Au Liban, le gouvernement s’engage à désarmer le Hezbollah, sous la pression des Etats-Unis

Le pouvoir libanais a adopté la feuille de route soumise par l’émissaire américain Tom Barrack. Mais le refus des ministres chiites d’avaliser ce projet fragilise sa mise en œuvre.

Août 9, 2025 - 17:38
Au Liban, le gouvernement s’engage à désarmer le Hezbollah, sous la pression des Etats-Unis
Des partisans du Hezbollah libanais, lors d’un rassemblement pour protester contre l’approbation par le gouvernement d’un plan de désarmement du mouvement, dans la banlieue sud de Beyrouth, le 7 août 2025. IBRAHIM AMRO / AFP

La réunion du gouvernement libanais, jeudi 7 août, devait tenter de resserrer les rangs après la montée des tensions sur la question du désarmement du Hezbollah. Le contraire s’est produit : quatre ministres présents (le cabinet compte vingt-quatre ministres de diverses tendances) ont refusé d’endosser un texte soumis par l’émissaire de Washington au Proche-Orient, Tom Barrack. Ils ont quitté la séance. Le document a néanmoins été adopté. S’il est encore trop tôt pour parler de crise politique, cette séquence laisse présager de futurs blocages.

L’initiative américaine est une sorte de feuille de route pour pacifier les relations entre Israël et le Liban. Deux des onze points sont consacrés au désarmement du Hezbollah, assujetti à un calendrier. Le 5 août, Beyrouth s’est déjà engagé à achever ce processus d’ici au 31 décembre. L’armée libanaise doit présenter, avant la fin d’août, un plan pour venir à bout de cet arsenal. Selon une source proche du gouvernement, c’est le « principe d’une date aussi rapprochée » – par ailleurs assez « irréaliste », au vu des lenteurs de la prise de décision au Liban – qui avait créé les premières frictions.

L’adoption d’un calendrier et de la feuille de route a été saluée par Washington, qui avait exercé une forte pression en amont, et par Paris. Mais, dans le Liban multiconfessionnel, l’absence de soutien des représentants d’une communauté fragilise la portée de ce geste. Les quatre ministres en porte-à-faux sont chiites. Deux ont été nommés par le Hezbollah, une autre par Amal (le parti du président du Parlement, Nabih Berri, qui compte un autre ministre, absent). Le quatrième, un indépendant, avait été choisi par le président, Joseph Aoun, et par le premier ministre, Nawaf Salam. Il avait été copieusement insulté sur les réseaux sociaux par des partisans du Hezbollah pour ne s’être pas retiré de la séance du 5 août. Jeudi, il a quitté la salle évoquant l’« absence d’une composante-clé de la discussion ».

Le principe de l’armée libanaise détenant le monopole des armes avait pourtant été acté lors de la formation du gouvernement de M. Salam, en février, et défendu par le président Aoun, lors de son élection, en janvier. Le chef de l’Etat avait engagé ces derniers mois un dialogue avec le Hezbollah qui, de l’avis d’un proche de M. Aoun, était positif. Le président plaidait en parallèle pour des concessions israéliennes, en particulier la fin des attaques quotidiennes menées au Liban par l’Etat hébreu, en violation de la trêve du 27 novembre 2024. Il réclame également le retrait de l’armée israélienne de cinq points qu’elle occupe en territoire libanais.

Frappes israéliennes

Venu, en juillet, à Beyrouth, M. Barrack avait déclaré que Washington ne pouvait donner aucune garantie sur les décisions de son allié israélien. Des propos qu’il a ensuite tenus sur le risque d’une désintégration du Liban, dans le cas où celui-ci ne se plierait pas à sa feuille de route, avaient été interprétés comme une menace – même s’il s’en était défendu. La visite de l’émissaire américain avait été perçue par une partie de l’opinion libanaise comme une ultime mise en garde, avant une nouvelle vaste offensive israélienne, très redoutée.

