Arménie-Azerbaïdjan : Donald Trump empiète sur le pré carré de Vladimir Poutine

Profitant de l’affaiblissement de Moscou dans le Caucase, les Etats-Unis plantent leurs jalons avec la signature d’un accord prévoyant la création d’une mégaroute construite par des sociétés privées américaines.

Août 9, 2025 - 17:49
Arménie-Azerbaïdjan : Donald Trump empiète sur le pré carré de Vladimir Poutine
Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, le président des Etats-Unis, Donald Trump, et le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, présentent l’accord qu’ils ont signé, à la Maison Blanche, à Washington, le 8 août 2025. ANDREW CABALLERO-REYNOLDS/AFP

Réconcilier deux ennemis héréditaires en ouvrant de nouvelles routes de transport, tel est le pari que s’est fixé Donald Trump, soucieux de s’imposer en faiseur de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Réunissant, vendredi 8 août à Washington, le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, et le numéro un azerbaïdjanais, Ilham Aliev, le président américain a soigneusement mis en scène la signature d’un moratoire susceptible de modifier la donne géopolitique dans tout le Caucase du Sud. « Ils se sont battus pendant trente-cinq ans et, maintenant, ils sont amis, et ils vont le rester longtemps », s’est-il félicité, à l’issue de la cérémonie à la Maison Blanche.

Signé par les trois dirigeants, l’accord prévoit notamment la création d’un ambitieux couloir de transit – ferroviaire, routier, énergétique avec des oléoducs et des gazoducs, numérique avec des câbles de fibre optique – censé relier, sur 32 kilomètres, l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan, voisine de la Turquie, en passant par la province arménienne de Siounik, qui borde la frontière avec l’Iran. Baptisé « Route Trump pour la paix et la prospérité internationale », ce projet vise à désenclaver toute la région.

Offrant à la Turquie un continuum territorial avec son allié azerbaïdjanais et, au-delà, avec l’Asie centrale riche en pétrole et en gaz, la route promet des retombées positives pour l’Arménie, en termes de connectivité et de gains financiers. Et aussi parce qu’elle devrait inciter Ankara et Bakou à rouvrir leurs frontières communes avec Erevan, fermées depuis près de quatre décennies. « Nous jetons les bases pour écrire une meilleure histoire que par le passé », a déclaré Nikol Pachinian, après la signature, tandis que le président Aliev a rendu grâce à Donald Trump, qui, « en six mois a fait un miracle », en créant « des possibilités de connectivité pour de nombreux pays ».

Un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans

Le but est de libérer « pleinement le potentiel » du Caucase du Sud, « grâce à Trump », avait prévenu le président américain sur son réseau Truth Social, jeudi soir. C’est un « deal » comme il les aime, qui tend à faire d’une opération immobilière juteuse un instrument de géopolitique. Ainsi, le développement, la gestion et la sécurité de la nouvelle route seront donnés pour quatre-vingt-dix-neuf ans à des sociétés privées américaines et à leurs services de sécurité.

Pour la première fois de toute l’histoire du Caucase, des troupes privées américaines pourraient avoir un accès stratégique à la région, jusqu’ici dominée par la Russie. Longtemps, celle-ci a joué les médiateurs dans le conflit interminable (1988-2023) qui a opposé l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour le contrôle du Haut-Karabakh, une province majoritairement peuplée d’Arméniens en territoire azerbaïdjanais. Mais, à l’heure actuelle, son poids dans cette région stratégique, au croisement de l’Europe et de l’Asie, apparaît amoindri, tout comme celui de son allié iranien. « Ces deux pays voient leur influence décliner au Caucase du Sud. Enlisée en Ukraine, la Russie n’est plus en mesure d’imposer sa loi dans son ancien pré carré, et l’Iran, affaibli par la guerre de douze jours [contre Israël], n’a plus les moyens d’avoir une politique régionale audacieuse », souligne Bayram Balci, chercheur au Ceri Sciences Po.

