Plan Trump pour Gaza : malgré la pression, le Hamas rechigne à signer un accord en forme de reddition
Le mouvement islamiste ne veut pas apparaître comme le seul responsable d’un échec du plan de paix. Mais le fait que le retrait des troupes israéliennes ne soit pas un préalable au cessez-le-feu est un obstacle majeur.

L’empressement avec lequel Donald Trump et Benyamin Nétanyahou ont avancé leur plan pour mettre fin à la guerre à Gaza, lundi 29 septembre, a suscité la consternation au sein du Hamas. Lundi et mardi, plusieurs porte-paroles du mouvement islamiste ont dénoncé un texte qui ne propose, selon eux, qu’une « reddition » pure et simple. Il apparaît d’ores et déjà difficile, pour ses chefs, de l’accepter sans modifications importantes.
Les médiateurs égyptien et qatari ont signalé cet obstacle, en laissant fuiter aux sites Middle East Eye et Axios leur déplaisir face à un plan élaboré sans la moindre concertation avec les Palestiniens. In fine ce texte s’écarte de leurs propres propositions, notamment en imposant au Hamas de se désarmer sans qu’Israël ne retire ses troupes de la bande de Gaza. L’armée israélienne n’abandonnerait l’essentiel de ses positions qu’une fois le désarmement du mouvement islamiste constaté. Elle entend par ailleurs conserver pour un temps indéterminé une zone tampon dans Gaza, ainsi que le contrôle de l’unique poste-frontière qui ouvre l’enclave vers l’Egypte.
Certes, la pression qui pèse sur le Hamas est immense. Il ne peut se permettre d’apparaître comme seul responsable d’un échec, alors que huit pays arabes et islamiques ont salué les « efforts sincères » de Donald Trump pour « trouver un chemin vers la paix ». En cas de blocage, l’alternative exprimée par le président américain serait la poursuite de la destruction de la ville de Gaza. Mais cette pression ne pouvait être univoque, mardi soir, à l’heure où les négociateurs palestiniens retrouvaient leurs hôtes au Qatar, trois semaines après avoir échappé au bombardement par Israël de leur bureau de représentation à Doha.
Ils devaient s’entretenir de nouveau avec le premier ministre de l’émirat, Mohammed Ben Abderrahmane Al Thani, ainsi qu’avec les médiateurs égyptiens et avec le chef du renseignement turc, Ibrahim Kalin. Ces interlocuteurs ne sont pas sans influence : au fil de la guerre, les autorités turques et qataries se sont discrètement coordonnées pour orchestrer le déménagement des chefs en exil du Hamas vers la Turquie. Istanbul apparaît comme leur dernier refuge, alors que Washington presse le Qatar de fermer, à terme, leur bureau de représentation.
« Le Hamas a de multiples chefs »
Ces négociations sont compliquées par la déréliction du Hamas. L’assassinat du chef de son bureau politique, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran en juillet 2024, a achevé de donner toute autorité aux militaires, déplore une source proche des négociations : « Haniyeh commandait le respect des militaires à Gaza, dans une certaine mesure. Il était capable de leur dire qu’ils devaient donner leur accord à une proposition. Désormais, les négociateurs ne font que transmettre des messages, qui parviennent indirectement à Gaza en deux à cinq jours. »
La mort du chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinouar, puis celle de son frère Mohammed, ont aussi décapité le mouvement dans l’enclave, laissant aux commandes plusieurs officiers locaux sans expérience politique. « Aujourd’hui, le Hamas a de multiples chefs et il cherche le consensus », poursuit cette source. Le plan de Donald Trump propose à ces officiers de fuir l’enclave, mais ils ont peu de chance de saisir une telle offre : « Ils se font une joie de mourir au combat », rappelle encore cette source.
