Les autorités de Kaboul refusent la demande d’Islamabad d’empêcher les talibans pakistanais de commettre des exactions
Le Pakistan intensifie la pression sur les talibans afghans pour qu’ils rompent tout lien avec le Tehrik-e-Taliban Pakistan, soupçonné d’utiliser l’Afghanistan comme base arrière. Cette exigence provoque une rupture des négociations et ravive les tensions frontalières.
L’hospitalité des talibans afghans accordée aux djihadistes d’Al-Qaida avait conduit, en 2001, les Américains à renverser par la force leur régime après les attentats commis aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les Pakistanais mettent à leur tour la pression sur ces mêmes islamistes afghans, revenus au pouvoir en 2021, pour qu’ils refusent tout refuge aux talibans pakistanais du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) en guerre avec Islamabad. Pour l’heure, le cessez-le-feu signé le 19 octobre au Qatar a mis fin aux affrontements entre l’Afghanistan et le Pakistan. Mais le processus d’apaisement entre les deux pays a été rompu le 7 novembre. La délégation pakistanaise venait d’exiger des Afghans qu’ils promulguent une fatwa contre le TTP, a rapporté, mercredi 12 novembre, Zabihullah Mujahid, le porte-parole du gouvernement taliban. Inacceptable pour ce dernier.
Soucieuses de démontrer leur bonne foi, les autorités islamistes de Kaboul ont rassemblé, le 10 novembre, au ministère des affaires étrangères taliban, l’essentiel de la communauté diplomatique internationale du pays, notamment les ambassadeurs d’Asie centrale, chinois, russe et les représentants de l’Union européenne et des Nations unies. Le Pakistan n’avait pas été convié. « Les talibans nous ont expliqué, rapporte un diplomate présent à cette réunion, qu’ils avaient quitté la table des négociations car le Pakistan leur demandait de s’engager à empêcher toute opération du TTP. Ils ont répondu qu’ils ne pouvaient pas être tenus responsables [des actions du TTP]. »
Les Pakistanais en font pourtant une condition sine qua non à la reprise des négociations entre les deux pays. Début octobre, le premier ministre, Shehbaz Sharif, avait exhorté Kaboul à « choisir entre le Pakistan et le TTP ». Islamabad réclame depuis des mois l’arrestation de 20 dirigeants du TTP et l’exclusion d’Afghanistan de cette mouvance djihadiste qui a fait allégeance à Al-Qaida. Les talibans ont pris publiquement des engagements en ce sens, mais, selon Islamabad, ils ne les auraient pas tenus. « D’où, d’après le diplomate invité à la réunion du 10 novembre, l’exigence d’une fatwa émise par le chef suprême des talibans, l’émir Haibatullah Akhundzada, à l’encontre du TTP qui aurait force de loi. »
Attentats à répétition
Faute d’avancée et depuis la nomination, fin 2022, d’un chef d’état-major des armées, Asim Munir, adepte de la manière forte, Islamabad a décidé de hausser le ton. Outre les incursions armées sur le sol afghan, les forces de sécurité pakistanaises ont mené des frappes aériennes à l’intérieur du territoire afghan, sur des camps présumés du TTP. D’après Kaboul, des commandos pilotés par le Pakistan auraient été infiltrés au cœur de Kaboul. Le 15 octobre, une première attaque a été perpétrée dans le quartier de Taïmani contre des membres du renseignement taliban (GDI) et du TTP. Le même jour, un deuxième attentat a visé, également dans la capitale, un convoi de deux voitures dans lesquelles se trouvaient des islamistes pakistanais.
Ces opérations faisaient suite à des opérations meurtrières conduites, selon le Pakistan, par le TTP. Début juillet, quatre responsables des autorités locales et de la police étaient tués dans une explosion dans le nord-ouest du Pakistan, dont deux hauts gradés. Quelques jours plus tôt, une quinzaine de soldats perdaient la vie dans un attentat-suicide mené par le TTP, qui a, de nouveau, revendiqué l’attentat commis, mardi, à Islamabad, tuant 12 personnes. Le gouvernement pakistanais avait espéré que le retour des talibans afghans au pouvoir, mi-août 2021, marquerait la fin des violences insurrectionnelles dans la région. En vain.
Les talibans afghans et pakistanais sont issus de la même ethnie pachtoune et de la même région, à cheval sur la frontière afghano-pakistanaise. Le TTP est devenu, peu à peu, après la chute du régime taliban, en 2001, une force militaire, après s’être constitué, en 2007, en mouvement unifié. Ses membres avaient fait place nette en tuant plusieurs centaines de chefs tribaux locaux qui s’opposaient à leur emprise et sont parvenus à être des interlocuteurs du jeu politique pakistanais. Affaiblis, à partir de 2015, après avoir été chassés de leur fief des zones tribales, ils ont retrouvé des forces depuis la victoire de leurs cousins afghans et fait renaître la flamme du combat contre le gouvernement pakistanais et son armée.
L’arme économique
Avant d’être l’objet d’un conflit frontal entre Kaboul et Islamabad, les relations entre le TTP et le gouvernement d’Islamabad ont fluctué entre dialogue et répression. Fin 2021, un accord de cessez-le-feu a été conclu, durant un mois, avant d’être rompu. En mai 2022, les talibans afghans, soucieux de faire taire le courroux d’Islamabad à leur égard, ont poussé le TTP à revenir à la table des négociations et obtenu une nouvelle trêve qui n’a duré que quelques mois. Le 30 janvier 2023, une attaque-suicide dans une mosquée située au cœur du quartier général de la police de Peshawar, dans le nord-ouest du Pakistan, a marqué un point de non-retour. Près de 90 personnes, essentiellement des policiers, ont été tuées, marquant l’échec du processus de paix engagé sous l’égide des talibans afghans.
[Source: Le Monde]