En réalité, la « Route Trump pour la paix et la prospérité internationale » a tout l’air d’un coup de poignard infligé à Vladimir Poutine à quelques jours de sa rencontre avec son homologue américain, prévue vendredi 15 août en Alaska, en vue d’un accord de paix en Ukraine.

Profitant de l’affaiblissement de Moscou en Arménie comme en Azerbaïdjan, l’administration américaine a planté ses jalons dans l’arrière-cour du Kremlin. Tout a commencé lors de la visite à Bakou, le 14 mars, de l’envoyé diplomatique de Trump, Steve Witkoff, venu vanter au président Aliev la nécessité d’un « redémarrage régional ».

Centrale, la question du corridor était jusqu’ici un point de blocage majeur sur la voie de la paix entre Erevan et Bakou. L’Azerbaïdjan voulait le contrôler, ulcérant l’Arménie qui y voyait une atteinte à sa souveraineté.

L’idée d’une implication des Etats-Unis dans l’administration de la route a émergé le 10 juillet lors du sommet organisé entre MM. Pachinian et Aliev, à Abou Dhabi. Le lendemain, l’ambassadeur américain en Turquie, Thomas Barrack, un riche entrepreneur ami de Donald Trump, reconnaissait que Washington s’était proposé pour développer le projet par le biais d’entreprises privées moyennant un bail à long terme, de quatre-vingt-dix-neuf ans ou de cent ans. « Les Américains ont sorti un joker de leur jeu en proposant un corridor non plus sous contrôle arménien ou azéri ou russe ou turc, mais sous leur contrôle, ce qui arrange les principaux intéressés – Bakou, Erevan et Ankara –, soucieux de se défaire des influences russe et iranienne, jugées néfastes », poursuit Bayram Balci.

Sous la direction de Nikol Pachinian, l’Arménie a pris ses distances avec Moscou, son protecteur traditionnel, s’éloignant de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC, sorte d’OTAN post-soviétique emmené par la Russie), nouant de nouveaux partenariats avec l’Union européenne et les Etats-Unis.

Alignement d’intérêts inattendu

Des tensions sont apparues parallèlement dans les relations entre l’Azerbaïdjan et Moscou, exacerbées par des incidents tels que les raids meurtriers de la police russe contre la diaspora azerbaïdjanaise à Iekaterinbourg (région de l’Oural), fin juin, et le crash non résolu du vol 8243 d’Azerbaijan Airlines, en décembre 2024. Le président Aliev est tellement remonté contre Vladimir Poutine qu’il livre désormais du gaz à l’Ukraine et incite publiquement le gouvernement de Kiev à lutter contre « l’occupation ». Ce rejet commun du grand voisin du Nord a créé un alignement d’intérêts inattendu entre Erevan et Bakou.

Craignant d’être marginalisés dans leur zone d’influence traditionnelle, la Russie et l’Iran ne voient pas d’un bon œil la présence annoncée des Etats-Unis dans la région arménienne de Siounik, qui borde la République islamique. Téhéran craint une baisse de ses échanges commerciaux avec l’Arménie via leur frontière commune. « Des gouvernements prétentieux (…) ont une nouvelle fois soulevé la question du corridor (…) et frappent à toutes les portes pour atteindre leurs objectifs illégaux dans le Caucase du Sud », a écrit Ali Akbar Velayati, conseiller principal du Guide suprême iranien, Ali Khamenei, pour les affaires étrangères, sur X, le 4 août.

Moscou accuse, pour sa part, « les Occidentaux » d’essayer de détourner le processus de paix arménien-azerbaïdjanais à leur profit. « Nous savons où ces pistes mènent habituellement… à un déséquilibre du système de sécurité dans la région », a déclaré Maria Zakharova, la porte-parole du ministère des affaires étrangères russe, lors d’un point de presse, le 24 juillet.

[Source: Le Monde]