Au moment même où le document a été signé, deux frappes israéliennes meurtrières ont frappé l’est du pays. La veille, le 6 août, l’armée israélienne en avait pilonné le sud, assurant viser des infrastructures du Hezbollah. « Le minimum, pour que s’engage une discussion sur les armes du Hezbollah, est que le cessez-le-feu soit appliqué », confiait au Monde une source proche de M. Berri. « Le Liban a fait sa part, il a retiré les armes du Hezbollah dans le sud, déployé son armée, mais Israël n’a rien fait, accuse-t-il. Pourquoi, dans ces conditions, le Liban devrait-il donner plus de gages à Israël par un nouvel accord ? »

De fortes pressions américaines ont été exercées sur les autorités libanaises, y compris par un chantage sur l’argent de la reconstruction. Une source proche du gouvernement estime cependant qu’il était impératif de sortir du « statu quo, qui profite à Israël ». « La situation est peut-être gérable pour le Hezbollah, mais pas viable pour le Liban [l’économie est paralysée par les attaques israéliennes et l’absence de reconstruction] et il y a une majorité au sein du cabinet qui s’accorde sur ce sujet », ajoute cette source. Le gouvernement, toujours selon cette même source, s’est gardé de se ranger aux positions maximalistes d’une partie du cabinet qui voulait « délégitimer le Hezbollah. C’est la possession des armes que le cabinet a délégitimée ».

L’adoption d’un calendrier serré crée une nouvelle donne. Cette accélération pourrait encore aggraver les tensions entre ceux qui ne veulent plus d’une milice armée et ceux qui la considèrent comme le seul rempart face à Israël. Le chef de l’Etat avait longtemps résisté à l’imposition d’un calendrier, craignant que celle-ci porte le risque de violences internes : confrontations armées entre soldats et combattants du Hezbollah, ou tensions politico-confessionnelles.

Les Etats-Unis, comme Israël, redoutent pour leur part que le Hezbollah ne cherche à gagner du temps pour se renforcer et se réarmer. Ils considèrent qu’il y a aujourd’hui une fenêtre d’opportunité pour neutraliser le mouvement allié de Téhéran. Le plan de M. Barrack prévoit aussi un règlement de questions irrésolues, tel que le tracé des frontières du Liban avec Israël et avec la Syrie.

Manifestations

Dès avant l’adoption de la feuille de route, Naïm Qassem, secrétaire général du Hezbollah, a prévenu qu’il ne désarmerait pas « sous le feu de l’agression israélienne ». Un coup de force du Hezbollah semble cependant peu probable. Il est affaibli sur le plan militaire – conséquence de la guerre de l’automne 2024 avec Israël –, mais aussi politique : plusieurs de ses alliés ont pris leurs distances avec lui.

Jeudi soir, des partisans du mouvement libanais ont manifesté, en défilant à moto ou en coupant des routes, dans plusieurs régions chiites du pays, notamment dans la banlieue sud de Beyrouth. Mais ils se sont gardés de s’exhiber dans le centre de la capitale, ce qui aurait alors symbolisé une volonté de confrontation. Dans les médias proches du parti chiite, une campagne de délégitimation du premier ministre est en cours. Le quotidien Al-Akhbar le compare à l’impuissant président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, incarnant selon lui la servitude aux desiderata américains et israéliens.

Les prochains mois seront décisifs. Une concrétisation du désarmement du Hezbollah – et des autres factions armées, notamment palestiniennes – signifierait que, « pour la première fois depuis 1969 [date des accords du Caire avalisant la présence palestinienne armée au Liban], les autorités libanaises contrôlent l’ensemble du territoire », souligne Karim Bitar, professeur de relations internationales à Sciences Po Paris.

Mais, prévient-il, « le problème de fond n’a pas été résolu. Quand bien même la décision de désarmer le Hezbollah a été prise par le conseil des ministres, elle sera extrêmement difficile à mettre en œuvre compte tenu des réticences sérieuses de l’Iran et du Hezbollah ». Le mouvement libanais a averti, mercredi, qu’il ferait comme si cette décision, qualifiée de « faute grave », « n’existait pas ».

[Source: Le Monde]