Les îles Salomon toujours menacées par les bombes de la bataille de Guadalcanal
L’offensive majeure des Alliés durant la seconde guerre mondiale s’est terminée en février 1943. Mais aujourd’hui encore, les engins non explosés constituent une épée de Damoclès pour les habitants de l’archipel, faute de déminage d’ampleur.
Qui était John C. English ? Ce soldat officiait à bord d’un avion de l’armée américaine, un 310 Douglas, en provenance de San Francisco, qui s’est écrasé sur l’île de Guadalcanal, située dans le Pacifique, à l’est de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ces informations lapidaires sont tout ce qu’il reste de lui. Elles sont gravées sur une plaque métallique d’identification, trouvée dans la jungle par Kurt Markwarth, qui les collecte par centaines depuis son enfance. Elles s’entassent chez lui, à Honiara, la capitale des îles Salomon, parmi des milliers d’autres reliques de la bataille qui y a eu lieu durant la seconde guerre mondiale.
Entre août 1942 et février 1943, Guadalcanal fut le théâtre d’opérations terrestres, navales et aériennes d’envergure, qui marquèrent la première offensive majeure des forces alliées contre l’empire du Japon. « Le premier objet que j’ai trouvé, c’était une balle. Puis j’ai cherché aux alentours, et j’ai découvert de plus en plus de choses. J’ai commencé à grimper dans les collines, et là, j’ai trouvé des armes, des casques… les habitants ne voulaient pas les toucher parce que c’était dangereux », raconte le quinquagénaire.

En quarante ans, il a réuni une impressionnante collection : des katanas japonais, des pistolets, des dizaines de grenades, et même des sabres datant de la guerre de Sécession : certains soldats américains étaient venus se battre avec leurs armes personnelles… Il collecte aussi des gourdes ou des casques criblés de balles, des bagues de soldats et des photos de leur fiancée. Et une bouteille de Coca-Cola en verre, encore pleine. Peut-être la plus ancienne au monde à ne pas avoir été bue.
Le directeur du modeste Musée national de Guadalcanal, Lawrence Kiko, espère réunir des fonds pour créer un espace destiné à ces vestiges, et les rendre visibles par la population et aux visiteurs. Il est d’ailleurs surpris qu’ils paraissent si peu intéresser les historiens.
Les Salomonais sont, à l’époque, sous protectorat britannique et se rangent aux côtés des Américains et de leurs alliés, face à une armée japonaise deux fois moins importante. Au milieu de ce XXᵉ siècle, les îliens vivent encore de manière tribale et leurs échanges avec l’Occident sont limités. Le déluge de feu sur Guadalcanal les confronte pendant plusieurs mois au visage le plus sombre du monde moderne.
Une aide qui ne vient pas
Près de 25 500 soldats (24 000 Japonais et 1 500 Américains) sont tués lors de cette campagne qui marque un tournant dans la guerre. Et des bombes non explosées parsèment encore tout le territoire. Maeverlyn Pitanoe, 53 ans, a été victime de l’une d’elles. En 2021, alors qu’elle organisait un barbecue pour récolter des fonds au profit de son église à Honiara, la chaleur a réveillé un explosif enfoui huit décennies plus tôt. « Je me suis retrouvée projetée au sol. Ma main gauche saignait, la peau de mon bras pendait jusque sur mes côtes, se souvient-elle. Deux personnes à mes côtés sont mortes. » Gravement blessée au bras et aux jambes, Maeverlyn parvient avec difficulté à remarcher.
Aujourd’hui, elle survit en cultivant quelques légumes devant chez elle pour nourrir sa famille, mais elle ne peut plus travailler. « Mon souhait, en tant que survivante, c’est que les pays qui ont causé ces dégâts viennent les nettoyer, viennent aider notre gouvernement et que les îles Salomon soient enfin libérées de ces bombes. »
Ces grandes campagnes de déminage existent dans d’autres pays, comme au Cambodge, largement aidé, au fil des années, par la communauté internationale et les Nations unies. Mais rien de tel ne s’est produit pour l’instant aux îles Salomon.
L’archipel n’a pas les moyens d’envisager, seul, un déminage massif. Il est l’un des plus pauvres du Pacifique, avec un PIB de 2 149 dollars (1 870 euros) par habitant (Banque mondiale, 2024). A Guadalcanal, de nombreux enfants ne sont pas scolarisés, faute de moyens. Pour survivre, beaucoup vendent des noix de bétel, aux effets stimulants et euphorisants.
Le pays a connu, entre 1998 et 2003, puis en 2006 et à nouveau en 2021, plusieurs épisodes d’émeutes, dues à la pauvreté et aux tensions ethniques avec la minorité chinoise et entre les différentes îles de l’archipel.
Le tourisme, un espoir
Guadalcanal espère aujourd’hui tirer profit de la position stratégique des îles Salomon dans la zone Indo-Pacifique. Depuis 2019, la Chine en a fait l’une des têtes de pont de sa politique d’implantation dans la région ; elle y a construit un stade ultramoderne en 2023 et finance une partie du système de santé. L’Australie accompagne la sécurité sanitaire et sociale de l’archipel, la Nouvelle-Zélande soutient l’éducation, le Japon construit des routes et les États-Unis ont rouvert leur ambassade en 2023 pour tenter de limiter l’influence chinoise. L’aide au développement a commencé à affluer, mais le déminage n’est toujours pas une priorité.
L’essor touristique pourrait contribuer à apporter les devises nécessaires. Les îles Salomon n’accueillent que 25 000 touristes chaque année, mais ambitionnent de quadrupler ce nombre en cinq ans grâce, notamment, à la construction effrénée d’hôtels. Les visiteurs apprécient les paysages paradisiaques, et les fonds sous-marins parsemés d’épaves attirent les plongeurs.
Au nord de Guadalcanal, plus d’une cinquantaine de navires et d’avions reposent encore dans le détroit de l’Ironbottom Sound, la zone où les combats ont été les plus acharnés, en novembre 1942. Quatre-vingt-trois ans plus tard, leurs vestiges sont devenus des attractions touristiques.
[Source: Le Monde]