Donald Trump, en difficulté sur le budget, renoue avec le « travel ban » et s’attaque de nouveau à Harvard

Douze pays sont visés par le décret, dont l’Afghanistan, Haïti et l’Iran. Sept autres pays sont concernés par des restrictions partielles. Au même moment, la Maison Blanche a annoncé une interdiction des visas destinés aux étudiants de la prestigieuse université.

Juin 5, 2025 - 12:37
Donald Trump, en difficulté sur le budget, renoue avec le « travel ban » et s’attaque de nouveau à Harvard
Donald Trump, lors d’une réception à la Maison Blanche, à Washington, le 4 juin 2025. BRENDAN SMIALOWSKI/AFP

La figure de l’étranger apparaît, plus que jamais, au cœur du second mandat de Donald Trump. Il est le repoussoir, la menace et la proie à traquer. Dans un décret attendu, publié mercredi 4 juin, le président américain renoue avec le travel ban, l’interdiction d’entrer aux Etats-Unis, qu’il avait déjà pratiquée en janvier 2017. Cette fois, 12 pays sont visés : l’Afghanistan, la Birmanie, le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Guinée équatoriale, l’Erythrée, Haïti, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen. Sept autres sont concernés par des restrictions partielles : le Burundi, Cuba, le Laos, la Sierra Leone, le Togo, le Turkménistan et le Venezuela. Ces interdictions et restrictions entreront en vigueur le 9 juin.

« Nous ne laisserons pas ce qui s’est passé en Europe arriver en Amérique. » C’est ainsi que Donald Trump a justifié cette mesure, par une allusion méprisante aux alliés des Etats-Unis. Dans une brève allocution vidéo, il a expliqué qu’il avait demandé au département d’Etat, dès son retour à la Maison Blanche, de composer une liste des pays problématiques. Les critères retenus sont la présence massive de terroristes, une coopération insuffisante en matière de visas, une quantité importante de ressortissants dépassant le délai prévu de leur séjour aux Etats-Unis. « La liste est sujette à révision », a expliqué Donald Trump. Les pays consentant des efforts pourraient en être retirés, d’autres ajoutés.

Une nouvelle fois, l’administration américaine entretient une confusion entre immigration légale et illégale, sans-papiers et criminels. Donald Trump et ses proches ne cessent de répéter un chiffre qu’aucune étude sérieuse ne confirme : la présence de 21 millions de sans-papiers aux Etats-Unis. Le décret présidentiel détaille les manquements attribués à chaque pays visé, par manque de coopération ou Etat central inefficace. Dans le cas d’Haïti, il est fait mention de l’arrivée de « centaines de milliers » de ressortissants pendant le mandat de Joe Biden. « Cet afflux porte atteinte aux communautés américaines en créant des risques aigus de taux en hausse de dépassement du séjour, d’établissement de réseaux criminels et d’autres menaces à la sécurité nationale », précise le texte.

Electriser l’opinion publique

Selon le décret, ce travel ban répondrait à plusieurs objectifs : protéger les citoyens contre des terroristes prétendant s’infiltrer parmi eux ; viser ceux qui menacent la sécurité nationale, propagent une « idéologie de haine » ou cherchent à exploiter la législation migratoire. A sa troisième version, lors du premier mandat de Donald Trump, un texte similaire avait été validé par la Cour suprême, en juin 2018. A l’époque, la plupart des pays visés – cinq sur sept – étaient à majorité musulmane. Tandis qu’un chaos total avait été constaté dans les points d’entrée sur le territoire, notamment les aéroports, une féroce contestation politique et judiciaire s’était développée au fil des mois, dénonçant notamment les propos antimusulmans et xénophobes de Donald Trump. Mais le président de la Cour suprême, John Roberts, avait conclu, avec quatre autres juges, que la question migratoire se trouvait au cœur des prérogatives de l’exécutif. Devenu président, Joe Biden avait mis un terme au travel ban. Donald Trump reprend donc son initiative d’origine, en l’amplifiant.

« Les 19 pays concernés par ce nouveau ban représentent près de 475 millions de personnes », note, dans un communiqué, l’organisation American Immigration Council. « Ces interdictions de voyager ne nous rendent en rien plus sûrs ou plus prospères, note son directeur, Jeremy Robbins. Elles portent atteinte à notre économie et punissent de façon indiscriminée les migrants qui, par ailleurs, satisfont les critères pour venir légalement aux Etats-Unis. » Selon ce responsable, les dégâts pour l’économie du pays pourraient se révéler importants. Du côté des démocrates, de nombreuses voix s’élevaient, mercredi soir, pour dénoncer une diversion de la Maison Blanche, qui mise sur un sujet identitaire confortant sa base et électrisant l’opinion publique.