Sur le fond, le Hamas a déjà envisagé par le passé de relâcher ensemble tous ses otages (une vingtaine d’entre eux seraient encore vivants), dès le début d’un cessez-le-feu, au risque de se priver de son unique monnaie d’échange, contre la libération de prisonniers palestiniens (environ 2 000). Il a déjà évoqué un « décommissionnement » de ses armes (destruction des tunnels, fin de la production de missiles, déminage et retrait des explosifs dispersés dans Gaza). Le plan Trump emploie aussi ce terme, au côté de celui, binaire, de « désarmement. »
Le Hamas s’est enfin montré ouvert, depuis dix-huit mois, à un accord « global », fixant d’emblée à grands traits les paramètres de l’après-guerre. C’est le cas du plan Trump, et c’est aussi l’option que privilégiait un responsable qatari, peu après les frappes israéliennes du 9 septembre sur Doha. Ce plan a le mérite de contraindre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, à dessiner pour la première fois cet après-guerre : il est contraint d’exclure un nettoyage ethnique et une recolonisation de l’enclave par l’Etat hébreu.
Le risque d’enterrer la souveraineté palestinienne
Le mouvement islamiste palestinien peut parier qu’un cessez-le-feu précipiterait des élections en Israël, qui repousseraient une telle menace. « Mais le nettoyage ethnique a déjà lieu, estime Azmi Kishawi, analyste gazaoui à l’International Crisis Group, qui avait fui l’enclave pour Doha en 2024. Le risque, avec ce plan, c’est d’enterrer la souveraineté palestinienne, en entérinant la division de Gaza et de la Cisjordanie sous deux régimes. Il serait difficile au Hamas d’accepter en l’état cet accord, qui remplace une occupation israélienne par une autorité internationale à Gaza, une sorte de mandat britannique [en vigueur en terre sainte entre 1923 et 1948], et qui ne prend pas même la peine de mentionner l’ambition de revenir aux frontières internationalement reconnues de 1967. »
A ce titre, Leïla Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherche et d’études politiques de Paris (Carep), juge qu’il est « impossible de défendre à la fois la solution à deux Etats et ce plan, qui l’enterre. Cela montre les faux-semblants des diplomaties européennes, dont celle de la France, qui l’ont salué. » Donald Trump tient à prendre la tête du conseil directeur d’une autorité internationale, censée « superviser » les futurs administrateurs palestiniens et étrangers de Gaza. Cette responsabilité l’oblige, mais le Hamas fait peu de différence entre le président américain et son allié israélien.
L’implication de l’ex-premier ministre britannique Tony Blair dans cette autorité temporaire ne suscite pas non plus un grand enthousiasme. L’homme a pourtant échangé directement par le passé avec l’ancien chef du Hamas, Khaled Mechaal, et déploré le boycott du mouvement islamiste par les Européens, après leur victoire aux dernières législatives palestiniennes, en 2006. Quant aux Etats arabes, censés contribuer à une force internationale et « former » la police locale, ils paraissent peu pressés de jouer les forces d’occupation.
Le Hamas fait aussi face à la pression de l’opinion palestinienne, qui s’épuise à attendre la fin du martyre de Gaza, et qui craint tout à la fois qu’Israël enterre son droit à l’autodétermination, sous couvert d’un cessez-le-feu signé avec une unique faction aux abois. Mardi, Ziad Al-Nakhala, le chef d’une petite faction sœur du mouvement palestinien, le Jihad islamique, estimait ainsi qu’« Israël tente d’imposer, par l’intermédiaire des Etats-Unis, ce qu’il n’a pas réussi à obtenir par la guerre ».
Le président Mahmoud Abbas, largement décrédibilisé en Palestine, s’est contenté pour sa part de saluer l’« effort [américain] pour mettre fin à la guerre », à l’unisson des Etats arabes. Des voix se sont enfin élevées au sein même du Hamas, quoique hors des cercles dirigeants, estimant qu’il était temps de faire taire les armes et de reconnaître un échec, au moins temporaire, de la lutte armée. Les autorités qataries ont conscience de ce risque de divisions : le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Majed Al-Ansari, a fait savoir, mardi, que d’autres représentants de factions palestiniennes, présents à Doha, seraient consultés.
[Source: Le Monde]