A Tel-Aviv, les familles des otages s’opposent à l’occupation de Gaza et évoquent une grève
Les multiples rassemblements n’ont pas eu l’effet politique escompté et la lassitude pointe, alors que la dernière manifestation, samedi 9 août, a réuni au mieux 60 000 personnes, loin des pics de la mobilisation. Face à un « gouvernement qui n’écoute pas les Israéliens », d’autres modes d’action sont évoqués.
« Il faut faire la révolution contre ce gouvernement. Mais comment faire ? » Miri Rozovsky, 57 ans, résume la question qui traverse la partie de la société israélienne en colère contre le gouvernement de Benyamin Nétanyahou et son refus de mettre fin à la guerre dasn la bande de Gaza pour obtenir la libération des otages retenus par le Hamas depuis le 7 octobre 2023. L’annonce par le gouvernement, vendredi 8 août, de l’occupation progressive de l’enclave palestinienne, sous le feu de l’armée israélienne depuis bientôt deux ans, a jeté l’effroi parmi les milliers de personnes qui manifestent tous les samedis en solidarité avec les otages.
Comment passer de la peur à la mobilisation ? « La grève », répond Miri Rozovsky devant la place de Tel-Aviv où, comme toutes les fins de semaines, débute, samedi 9 août, un rassemblement. Comme Tomer Pelts, étudiant de 22 ans : « Nous devons durcir le mouvement parce que le gouvernement n’écoute pas les Israéliens. S’il faut aller jusqu’à la grève, nous irons. » Ou Dan, 60 ans, cadre dans la tech, ancien des forces spéciales, des bougies à la main, qui refuse de donner son nom : « La grève. Ou bien une résistance citoyenne. Parce que personne ne veut occuper Gaza : nous en connaissons le prix moral, financier, humain. »
Après vingt-deux mois de guerre et plusieurs dizaines de rassemblements, le mouvement de défense des otages est à un tournant. Les sondages montrent, certes, que l’opinion voudrait privilégier leur retour à tout autre objectif mais les rassemblements n’ont pas eu jusqu’à présent d’effet politique. Samedi soir, les organisateurs ont annoncé 60 000 personnes à Tel-Aviv, dans une estimation qui semble généreuse. Comme la semaine précédente. Loin, en tout cas, des pics de la mobilisation, en septembre 2024, lorsque plusieurs centaines de milliers de personnes s’étaient rassemblées après la mort de six otages exécutés par le Hamas alors que l’armée s’approchait de leur lieu de détention.
L’opposition cherche des relais
Les manifestants disent leur lassitude. Une part importante avaient aussi défilé, à de nombreuses reprises, contre la réforme judiciaire du gouvernement Nétanyahou au début de l’année 2023 avant l’attaque du Hamas. Certaines familles sont partisanes de changer de ton. Et de méthode. « Si vous occupez Gaza et que des otages sont tués, nous vous poursuivrons dans les espaces publics, pendant la campagne, tout le temps, partout. (…) Vos mains seront couvertes du sang des otages », a averti Einav Zangauker, la mère de Matan, en visant le premier ministre. La mère de famille s’est également adressée à la société israélienne dans son ensemble : « Chers mères, amis, responsables économiques, la bataille n’est pas seulement la nôtre, les familles des otages. Serez-vous avec moi quand j’appellerai à tout bloquer, à faire la grève ? », a-t-elle écrit sur X. Une autre mère, Vicky Cohen, a fait le même constat, relayé par les médias israéliens : « Il n’y a qu’une seule façon d’arrêter tout cela : tout bloquer. »
Selon le journal Haaretz, les familles devraient se réunir dimanche matin pour évoquer le principe d’une grève. Des contacts seraient en cours avec le principal syndicat du pays, la Histadrout, jusque-là particulièrement prudent, pour qu’il relaie l’appel et lui donne la force d’une grève générale. « On a fait du “message bombing” sur le téléphone d’Arnon Bar-David, le patron de la Histadrout, pour lui dire qu’il fallait une grève », sourit Miri Rozovsky. En mars 2023, au cours des manifestations contre la réforme judiciaire, celui-ci avait lancé une grève générale, obligeant le gouvernement Nétanyahou à suspendre son projet.
L’opposition cherche des relais. Aucune leader ne porte et n’incarne le mouvement jusqu’à présent. Depuis des mois, les proches des familles se succèdent dans les défilés et les médias. Sans impact sur les choix du gouvernement. Sur la scène, devant la foule, un des animateurs du défilé a plaidé pour la rupture : « N’attendez pas la prochaine élection ! C’est maintenant qu’il faut arrêter la guerre. Allumer des bougies ne suffit pas, il faut sortir en masse dans la rue. »Des familles se tournent à nouveau vers le président américain, Donald Trump – comme plus de 500 anciens officiers du renseignement quelques jours auparavant –, le priant d’intervenir afin d’empêcher l’occupation de la bande de Gaza.
« Nous avons besoin du reste du monde pour arrêter la guerre », insiste Miri Rozovsky en se désolant de la place prise par l’extrême droite au sein de la coalition et donc dans la conduite du pays : « Cette extrême droite est minoritaire, les opposants à la guerre sont majoritaires, mais c’est bien elle qui pèse le plus. » Comme en écho à ce constat, le ministre des finances (nationaliste religieux), Bezalel Smotrich – photographié deux jours plus tôt devant un graffiti « Mort aux Arabes » – a publiquement accusé, samedi soir, Benyamin Nétanyahou de ne pas aller assez loin dans l’occupation de l’enclave palestinienne et de ne pas exclure des accords partiels de libération d’otages.
[Source: Le Monde]