Sur l’énergie, le RN aligne les victoires à l’Assemblée en faisant adopter un moratoire sur l’éolien et le solaire, et une relance massive du nucléaire

Les débats chaotiques sur la proposition de loi de programmation énergétique se sont achevés dans la nuit de jeudi à vendredi. L’issue du vote solennel, prévu le 24 juin, est incertaine.

Juin 20, 2025 - 08:33
Sur l’énergie, le RN aligne les victoires à l’Assemblée en faisant adopter un moratoire sur l’éolien et le solaire, et une relance massive du nucléaire
Des employés préparent un panneau solaire usé avant de le charger dans une machine qui permet son démantèlement pour le recyclage des pièces, à Saint-Loubes (Gironde), le 13 novembre 2023. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

En quatre jours, le Rassemblement national (RN) a réussi à imprimer sa marque sur l’avenir énergétique de la France. A l’Assemblée nationale, où les députés ont débattu, cette semaine, d’une proposition de loi de programmation pour les dix prochaines années, le parti d’extrême droite a notamment obtenu l’inscription d’une relance massive du nucléaire.

Jeudi 19 juin, il a engrangé une autre victoire significative avec l’adoption d’un moratoire sur tout nouveau projet éolien et solaire. L’amendement déposé par Les Républicains a bénéficié des voix du RN et du groupe Union des droites pour la République (UDR) d’Eric Ciotti. Toute la semaine, les élus RN, nombreux dans l’Hémicycle, ont tiré parti de la faible mobilisation du bloc central et de la gauche.

Aussitôt après le vote sur le moratoire, jeudi après-midi, le rapporteur Antoine Armand (Renaissance, Haute-Savoie) a dénoncé « une catastrophe économique et industrielle ». « Après avoir voté hier la réouverture de la centrale de Fessenheim, on vient, dans l’indifférence générale, de voter un moratoire sur les énergies renouvelables. Ce qu’il y a de fabuleux, c’est qu’en plus, vous en tirez fierté ! », a aussi réagi, avec stupéfaction, la députée (Les Ecologistes, Paris) Sandrine Rousseau, en apostrophant le RN.

« Ce moratoire était au cœur de notre projet, nous le proposons, il est voté. Où sont vos députés qui auraient pu faire barrage à ce qui [selon vous] menace l’humanité ?, a répondu Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme. Le nucléaire a bien plus décarboné l’économie occidentale et chinoise que vos éoliennes ou votre énergie photovoltaïque. » Alors que le RN exultait, la gauche appelait le gouvernement à retirer le texte. Marc Ferracci, le ministre chargé de l’énergie, a regretté un vote « parfaitement irresponsable » mais affirmé que l’examen du texte devait aller à son terme.

« Responsabilité » du gouvernement

Piégé par la tournure prise par les débats, le gouvernement n’a pas précisé s’il soutiendrait cette proposition de loi lors du vote solennel prévu mardi 24 juin. Dans le cadre des travaux menés depuis plusieurs années sur la stratégie énergétique, l’exécutif a toujours défendu le développement des renouvelables, qui figure dans le projet de la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Le premier ministre, François Bayrou, s’est engagé à prendre en compte les débats tenus à l’Assemblée pour amender la PPE, que Marc Ferracci a dit vouloir publier par décret pendant l’été – sans attendre la fin de la navette parlementaire. Si la proposition de loi est adoptée le 24 juin, elle devrait revenir en deuxième lecture au Sénat, le 8 juillet.

« Il n’est pas réaliste que le gouvernement, censé avoir encore à cœur la transition écologique, vote le texte ou, alors, il aura cédé de bout en bout au RN, estime Bastien Cuq, responsable énergie au sein du Réseau action climat. Il a, en tout cas, une part de responsabilité : François Bayrou a cédé à la menace de censure du RN [en acceptant qu’un débat ait lieu au Parlement sur la programmation énergétique] mais n’a pas mis beaucoup d’énergie pour que ses soutiens soient présents dans l’Hémicycle. »

Selon l’amendement adopté, le moratoire sur l’éolien et le solaire se prolongerait jusqu’à « la réalisation d’une étude objective et indépendante visant à déterminer le mix énergétique optimal, sur les plans économique et environnemental ». « Il est complètement anachronique de dire que l’on manque d’études sur le système électrique,réagit Nicolas Goldberg, associé chez Colombus Consulting et responsable énergie au sein du cercle de réflexion Terra Nova. Et si c’était le cas, pourquoi un moratoire sur les renouvelables et pas sur le nucléaire ? »

En 2021, le gestionnaire national du Réseau de transport d’électricité (RTE) a détaillé, à l’issue de vastes concertations, six scénarios permettant d’atteindre la neutralité carbone, qui tous exigeaient un déploiement important de l’éolien et du solaire, et des bilans prévisionnels sont depuis mis à jour chaque année. « Ce moratoire signifie abandonner l’électrification des usages et la sortie des fossiles, ajoute Bastien Cuq. Même si l’on mise tout sur le nucléaire, les nouveaux réacteurs n’arriveront pas, au mieux, avant 2038. »

Transformation d’EDF

Si l’avenir du moratoire dépendra de la suite du processus, ce vote est d’ores et déjà un mauvais signal supplémentaire pour les acteurs des renouvelables. Ils avaient exprimé, ces dernières semaines, leurs inquiétudes quant à la tournure des discussions sur l’énergie. « Avec ce moratoire, le Parlement vient de voter le plus grand plan social de l’histoire de l’Assemblée », dénonce Mattias Vandenbulcke, délégué général adjoint de France renouvelables. Les secteurs de l’éolien et du solaire représentent des dizaines de milliers d’emplois directs et indirects.

Outre ce moratoire sur les renouvelables, le RN a obtenu que soit votée une relance du nucléaire certes moins ambitieuse que celle qu’il prônait, mais plus que celle défendue par l’exécutif. La proposition de loi inscrit le maintien de 63 gigawatts de capacités installées (l’équivalent des capacités du parc actuel) au-delà de 2050. Elle acte le lancement de la construction de 10 gigawatts (GW) de nouvelles capacités dès 2026 mais aussi de 13 gigawatts supplémentaires d’ici 2030, et prévoit de « maximiser la production nucléaire ». En vain, certains à gauche ont dénoncé les différents « risques » liés au nouveau nucléaire, en soulignant notamment qu’EDF n’avait toujours pas présenté de devis pour trois premières paires d’EPR.

Parmi les autres victoires du RN et surprises des débats, un amendement visant à procéder au redémarrage de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin), fermée en 2020 et en voie de démantèlement, a été voté. Symbolique, cette disposition est surtout irréaliste, selon l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection.

« Redémarrer Fessenheim n’est pas envisageable, explique Pierre Bois, son directeur général adjoint. Il est désormais patent que les réacteurs du site de la centrale ne répondent plus aux standards de sûreté applicables aujourd’hui »,puisqu’ils n’ont pas réalisé leur quatrième réexamen périodique. « Beaucoup d’opérations déjà irréversibles ont été réalisées, pour lesquelles il n’existe pas, à ce jour, de solution technique qui permette de revenir en arrière », ajoute M. Bois.

Parmi les autres mesures, figurent désormais dans cette proposition de loi la transformation d’EDF de société anonyme en établissement public industriel et commercial, le monopole d’EDF en matière de construction et d’exploitation de centrales nucléaires, la sortie des règles de fixation du prix de l’énergie du marché européen ou encore le rétablissement de tarifs réglementés de gaz.

[Source: Le Monde]