations. Elle constate une aggravation de leur stigmatisation ces six derniers mois. « On nous dit : “Vous pensiez avoir des alliés puissants, mais ils vous ont laissé tomber.” Notre principal protecteur nous a abandonnés. »
[Source: Le Monde]