En Israël, malgré les dégâts et les morts, le soutien à la guerre contre l’Iran : « Je n’aime pas Nétanyahou mais il fait ce qu’il faut aujourd’hui »
L’immense majorité de la population soutient les frappes déclenchées le 13 juin, invoquant la menace nucléaire, mais aussi l’espoir d’une paix régionale à la suite d’une éventuelle chute du régime à Téhéran.

Shoshi Arbuz a reçu l’alerte sur son téléphone quelques minutes avant l’explosion. Avec ses quatre enfants, son mari et leur chien, ils ont eu le temps de descendre dans l’abri sous le petit immeuble de quatre étages. Une pièce de quelques mètres carrés au sous-sol avec des chaises en plastique et une porte blindée. Lorsque le missile iranien est tombé à moins d’une centaine de mètres de là, jeudi matin, un peu après 7 heures, à Holon, dans la banlieue sud de Tel-Aviv, le sol a tremblé dans la cave transformée en abri. « Tout est devenu noir, l’abri s’est rempli de poussières », raconte l’employée municipale de 40 ans. L’immeuble en face, directement touché, a été partiellement détruit – une trentaine de personnes ont été secourues, dont deux blessés dans un état critique, selon le sergent-major, commandant des pompiers de la ville.
Le souffle a pulvérisé l’intérieur de l’appartement familial, comme des dizaines d’autres autour de l’impact. Dans son salon en partie détruit, Shoshi Arbuz répète « ne pas vouloir la guerre » mais soutient sans hésitation la décision du gouvernement Nétanyahou d’attaquer l’Iran, par surprise, le 13 juin, au nom de la menace nucléaire. « L’Iran veut nous détruire. Je comprends que si on ne les avait pas attaqués, ils l’auraient fait », explique la mère de famille, à l’unisson d’une opinion publique convaincue du danger que représente le régime tenu par les ayatollahs.
Là où la stratégie du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, à propos des otages retenus par le Hamas dans la bande de Gaza depuis l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 provoque incompréhension et colère depuis des mois, le bombardement de cibles en Iran apparaît, à ce stade, plébiscité : plus de 80 % des juifs israéliens soutiennent ainsi les frappes déclenchées le 13 juin, selon un sondage réalisé ces derniers jours pour l’Israel Democracy Institute (IDI).
Remodeler le Moyen-Orient
Nous n’avons pas le choix, disent les habitants de Holon, quelles que soient leurs histoires, leurs profils, leurs engagements. « J’ai peur mais notre vie est ici, nous y sommes et nous y resterons pour toujours. Le 7-Octobre a été une claque dans la figure de chacun. Aujourd’hui, nous savons ce que nous devons faire. C’est notre droit à nous défendre », témoigne Danielle Aberam, 27 ans, employée d’une entreprise médicale, venue aider ses voisins, avec son mari, un réserviste discret, armé d’un fusil, avec lequel elle voudrait avoir « assez vite » des enfants. Parce que la vie continue. « Nous battre ou partir, nous battre ou mourir », résume, de son côté, Yair, ingénieur informaticien, 35 ans, qui refuse de donner son nom en raison de son statut de réserviste. Le jeune homme est loin d’être un soutien de Nétanyahou. Il avait, par exemple, soutenu l’initiative des réservistes, en avril, qui avaient signé des appels collectifs pour demander au gouvernement de sauver les otages au prix de l’arrêt de la guerre à Gaza. « Je ne l’aime pas mais il fait ce qu’il faut aujourd’hui », dit-il en balayant des débris au dernier étage de la maison parentale, sérieusement endommagée.
La peur saisit pourtant l’agglomération de Tel-Aviv depuis une semaine chaque fois que les alertes « extrêmement graves » font vibrer les téléphones. « Lorsqu’il y avait des alertes, ces derniers mois, on ne respectait plus vraiment les consignes », relate ainsi Nikki Bick, physiothérapeute de 28 ans, au milieu d’un groupe d’amis. Dans les abris, de jour comme de nuit, les habitants se retrouvent à nouveau dans la même inquiétude. Le bunker en béton est aussi un ciment social. Les fêtards y finissent leurs verres, les sportifs jouent avec un ballon, les parents racontent des histoires aux jeunes enfants. D’autres pleurent discrètement, puis demandent à ne pas être photographiés afin de ne pas donner de motif de satisfaction à l’ennemi. Puis tout le monde sort et reprend sa vie. « Une résilience incroyable », malgré les vingt-quatre morts, dit M., 26 ans, coach sportif, venu sur le front de mer avec ses amis et son fusil M5 – il le porte torse nu au bord de la plage. Dit autrement, par Anthony David Wilk, un secouriste de United Hatzalah, devant les décombres d’un immeuble touché à Ramat Gan : « On est prêt à tout, on s’est préparés à toutes les situations. »
La peur se mélange à une forme de confiance retrouvée, de solidarité temporaire et d’espoir inhabituel. Que les coups portés par l’armée de l’air israélienne contribuent à remodeler le Moyen-Orient, après avoir affaibli le Hamas et le Hezbollah et contribué à la chute du régime syrien. Arel Aminov, 24 ans, habitant de Holon, employé dans le secteur bancaire, regarde l’immeuble où ses parents possèdent un appartement. Le bâtiment devra probablement être démoli. Au grand dam de son père. Mais lui voit l’histoire en train de s’écrire. « J’aime Nétanyahou, le meilleur premier ministre d’Israël », dit-il avec emphase. « Tous les leaders du Hezbollah et du Hamas sont morts. Si Khamenei meurt, on peut imaginer avoir la paix dans le Moyen-Orient », veut-il croire.
