Au Maroc, le cri d’alarme de la génération Z
Les autorités du royaume chérifien, tout absorbées par des chantiers de prestige, lancés pour la Coupe d’Afrique des nations de football et de la Coupe du monde de 2030, ont été prises de court par la révolte d’une jeunesse mobilisée contre les injustices sociales.

La colère sociale gronde au Maroc. Le royaume chérifien est le théâtre depuis le 27 septembre de rassemblements quotidiens de jeunes protestataires − parfois mineurs − réclamant de meilleurs services d’éducation et de santé. Dans la nuit de mercredi 1er à jeudi 2 octobre, des débordements violents à proximité d’Agadir, dans le sud du pays, ont causé la mort de trois manifestants.
Face à une fièvre contestataire comme le Maroc n’en avait pas connu depuis la révolte du Rif (Nord) en 2016-2017, le gouvernement paraît pris de court. Le premier ministre, Aziz Akhannouch, s’est dit prêt jeudi à « dialoguer » afin de « répondre aux revendications sociales » des jeunes. Il est toutefois douteux que ces derniers se contentent de promesses creuses.
Le mouvement est né d’une indignation générale face à la mort de huit femmes à la mi-septembre dans un hôpital d’Agadir après des accouchements par césarienne, tragique illustration d’un secteur de la santé à l’abandon. Une dizaine de jours plus tard, la mobilisation se structurait sur le réseau social Discord sous la bannière d’un collectif GenZ 212.
Ce dernier se présente comme une déclinaison locale (212 est l’indicatif téléphonique du Maroc) d’une génération Z − née entre 1997 et 2012 − qui a déjà fait vaciller le pouvoir au Sri Lanka, au Bangladesh et au Népal, et enfiévré plus récemment Madagascar. Connexion numérique, aspiration à la dignité et rejet de la vieille politique : la jeunesse marocaine se met au diapason d’un soulèvement transnational.
A la différence de leurs camarades de génération, les jeunes Marocains se gardent toutefois bien de franchir une ligne rouge : la sacralité de l’institution royale. Si nombre d’entre eux réclament la démission du chef de gouvernement Akhannouch, homme d’affaires richissime et symbole d’une oligarchie conquérante, nul n’appelle à la fin d’une monarchie multiséculaire à laquelle la population demeure attachée malgré l’acuité des doléances sociales.
Le coup est rude
L’agitation actuelle ne résonne pas moins comme une alarme inquiétante dont le Palais devra prendre toute la mesure, car elle sanctionne l’échec de politiques publiques pourtant maintes fois proclamées dans les discours officiels, notamment le fameux chantier de l’« initiative nationale pour le développement humain » remontant à 2005. Les bonnes intentions n’ont pas résisté à un modèle économique − le capitalisme de rente et de connivence − générant factures sociales et déséquilibres régionaux au profit d’une minorité de superprivilégiés.
Déjà électrique, le climat social n’a cessé de se tendre, à mesure que les prestigieux projets lancés dans la perspective de la Coupe d’Afrique des nations de football, qui s’ouvre fin décembre, et de la Coupe du monde de 2030 − que le Maroc coorganisera avec l’Espagne et le Portugal − détournaient les financements des priorités sanitaires et éducatives. Le régime espérait désamorcer le ressentiment populaire dans le patriotisme sportif : il s’est trompé. « Des écoles et des hôpitaux, plutôt que des stades ! », clame en substance la jeunesse soulevée.
La GenZ 212 braque une lumière crue sur l’envers de la vitrine scintillante d’un Maroc « émergent ». Le coup est rude pour l’image que le royaume aime à projeter de lui-même à l’étranger. Confronté à la revanche du réel, il lui faudra plus que d’habiles expédients pour apaiser la tension ambiante : le courage de s’attaquer à un double monopole − politique et économique − qui exhibe sans fard ses travers.
[Source: Le Monde]