« Face au rouleau compresseur du RN, à quoi sert le parti Les Républicains ? »

Alors que Laurent Wauquiez a présenté son projet de primaire englobant Reconquête ! pour l’élection présidentielle de 2027, la convergence entre Les Républicains et l’extrême droite est de plus en plus visible. Une « union des droites » de moins en moins taboue chez un certain nombre de cadres et d’adhérents.

Déc 7, 2025 - 11:18
« Face au rouleau compresseur du RN, à quoi sert le parti Les Républicains ? »
Le président du groupe Union des droites pour la République, Eric Ciotti, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 25 novembre 2025. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

Des signaux faibles de plus en plus visibles. Mardi 2 décembre, le président des Républicains (LR), Bruno Retailleau, et son prédécesseur Eric Ciotti, désormais allié de l’extrême droite, ont lancé deux pétitions identiques, à quelques minutes d’intervalle. Avec le même objectif : dénoncer le supposé « projet de labellisation des médias » d’Emmanuel Macron, dans le sillage de ceux du groupe Bolloré, en croisade pour la « liberté d’expression », selon eux menacée. Plusieurs personnalités de droite, dont le maire de Cannes, David Lisnard, ont emboîté le pas au chef du parti, en totale symbiose avec l’extrême droite.

Cette convergence troublante est de plus en plus fréquente, alimentant le spectre d’une « union des droites », officiellement rejetée, mais semblant se dessiner en creux, à l’approche d’échéances électorales décisives. En octobre, Bruno Retailleau avait appelé à ne pas accorder « une seule voix pour la gauche » dans le Tarn-et-Garonne, qui opposait, au second tour d’une élection législative partielle, une socialiste à un candidat d’Eric Ciotti, qui l’a emporté.

Le 3 décembre sur TF1, le patron des députés LR, Laurent Wauquiez, a, lui aussi, plaidé pour un « tout sauf La France insoumise » aux élections municipales de 2026, y compris en votant pour un candidat du Rassemblement national (RN). « Cela veut dire voter blanc, ça veut dire voter pour ceux qui sont en face, quel que soit le parti. Je ne peux pas être plus clair », a-t-il précisé. Un blanc-seing pour des alliances aux municipales avec le RN. Son projet de primaire, allant du macroniste Gérald Darmanin à la vice-présidente de Reconquête !, Sarah Knafo, fervente défenseuse de l’union des droites, œuvre aussi insidieusement à ce rapprochement.

Faiblesse endémique de LR

Au début de l’été, Nicolas Sarkozy, qui est souvent celui par qui les mouvements s’opèrent à droite, a reçu Jordan Bardella dans son bureau de la rue de Miromesnil, adoubant ainsi la stratégie de « normalisation » du parti d’extrême droite. Dans le livre qu’il doit publier mercredi, Journal d’un prisonnier (Fayard), cité samedi 6 décembre dans Le Figaro, l’ancien président a des mots très aimables pour Marine Le Pen, qui l’a appelé avant son incarcération à la prison de la Santé. Il l’a rassurée en lui disant qu’en cas de nouvelles législatives anticipées, il ne s’associerait pas à un front républicain. Il n’est pas favorable à un accord avec le parti de Jordan Bardella, mais juge qu’« insulter les dirigeants du RN, c’est insulter leurs électeurs, donc les nôtres », et qu’une reconstruction de la droite, qui n’est « pas aujourd’hui en position de force », passera inévitablement par « l’esprit de rassemblement le plus large possible, sans anathème et sans exclusive ».

Les digues sautent, les unes après les autres. Sur de nombreux sujets, il devient d’ailleurs de plus en plus difficile de distinguer la droite de l’extrême droite, alignées sur l’immigration, la sécurité, l’écologie ou encore l’Etat de droit, dont il s’agirait de corriger des excès. Sans compter la convergence d’intérêts et d’esprit avec Le Journal du Dimanche, CNews et les autres médias du groupe Bolloré.

Face au rouleau compresseur du RN, à quoi sert LR ? L’ancien parti gaulliste a-t-il encore une singularité à défendre, un espace ? Ces interrogations s’appuient sur la faiblesse endémique d’une formation en pleine crise d’identité depuis l’élection d’Emmanuel Macron, qui lui a siphonné ses parts de marché. Dix ans plus tard, LR n’a pas su se ressourcer, ni renouveler son corpus d’idées. Il n’a pas su non plus clarifier sa ligne, coincé entre les macronistes et le RN, ni trouver une incarnation, autour de laquelle il aurait pu se rassembler.

