L’escalade militaire d’Israël à Gaza : « une erreur », « une très mauvaise nouvelle », « rejet catégorique », indignation quasi unanime de l’Europe aux pays arabes
Condamnant Israël tout en avalisant le projet de défaire le Hamas, la communauté internationale est impuissante à faire renoncer Benyamin Nétanyahou à son plan. Seule l’Allemagne, jusqu’ici soutien de l’Etat hébreu avec les Etats-Unis, a annoncé suspendre les exportations d’armes « jusqu’à nouvel ordre ».

La décision du gouvernement israélien, vendredi 8 août, d’occuper militairement la bande de Gaza a suscité un concert de désapprobations. Alors que l’assaut israélien lancé sur l’enclave palestinienne dans la foulée des attaques terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023, avait profondément divisé Occidentaux et pays arabes, l’annonce du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, paraît aujourd’hui déboucher sur une sorte de consensus pour condamner l’escalade militaire, tout en avalisant le projet de neutralisation du mouvement islamiste armé.
La réaction de l’Allemagne est sans doute la plus notable. Le chancelier conservateur, Friedrich Merz, a annoncé la suspension de toute exportation d’armes susceptibles d’être utilisées dans le conflit « jusqu’à nouvel ordre ». Alors que Berlin avait élevé la sécurité israélienne au rang de « raison d’Etat » (Staatsräson), portée par la mémoire de la Shoah, cette décision constitue un net infléchissement politique, tant sur le plan intérieur qu’européen. L’Allemagne – deuxième fournisseur d’armes d’Israël après les Etats-Unis – a exporté vers ce pays pour 485 millions d’euros d’équipements militaires depuis le 7-Octobre, selon le ministère de l’économie, le 3 juin.
Ces livraisons avaient cependant diminué sous la pression de l’opinion publique, passant à environ 28 millions d’euros pour le premier trimestre de 2025 contre une moyenne de 80 millions d’euros par trimestre depuis le 7-Octobre. Interrogé par Le Monde, le ministère a refusé de s’exprimer au sujet des livraisons d’armes à partir du 6 mai, date d’arrivée au pouvoir de Friedrich Merz.
« Une situation déjà catastrophique »
Au sein du Parti social-démocrate (SPD), membre de la coalition gouvernementale, certains veulent aller plus loin. « Cela ne peut être qu’une étape. D’autres doivent suivre », a déclaré au Spiegel Adis Ahmetovic, porte-parole du groupe parlementaire pour la politique étrangère.
Ce tournant pourrait contribuer à redéfinir les équilibres diplomatiques au sein de l’Union européenne (UE), jusqu’à présent paralysée par ses divisions internes. S’il ne présage pas d’une remise en cause de l’accord d’association entre l’UE et Israël, des mesures, notamment commerciales, pourraient être décidées à la majorité qualifiée, élargissant ainsi le champ d’action.
« Le cabinet de Nétanyahou est en train de perdre l’Europe, complètement », a réagi le ministre des affaires étrangères néerlandais, Caspar Veldkamp, sur le site d’information américain Axios. Pour le président du Conseil européen, le Portugais Antonio Costa, la décision israélienne « doit avoir des conséquences sur les relations UE-Israël ». Il a dénoncé un projet « sapant les principes fondamentaux du droit international ». La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, est quant à elle restée sur sa position, réitérant un appel à « un cessez-le-feu impératif », sans agiter la menace de sanctions.
Pour Benyamin Nétanyahou, l’embargo allemand « récompense le terrorisme du Hamas ». Le même discours avait été opposé à la France quand l’Elysée avait annoncé, le 24 juillet, que Paris procéderait à la pleine reconnaissance de l’Etat palestinien en septembre, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies.
Vendredi 8 août, le ministre des affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, a condamné « fermement » le plan israélien, estimant que cela « ne ferait qu’aggraver une situation déjà catastrophique, sans pour autant permettre la libération des otages, le désarmement du Hamas ou sa reddition ». « C’est une très mauvaise nouvelle, explique au Monde une source diplomatique française. On ne voit pas de logique militaire à ces opérations. » Le Royaume-Uni, l’un des premiers Etats à réagir, vendredi matin, après la réunion du cabinet israélien, a eu les mots les plus forts, qualifiant d’« erreur » cette nouvelle offensive, qui ne fera « qu’entraîner davantage de massacres ».
Dans les pays arabes, en général soucieux de ménager leurs opinions publiques très propalestiniennes, les réactions officielles s’apparentent à des condamnations de principe – très faibles au regard des conséquences prévisibles d’une occupation militaire de la bande de Gaza. L’Arabie saoudite a condamné « dans les termes les plus forts » la décision israélienne. L’Egypte a employé la même terminologie. Quant au roi de Jordanie, Abdallah II, il a exprimé son « rejet catégorique » du plan israélien.
Réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, samedi
Ces deux derniers pays sont particulièrement concernés. Les deux Etats frontaliers – de la bande Gaza pour l’Egypte, de la Cisjordanie pour la Jordanie – craignent un exode forcé de Palestiniens sur leurs territoires. Les manifestations propalestiniennes, tolérées lors du déclenchement de l’assaut israélien en octobre 2023, n’y sont plus autorisées. Les Frères musulmans, dont le Hamas est la branche palestinienne et qui jouissent d’un fort ancrage social, y sont désormais interdits.
Dans un texte publié le 22 juillet, le Hamas avait accusé les pays arabes de lâcher le peuple palestinien « en train de mourir de faim », les appelant à intensifier leur soutien. Une semaine plus tard, lors d’une conférence à l’Organisation des Nations unies (ONU), 17 Etats arabes appelaient le Hamas à rendre ses armes à l’Autorité palestinienne, afin de parvenir « à une résolution juste, pacifique et durable du conflit israélo-palestinien sur la base de la mise en œuvre de la solution à deux Etats ».
L’Egypte et la Jordanie sont liés par des accords de paix avec Israël (respectivement signés en 1979 et en 1994), qui leur garantissent l’aide américaine ; ils n’ont jamais remis en question leur validité. Le 7 août, l’Egypte et l’Etat hébreu ont conclu un accord majeur d’une valeur de 30 milliards d’euros, portant sur l’exportation de gaz naturel israélien vers son voisin arabe jusqu’en 2040. Les Emirats arabes unis, qui ont normalisé leurs relations en 2020, ont signé des contrats avec l’industrie militaire israélienne ; une de leurs compagnies d’Etat a acquis, en janvier, 30 % des parts d’un fournisseur d’armement.
Au Liban, le Hezbollah, d’ordinaire prompt à fustiger « les agressions de l’ennemi sioniste », n’avait pas réagi, vendredi, alors qu’il est lui-même très occupé par l’injonction qui lui est faite d’abandonner son propre arsenal. De son côté, l’Iran n’a pas mentionné le Hamas, mais a dénoncé un plan visant « à forcer la population à l’exode ». Derniers reliquats de l’« axe de la résistance », les houthistes au Yémen sont les seuls à avoir mobilisé la population pour des manifestations de soutien au mouvement armé palestinien.
Une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU devait se tenir, samedi 9 août, à la demande de l’ensemble de ses membres – hormis le Panama et les Etats-Unis. Malgré les indignations quasi unanimes, l’exception américaine augure une nouvelle impasse diplomatique ainsi que l’impuissance de la communauté internationale à faire renoncer Israël à l’escalade militaire annoncée.
[Source: Le Monde]