Dans la Chine de Xi Jinping, des purges sans fin
lors que le Parti communiste chinois, réuni en plénum, planchait sur son nouveau plan quinquennal, le ministère de la défense a annoncé des enquêtes pour corruption ou abus de pouvoir contre neuf des plus hauts gradés de l’Armée populaire de libération.
Durant quatre jours, du lundi 20 au jeudi 23 octobre, les quelque 315 plus hauts cadres du Parti communiste chinois (PCC) étaient réunis dans le très officiel Hôtel Jingxi, dans l’ouest de Pékin, pour parler des projets du pays pour les cinq prochaines années. Il fut question d’autosuffisance technologique face aux restrictions américaines, de modernisation de l’armée ou encore du soutien à la consommation pour stabiliser l’économie.
Une information-clé cependant était à trouver, non chez les présents à ce huis clos politique, mais dans le nombre d’absents : 16 % des 376 membres et suppléants du comité central du PCC nommés en 2022 – déjà sous la domination absolue de Xi Jinping – manquaient à l’appel. Les seules raisons qui peuvent expliquer de manquer un plénum sont la santé ou les purges.
Ces dernières se révèlent toujours plus fortes, alors même que Xi Jinping, à la tête de l’Etat, du PCC et de l’armée depuis treize ans, a eu tout loisir d’éliminer les factions qui pouvaient lui résister. Il a même excellé en ce domaine comme aucun autre avant lui depuis la fin du maoïsme.
Et les têtes continuent de tomber. Le ton du plénum avait été donné, le 17 octobre, à deux jours de son ouverture, lorsque le ministère de la défense a annoncé des enquêtes pour corruption ou abus de pouvoir contre neuf des plus hauts gradés de l’Armée populaire de libération (APL). Parmi eux, le général He Weidong, le numéro deux de l’armée chinoise si l’on ne compte pas le dirigeant suprême, Xi Jinping. Il était chargé du « travail politique », c’est-à-dire de la loyauté absolue, indispensable si l’APL devait intervenir en cas de conflit avec l’extérieur mais aussi en protection du régime, comme ce fut le cas face aux manifestants de la place Tiananmen, en 1989. Lin Xiangyang, le commandant du théâtre oriental, chargé de la préparation des opérations si la décision devait être prise d’attaquer Taïwan, tombe également en disgrâce. Le général He Weidong a été remplacé, jeudi, par le chef de la discipline de l’APL, Zhang Shengmin, au poste de vice-président de la commission militaire centrale. Cet organe, où devaient figurer sept membres dont des représentants des trois corps de l’armée, avant l’ère Xi Jinping, ne compte plus que quatre personnes, en incluant le président.
Folles spéculations
Autant de mouvements suscite des interrogations chez les observateurs de la boîte noire qu’est le PCC. Surtout au milieu d’un troisième mandat, et alors que le ralentissement économique se fait très concrètement ressentir dans la vie quotidienne des Chinois. Jon Czin, ancien responsable du suivi de la Chine à la CIA avant d’être le directeur Chine au sein du Conseil de sécurité nationale américain entre 2021 et 2023, sous Joe Biden, invite à ne pas se méprendre sur la signification de ces évictions en série. « Durant ses premiers mandats, il était logique pour Xi de s’attaquer à ses rivaux, aux autres centres de pouvoir au sein de l’armée. Mais il s’en prend désormais à ceux qui devaient être ses protégés, et ce changement sème la confusion auprès d’un grand nombre. Pourtant je n’y vois pas un signe de faiblesse mais, au contraire, la preuve de sa domination continue », dit M. Czin, aujourd’hui chercheur à la Brookings Institution, à Washington.
Tristan Tang, analyste au sein du Projet de recherche sur les affaires de défense chinoises, basé à Taïwan, relève que tous les derniers purgés avaient en commun leur rôle dans les nominations au sein de l’armée. « Le problème est qu’ils ont recommandé des personnes qui ne convenaient pas au président Xi », avance-t-il, à la lecture des communiqués et articles officiels de l’armée. Ils ont pu être corrompus en échange de l’attribution de postes, une pratique longtemps endémique au sein de l’APL, ou faire émerger leur propre chaîne de loyautés, alors qu’il ne peut y avoir d’attache qu’au « noyau », c’est-à-dire à Xi Jinping.
