Une énième enquête menée par les Etats-Unis sur les conditions chaotiques de leur départ d’Afghanistan
Près de quatre ans après le retrait des Américains en catastrophe, marqué par un attentat-suicide qui avait tué 183 personnes, le Pentagone a ordonné une nouvelle investigation sur cette opération.

Les autorités américaines n’ont toujours pas digéré leur retrait d’Afghanistan organisé, en catastrophe, fin août 2021, après vingt ans de présence dans un pays qu’ils ont tenu à bout de bras. Le chef du Pentagone, Pete Hegseth, a ordonné, fin mai, une énième enquête sur les conditions chaotiques de ce départ marqué par un attentat-suicide, le 26 août 2021, à l’aéroport de Kaboul. Sean Parnell, assistant du secrétaire à la défense pour les affaires publiques, a été nommé à la tête d’un travail qui devrait durer plusieurs mois.
La démarche n’est pas dénuée de calculs politiques à l’égard de l’ancien président Joe Biden, alors aux affaires, mais elle pourrait, néanmoins, finir par se retourner contre l’actuel locataire de la Maison Blanche. Donald Trump avait, en effet, lancé le processus de retrait des forces américaines en signant, en février 2020, à Doha (Qatar), un accord avec les talibans lors de son premier mandat. Qualifiée de blanc-seing par ses détracteurs, cette négociation avait ouvert la voie au retour des islamistes afghans au pouvoir, précipité la chute du régime de Kaboul, pourtant soutenu et financé par Washington, et surpris les chancelleries occidentales.
Ce 26 août 2021, aux abords de l’aéroport assiégé par des milliers de personnes voulant fuir un pays de nouveau aux mains des islamistes afghans, un kamikaze de l’organisation Etat islamique au Khorassan (EI-K) se fait exploser près de l’Abbey Gate, seule entrée accessible pour pénétrer dans la dernière enclave tenue par des forces occidentales. Le bilan est lourd : 13 militaires américains et 170 Afghans tués et plus de 160 personnes blessées. Cet attentat et les scènes dramatiques, quelques jours après, de centaines d’individus envahissant les pistes et s’accrochant, pour certains, aux roues des avions occidentaux quittant le pays resteront les symboles d’une cuisante défaite.
Témoignage d’un ancien marine
Depuis, les Etats-Unis ne cessent de ressasser et tentent de comprendre. La première enquête diligentée par le commandement de l’armée américaine avait conclu, en novembre 2021, qu’au regard de la dégradation de la sécurité à Abbey Gate « l’attaque n’était pas évitable au niveau tactique sans compromettre la mission visant à maximiser le nombre de personnes évacuées ». Une façon de dire qu’en dépit des risques encourus par les soldats postés à cette entrée il fallait garder cette position pour ne pas mettre en péril la sécurité de l’ensemble des opérations d’évacuation en cours à l’aéroport.
Mais ces explications n’ont pas suffi. Les critiques suscitées, notamment, par la diffusion dans le monde entier des images traumatiques de l’aéroport ont poussé le Congrès à demander, en 2022, des comptes à l’administration Biden. Une étude parlementaire a dénoncé, dans un premier temps, le manque de préparation du retrait et la mise en danger du personnel. Le département d’Etat et le Pentagone ont répondu, en avril 2023, par deux rapports dont la Maison Blanche a fait publier une synthèse avec l’espoir d’éteindre l’incendie. Elle soulignait la responsabilité de Donald Trump au regard du piteux héritage de l’accord de Doha qui n’avait rien prévu d’autre que le retour des soldats américains au pays et elle soutenait que le département d’Etat avait fait au mieux, même si, à l’avenir, il faudrait davantage anticiper la préparation d’aussi vastes opérations d’évacuation.
Ce plaidoyer pro domo a vite été battu en brèche par le témoignage d’un ancien sergent des marines, Tyler Vargas-Andrews, auditionné par la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants. Selon lui, les tireurs d’élite présents à Abbey Gate, ce jour-là, auraient vu le kamikaze potentiel mais n’auraient pas pu obtenir de leur hiérarchie l’autorisation de l’abattre. Blessé lors de l’explosion, l’intéressé n’avait pas été interrogé lors de l’enquête initiale.
Le drame était annoncé
Ce récit a conduit l’armée américaine à commander une nouvelle enquête afin d’élargir le nombre de personnes interrogées. Ses conclusions, publiées en avril 2024, ont, de nouveau, réfuté les accusations de manquements et confirmé que l’attentat ne pouvait pas être évité. Le commandement central (US Central Command) assurait que « l’homme chauve en noir repéré par les militaires le matin de l’attentat n’était pas le kamikaze », dont il confirmait, par ailleurs, le nom, Abdul Rahman Al-Logari. Incarcéré, ce membre de l’EI avait été libéré par les talibans quelques semaines auparavant lors de la conquête du pays.
Le rapport final comportait les photos de « l’homme chauve » et d’Al-Logari. Il expliquait qu’après avoir recouru à de nombreuses analyses techniques, dont la reconnaissance faciale, il était apparu qu’il ne pouvait s’agir du même homme. Les rapports internes à l’armée mentionnant la présence d’un possible kamikaze aux cheveux coiffés, portant des vêtements amples et un sac noir n’auraient pas été suffisants, disent ses auteurs, car la description donnée pouvait « correspondre à n’importe quelle personne dans l’immense foule tentant désespérément d’entrer dans l’aéroport ». De plus, ajoutaient-ils, l’homme chauve avait été repéré plus de sept heures avant l’attentat avant de disparaître. Constat toujours contesté, aujourd’hui, par certaines familles de soldats victimes de l’explosion.
Seule certitude dans toutes ces enquêtes, le drame était annoncé. La veille, les autorités américaines et britanniques avaient fait état de « menaces crédibles d’attentats-suicides ». Les services de renseignement avaient intercepté sur des messageries cryptées une vidéo d’un « martyr » annonçant son projet mortifère. Informé, l’ambassadeur de France à Kaboul, David Martinon, présent dans l’enceinte de l’aéroport, avait interdit aux forces spéciales françaises, ainsi qu’aux policiers du RAID, de se rendre à proximité d’Abbey Gate, comme il l’écrit dans son livre Les Quinze jours qui ont fait basculer Kaboul (L’Observatoire, 2022).
[Le Monde]