Depuis la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012, LR n’a cessé de perdre des positions, jusqu’à enregistrer le score le plus calamiteux de son histoire, 4,78 %, à l’élection présidentielle de 2022. L’arrivée au gouvernement de Bruno Retailleau il y a un an, et sa soudaine popularité, a redonné un peu d’oxygène, avant que son départ confus et précipité du ministère de l’intérieur en octobre ne douche les espérances.

Une « pente fatale »

Le président de LR, persuadé que c’est par les idées que la droite retrouvera de la vigueur, jure que sa formation a une « singularité » à défendre, autour d’un triptyque travail-autorité-identité. Il fera d’ailleurs des propositions, mercredi 10 décembre, sur le travail et le pouvoir d’achat. Pour l’heure, les dirigeants de LR se défendent vigoureusement de vouloir l’union des droites, d’autant plus que Marine Le Pen, de son côté, s’y est toujours opposée. Bruno Retailleau dénonce notamment la « démagogie » du RN, qui n’a cessé de varier sur de nombreux sujets, de l’immigration à l’euro. Il juge en outre que le logiciel économique de la formation d’extrême droite, qui poursuit pourtant sa mue libérale, est resté « socialiste ».

Mais, à dix-huit mois de l’élection présidentielle, alors que Jordan Bardella est donné gagnant dans tous les sondages – si loin de l’échéance, ces enquêtes sont peu probantes, mais elles créent un climat –, l’hypothèse d’un rapprochement entre LR, Reconquête !, le RN et ses alliés est de moins en moins taboue chez un certain nombre de cadres et d’adhérents LR, qui regardent avec intérêt ce qu’il se passe en Finlande ou en Italie, où l’union des droites est à l’œuvre. Dans les enquêtes d’opinion, les électeurs LR sont de plus en plus nombreux à souhaiter une alliance de leur formation avec le RN, même s’ils restent divisés sur cette question.

Pour le directeur général délégué d’Ipsos, Brice Teinturier, l’union des droites est « inéluctable » : une « pente fatale ». Elle serait déjà à l’œuvre sur le plan idéologique, même si les appareils s’y opposent. « On voit de moins en moins ce qui les différencie et il y aura de plus en plus d’alliances au niveau local », observe le sondeur, selon lequel les tentatives de certains membres de LR de « coller » au RN ne font que renforcer l’extrême droite.

Un « schisme »

Les opposants à tout rapprochement, arguant de différences ontologiques entre les formations, à l’instar du président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, et du maire de Meaux (Seine-et-Marne), Jean-François Copé, ont demandé à Bruno Retailleau de clarifier la ligne du parti vis-à-vis du RN. Et incitent ceux qui voudraient suivre le chemin emprunté en 2024 par Eric Ciotti d’en tirer les conséquences. « Le schisme chez Les Républicains est déjà là », constate M. Copé dans L’Opinion. Tenant d’une droite sociale, intransigeante contre l’extrême droite, Xavier Bertrand affirme qu’il est désormais minoritaire à tenir cette ligne dans l’ancien parti de Jacques Chirac.

Dans son livre testament, Dissolution française. La fin du macronisme (Robert Laffont, 288 pages, 20,50 euros), achevé quarante-huit heures avant sa mort, l’ancien député (LR) de l’Eure-et-Loir Olivier Marleix, vu par ses pairs comme l’un des derniers gaullistes de l’Assemblée, s’agaçait contre ceux qui répètent que le RN n’est plus d’extrême droite. Il rappelait que le parti de Jean-Marie Le Pen avait été fondé, entre autres, par deux hommes ayant porté l’uniforme de la Waffen SS, Pierre Bousquet et Léon Gaultier. A ses yeux, le parti de Jordan Bardella, qui a souhaité fêter les 50 ans de la fondation du Front national, n’avait « rien renié de ses origines fondamentales », utilisant un bouc émissaire, l’étranger, « comme excuse unique de tous les maux du pays ».

Lui, à l’inverse, plaidait pour retrouver le chemin de la « cohésion nationale » perdue. Car c’est la « démission de l’esprit collectif » qui laisse l’espace libre aux « tentations politiques les plus funestes ». Il en appelait à réanimer « l’esprit de fraternité », né dans le creuset de la résistance au nazisme et à la barbarie, ferment du gaullisme originel. Des mots devenus rares à droite, recouverts par les diatribes enfiévrées entendues sur CNews de ceux qui attisent les fractures françaises.

[Source: Le Monde]