Ces problèmes internes sont vus comme des freins à la préparation de l’armée chinoise aux défis externes, alors que la tension monte avec les Etats-Unis et que Xi Jinping a exigé des militaires qu’ils soient en capacité de mener une opération sur Taïwan à l’horizon 2027, année qui marquera le centenaire de l’APL – sans préjuger d’une décision d’attaquer ou non ; Pékin affirme toujours préférer une solution politique.
Capacité chinoise à mutiler ses propres rangs
Ces purges perpétuelles servent aussi à montrer que la confiance du dirigeant n’est jamais acquise et qu’il a toujours la main, seul. Ces campagnes avaient commencé dès les mois qui suivirent son accession au pouvoir, à l’automne 2012. La disgrâce d’ex-vice-présidents de la commission militaire centrale avait constitué une première démonstration de force. Elles ont repris de plus belle en 2023 avec des enquêtes et des arrestations au sein de toute la force chargée des missiles, donc de la dissuasion nucléaire, puis avec la chute, en 2024, de deux ministres de la défense successifs.
A chaque fois, les absences durant de longs mois sont remarquées. Et, alors que la Chine était parvenue à faire nommer un de ses officiels à la tête d’Interpol malgré les réticences d’Etats membres de l’organisation policière internationale à céder une telle fonction à un pays autoritaire, Pékin, en 2018, fit disparaître Meng Hongwei, alors basé au siège à Lyon, dans des circonstances inexpliquées, avant de le condamner à treize ans de prison.
En 2023, la disparition de la scène publique du ministre des affaires étrangères, Qin Gang, après seulement sept mois en poste, a laissé les diplomates étrangers perplexes devant la capacité chinoise à mutiler ses propres rangs. On prêtait à cet ancien ambassadeur à Washington une maîtresse et un enfant caché aux Etats-Unis. Cette même année, un ex-ministre de l’agriculture a été condamné à mort avec sursis, peine généralement commuée en prison à perpétuité.
A chacune de ces disparitions, l’image de sérieux et de constance du régime se trouve affectée à l’international. Mais toutes contribuent aussi à réaffirmer la détermination et le pouvoir personnel de Xi Jinping, qui répète souvent devant le PCC qu’il faut savoir « retourner la lame contre soi-même ». Il voit dans la prévarication et la perte de contrôle des facteurs qui ont mené à l’effondrement de l’autre grand régime communiste, l’Union soviétique. Les mauvaises surprises de l’armée russe au début de l’invasion de l’Ukraine, en 2022, avec ses chars datés et ses rations périmées, n’ont pas échappé à l’attention de Pékin.
Le nombre de personnes ciblées est devenu un indicateur public
Le président chinois avait d’ailleurs ouvert l’année par un séminaire de la très puissante commission centrale d’inspection disciplinaire, l’organe d’enquête du PCC. Il y avait affirmé que la corruption n’est pas seulement toujours présente, mais qu’elle est en hausse, au risque de soulever des interrogations sur l’efficacité des mécanismes en place. « La corruption est la plus grande menace contre notre parti », avait lancé M. Xi, le 6 janvier, tandis que cet organe se targuait d’avoir fait chuter 47 officiels d’un rang supérieur à celui de vice-ministre rien qu’en 2024.
Cette bataille sans fin a, en treize ans, semé la terreur dans les rangs du secteur public autant que dans ceux des milieux économiques, des hommes d’affaires ayant interagi avec ou soutenu les officiels faisant eux aussi l’objet d’enquêtes. Elle atrophie l’esprit d’initiative de cadres locaux d’un système qui se vante de son agilité à porter les politiques de développement. Le nombre de personnes ciblées est devenu un indicateur public. Les autorités ont pris des sanctions administratives contre 889 000 officiels en 2024, en hausse de 45 %.
[Source: Le Monde]