L’opposition derrière Benyamin Nétanyahou
L’opinion est si fragmentée et ses représentants adeptes d’une telle violence verbale que plusieurs figures du monde politique ou intellectuel ont évoqué un risque de « guerre civile », ces derniers mois. L’attaque contre l’Iran, un peu comme pendant les semaines qui avaient suivi le 7-Octobre, a provoqué une forme d’union nationale temporaire. Fragile. Comme une pause dans la bataille rangée entre les « tribus » d’Israël, selon la formule de l’ancien chef d’Etat, Reuven Rivlin, en 2015.
Les principales figures de l’opposition à Benyamin Nétanyahou ont ainsi dû déclarer leur soutien à l’opération – un geste difficile alors que des élections générales auront lieu d’ici l’automne 2026. Même une majorité de l’électorat de gauche (57 %), pourtant farouchement opposé au gouvernement le plus radical de l’histoire, soutient la guerre contre l’Iran. « Deux tiers des juifs israéliens estiment que les motivations du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, au moment de lancer l’attaque étaient objectives et relevaient d’enjeux de sécurité », notent encore les auteurs du sondage publié par l’IDI.
Les Iraniens ne sont pas les Palestiniens. « Il n’y a pas de haine contre eux », selon Danielle Aberam. « L’Iran, c’est une grande culture, une civilisation. Ils pourraient être un pays riche de son pétrole s’ils n’avaient pas les ayatollahs », dit son mari. La distinction entre civils et militaires est rarement évoquée pour Gaza, sauf par des militants de gauche. Elle l’est de façon presque systématique pour les Iraniens, crédités de leurs tentatives de révolte contre le régime religieux, et qui ne sont pas arabes et ne revendiquent pas de vivre sur les mêmes terres. « Cela sera bien plus difficile de faire la paix avec les Palestiniens », relève Yair alors même que le monde s’inquiète plutôt d’un embrasement régional.
« Bataille du monde libre »
La guerre dans la bande de Gaza est proche géographiquement – des avions de chasse bifurquent au sud de la ville après avoir survolé et bombardé quotidiennement l’enclave. Mais, en dehors des visages des otages et des soldats morts, les images des dégâts humains (plus de 55 000 morts) causés par les bombardements de l’armée israélienne sont quasiment inexistantes sur les chaînes de télévision. Les autorités laissent ainsi la presse s’approcher des sites touchés en Israël, là où tout accès à Gaza est interdit et où 176 journalistes palestiniens ont été tués depuis octobre 2023, selon le Comité de protection des journalistes.
A Beersheba, dans le sud du pays, un voyage de presse a, par exemple, été organisé, jeudi après-midi, au sein de l’hôpital Soroka, touché par un missile. En visite sur place, Benyamin Nétanyahou a accusé l’Iran des crimes de guerre dont il est lui-même accusé à Gaza. Il a fustigé la frappe contre l’hôpital – une méthode appliquée à de nombreuses reprises par Israël dans la bande de Gaza, comme le dénoncent des organisations non gouvernementales depuis octobre 2023.
L’argumentaire a été repris par les fidèles du premier ministre. Devant les décombres de l’immeuble détruit à Holon, le président de la Knesset, Amir Ohana, membre du Likoud, est venu affirmer que Téhéran paierait « le prix fort ». « Le régime iranien n’a cessé de répéter que son seul objectif est de détruire Israël. L’histoire du peuple juif – l’Holocauste et aussi le 7-Octobre – montre que nous devons écouter ce que disent nos ennemis », a souligné le président de l’Assemblée.
Avec cette conviction martelée face aux caméras : « Il ne s’agit pas d’un conflit local. Dans notre région, Israël représente la démocratie et c’est ce que les ayatollahs et le Hamas combattent. Ce n’est pas notre bataille, c’est la bataille du monde libre, c’est un choc des civilisations avec les forces du fondamentalisme et de l’extrémisme, représentées par le Hamas et le régime des ayatollahs. »
[Source: Le Monde]