Cette nouvelle initiative intervient alors que l’administration est confrontée à deux difficultés majeures dans sa politique migratoire : l’une financière, l’autre judiciaire. Elle attend avec impatience le passage définitif au Congrès du train de dépenses appelé « Big Beautiful Bill » (BBB), très dispendieux sur le plan fiscal, qui accorde aussi des moyens considérables aux forces de la sécurité intérieure. Mais, après le vote à la Chambre des représentants, le sort du projet de loi au Sénat demeure incertain. Elon Musk, pourtant allié précieux de Donald Trump depuis la campagne, appelle publiquement les républicains à « tuer » le BBB. Il ouvre ainsi la voie à une montée de la contestation chez les conservateurs trouvant ce texte trop coûteux.

Sur le plan judiciaire, la bataille est féroce dans des dizaines de juridictions et jusqu’à la Cour suprême, pour débattre de la légalité des mesures expéditives prises par l’administration, méprisant le droit au recours des clandestins arrêtés. Mercredi, un juge du Colorado a suspendu l’expulsion vers l’Egypte de la famille d’un homme coupable d’une agression antisémite au cocktail Molotov, lors d’un rassemblement de soutien aux otages israéliens dans la ville de Boulder, blessant 15 personnes. « Arrêtez le coup d’Etat judiciaire », a réagi, sur le réseau X, le chef adjoint de l’administration présidentielle, Stephen Miller, chargé du dossier migratoire.

Mesure punitive

Dans son message vidéo, Donald Trump a également mentionné cette attaque dans le Colorado, nouvelle étape de son affrontement avec les juges fédéraux. « La récente attaque terroriste à Boulder a mis en évidence les dangers extrêmes posés à notre pays par l’entrée d’étrangers qui ne sont pas correctement passés au crible, ainsi que par ceux qui entrent ici comme visiteurs temporaires et restent au-delà de leur visa, a dit le président américain. Nous ne voulons pas d’eux. » Pourtant, l’Egypte ne figure pas sur la liste des pays visés par le texte, alors que l’agresseur de Boulder est un ressortissant du pays. Le Caire bénéficie-t-il d’un traitement de faveur en raison de son rôle essentiel dans le dossier Gaza ? Ses services secrets demeurent, avec le Qatar, l’un des seuls interlocuteurs du Hamas dans le territoire palestinien.

En cette même soirée, un autre décret présidentiel a une nouvelle fois pris pour cible l’université Harvard, symbole absolu pour Donald Trump de la reproduction d’élites libérales hostiles à sa personne. Il a décidé d’interdire l’entrée aux Etats-Unis aux étudiants et visiteurs désireux d’y travailler dans le cadre d’un programme spécifique de visas. Cette mesure est valable pour six mois – une période renouvelable. Il revient au secrétaire d’Etat, Marco Rubio, de statuer sur le sort des étudiants déjà présents sur le sol américain. En outre, des exceptions pourraient être accordées à des étudiants étrangers dont la venue correspondrait à l’« intérêt national » des Etats-Unis.

Dans une confusion extraordinaire, le texte fait à la fois mention d’un risque d’espionnage industriel, de captation de secrets technologiques sous le couvert de visas étudiants – en visant nommément la Chine –, de questions d’ordre public et enfin d’une discrimination à l’admission pratiquée par Harvard. Sur le premier point, note le décret, Harvard aurait reçu, depuis dix ans, plus de 150 millions de dollars (plus de 131 millions d’euros) de fonds en provenance de Chine, dans le cadre de programmes de formation et de coopération qui profiteraient à la sécurité de ce rival.

« Les taux de criminalité à l’université Harvard – dont ceux pour les actes violents – ont augmenté de façon drastique ces dernières années, note le décret. Harvard a échoué à répondre sur un plan disciplinaire à au moins certaines catégories de conduites illicites sur le campus. » Cette mesure punitive est une rétorsion pour un supposé manque de coopération, selon la Maison Blanche. L’université refuserait de communiquer au département de la sécurité intérieure les informations personnelles et les dossiers disciplinaires des étudiants impliqués dans des activités illégales. Selon le décret, Harvard aurait fourni des informations, très incomplètes, sur seulement trois étudiants. Ce refus de coopérer compromettrait la « sécurité nationale » des Etats-Unis.

Enfin, le dernier reproche retenu concerne la composition des effectifs étudiants, qui ne représenteraient pas assez la diversité d’opinion. Invité d’une conférence à Washington mardi 3 juin, le vice-président, J. D. Vance, a prétendu que, sans doute, 95 % des étudiants de Harvard avaient voté pour Kamala Harris. Il a comparé cela à un pays : la Corée du Nord.

[Source: Le Monde]