Des requins, des geckos et l’okapi désormais mieux protégés face à la menace du commerce

Des dizaines de décisions ont été adoptées lors de la 20ᵉ Conférence des parties de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.

Déc 7, 2025 - 11:16
Des requins, des geckos et l’okapi désormais mieux protégés face à la menace du commerce
Okapi, dans son habitat naturel, dans un parc national en République du Congo, le 12 juin 2021. ONDREJ PROSICKY / GETTY IMAGES

Des négociations portant sur le paresseux à deux doigts, la mygale rose ou le cocotier du Chili. Du lobbying et des alliances entre pays avec, en jeu, des intérêts économiques. Et, finalement, des décisions qui permettront de mieux protéger plus de 120 espèces face à la menace commerciale. La 20e Conférence des parties (COP20) de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) s’est achevée, vendredi 5 décembre, à Samarcande, en Ouzbékistan. Moins connue que d’autres « COP », elle a rassemblé pendant deux semaines 3 400 participants, dont les représentants de quelque 160 pays – un record.

« La faune sauvage est en crise et les dirigeants mondiaux ont massivement reconnu la nécessité urgente de prendre des mesures décisives », a salué Matt Collis, directeur des politiques internationales du Fonds international pour la protection des animaux. « De bonnes décisions ont été prises, dont beaucoup par consensus, se félicite également Charlotte Nithart, de l’association Robin des bois. Nous tenons beaucoup à cette convention car, à la différence d’autres, elle est en partie contraignante : lorsqu’une espèce est inscrite sur une annexe, les pays sont tenus de respecter la réglementation. Et la Cites a déjà prouvé son utilité, par exemple pour le rétablissement de populations d’éléphants. »

Cause de destruction de la nature

Entrée en vigueur il y a cinquante ans, la Cites vise à faire en sorte que le commerce international des animaux et des plantes sauvages ne menace pas leur survie. Selon la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (l’IPBES, l’équivalent du GIEC pour la biodiversité), la surexploitation des espèces, qui inclut le commerce légal et illégal, est la deuxième cause de destruction de la nature. Chaque année, des centaines de millions de spécimens vivants ou de produits dérivés sont échangés sur les marchés. Le commerce illicite d’espèces sauvages est par ailleurs considéré comme le troisième plus lucratif au monde, après les trafics de drogue et d’armes.

Depuis 1975, près de 41 000 espèces végétales et animales ont été inscrites sur l’une des trois « annexes » de la Cites. L’annexe 1, qui interdit toute transaction à des fins commerciales, et l’annexe 2, qui encadre les importations et les exportations par des systèmes de permis et de quotas, sont les plus discutées lors des COP.

Requin-baleine au large des côtes de Sainte-Hélène, dans l’océan Atlantique Sud, en février 2025.

Parmi les principales avancées obtenues à Samarcande, plus de 70 espèces de requins et de raies ont été soit transférées de l’annexe 2 à l’annexe 1 (requins océaniques, requins-baleines, raies manta…) soit inscrites à l’annexe 2 (requin-hâ, requins d’eaux profondes…). « Il s’agit d’une victoire historique, a salué Luke Warwick, de la Wildlife Conservation Society. Ces décisions étaient plus qu’urgentes : les requins et les raies constituent le deuxième groupe d’espèces le plus menacé de la planète, et nombre d’entre eux sont au bord de l’extinction. » Ces animaux sont tués pour leurs ailerons, leur cartilage, leur chair ou leur foie.

La régulation du commerce d’espèces vendues pour servir d’animaux de compagnies, telles que des oiseaux chanteurs, des geckos ou les iguanes marins et terrestres des Galapagos, a été renforcée. L’okapi, dont il ne subsiste qu’une petite population en République démocratique du Congo, ne pourra plus être commercialisé. Les importations, notamment depuis la Turquie et l’Albanie, de quatre espèces de grenouilles consommées en Europe, seront mieux encadrées.

Des propositions visant à affaiblir la protection des girafes, des éléphants et des rhinocéros, portées par certains pays d’Afrique australe, ont par ailleurs été rejetées. « On reste sur le statu quo, ce qui est positif, explique Lorène Jacquet, responsable campagnes et plaidoyer de la Fondation 30 millions d’amis. La réouverture du commerce pour ces populations d’espèces qui restent très menacées pourrait ruiner des années d’efforts de conservation. »

Lobbying du Japon

Si des succès ont été enregistrés, des parties ont aussi enregistré des échecs. Une majorité d’Etats a ainsi rejeté la proposition, portée notamment par la France, d’inscrire six espèces de concombres de mer sur l’annexe 2. « Les concombres de mer sont moches, mous et tout le monde s’en fiche, alors qu’ils ont un rôle crucial : ils recyclent notamment des nutriments assimilables par le phytoplancton, qui est le premier fournisseur d’oxygène de notre planète », précise Arnaud Horellou, ingénieur de recherche au Muséum national d’histoire naturelle et responsable Cites pour l’autorité scientifique française. Les stocks de ces animaux, considérés comme un mets de choix en Asie, s’effondrent en raison de la surpêche.

Autre revers, la proposition d’inscrire toutes les espèces d’anguilles à l’annexe 2 a également été rejetée. Les civelles (les alevins des anguilles) font aujourd’hui l’objet d’exportations illicites massives de l’Europe vers l’Asie. Les trafiquants profitent notamment du fait que seule l’espèce européenne est actuellement protégée par la Cites, mais qu’il est impossible de la distinguer des autres lorsqu’elle est à l’état d’alevin. Le Japon, grand consommateur d’anguilles, avait fait un lobbying très important au cours des derniers mois pour contrer cette proposition portée par l’UE. « Les Européens se sont retrouvés très seuls sur ce sujet, il faut qu’ils solidifient leurs partenariats et leurs alliances par un travail diplomatique en amont des COP », souligne Lorène Jacquet. La prochaine conférence mondiale se tiendra dans trois ans, au Panama.

[Source: Le Monde]