Au Brésil, Jair Bolsonaro placé en détention provisoire après une invraisemblable tentative de fuite
Assigné à résidence dans l’attente de l’épuisement des recours contre sa condamnation pour tentative de coup d’Etat, l’ancien président d’extrême droite a essayé de brûler son bracelet électronique. Il a été placé à l’isolement.
Jair Bolsonaro a passé sa première nuit en prison – mais un peu plus tôt qu’il ne l’aurait pensé. Dans une décision qui a pris le Brésil de court, la justice a ordonné, samedi 22 novembre, la mise en détention provisoire de l’ancien président d’extrême droite, condamné deux mois plus tôt à vingt-sept ans et trois mois de réclusion pour tentative de coup d’Etat. En attente de l’exécution imminente de sa peine, Jair Bolsonaro est soupçonné d’avoir tenté de prendre la fuite avant son incarcération.
Tout a commencé dans la nuit de vendredi à samedi. A minuit et huit minutes, le bracelet électronique de Jair Bolsonaro, assigné à résidence, émet un signal d’alerte. Sans attendre, les policiers se rendent à son domicile, dans une résidence de luxe situé à l’est de Brasilia. Mais la cause n’est ni un souci de batterie ni une panne électrique. Effarées, les forces de l’ordre découvrent des traces importantes de détérioration et de brûlure sur toute la circonférence du dispositif. Aucun doute n’est permis : le condamné a tenté de rompre l’équipement, sans doute à l’aide d’un couteau électrique ou d’un fer à souder.
L’information remonte jusqu’à Alexandre de Moraes, juge au Tribunal suprême fédéral et rapporteur de l’affaire, qui ordonne immédiatement sa mise en détention provisoire. « Les éléments confirment que le condamné voulait détruire son bracelet électronique pour mener à bien sa fuite », insiste le magistrat. Selon lui, Jair Bolsonaro aurait souhaité profiter de la confusion créée par une « veillée de prières » de ses partisans, organisée près de l’immeuble, pour aller demander asile à l’ambassade des Etats-Unis, située à seulement 13 km, soit « environ 15 minutes de voiture ».
Pour Alexandre de Moraes, il s’agissait d’agir vite afin de ne pas voir se répéter plusieurs précédents fâcheux. Plusieurs figures d’extrême droite ont en effet fui à l’étranger afin d’échapper à la justice brésilienne. Parmi elles se trouvent Eduardo Bolsonaro, député et troisième fils de l’ancien dirigeant, actuellement réfugié aux Etats-Unis ; mais aussi, et plus grave encore, Alexandre Ramagem. Ex-directeur des services de renseignements, condamné à seize ans de réclusion pour son implication dans la tentative de coup d’Etat visant à assassiner et empêcher la prise de fonction de Luiz Inacio Lula da Silva, vainqueur des élections de 2022, il se trouve aujourd’hui en Floride.
Fer à souder
A 6 heures, les forces de l’ordre sont allées frapper à la porte de Jair Bolsonaro. Ordre avait été donné par Alexandre de Moraes d’agir dans la plus grande discrétion, en respectant au maximum la dignité du prisonnier. L’interpellation s’est déroulée loin des caméras, sans usage de menottes et sans humiliation publique. Le convoi a ensuite pris la direction de la surintendance de la Police fédérale (PF) du district de Brasilia.
La presse s’est rapidement procuré des images de sa cellule provisoire. La chambre individuelle de 12 m² dispose d’un lit simple, d’armoires, d’une petite table, d’une télévision, d’un frigo bar, de la climatisation, d’une fenêtre et d’une salle de bains privée. Le cadre est spartiate à première vue, mais en réalité d’un luxe insensé si on le compare aux conditions sordides des prisons surpeuplées et dangereuses du Brésil.
C’est donc ici, à l’isolement, que l’ancien président attendra de connaître son sort. Depuis le 11 septembre et sa condamnation pour tentative de coup d’Etat contre son successeur Lula, la justice a rejeté un à un les recours déposés par ses avocats. Depuis la publication officielle de la décision collégiale de la Cour suprême le 18 novembre, l’incarcération définitive de Jair Bolsonaro n’était plus qu’une question de jours.
Aux abois, ce dernier a avoué dans la journée aux enquêteurs avoir usé d’un fer à souder pour briser son bracelet électronique. Dans une vidéo rendue publique par la Cour suprême, il explique l’avoir fait par « curiosité ». L’acte, désespéré et aberrant, a sidéré jusqu’à ses proches, pourtant habituées aux débordements de cet imprévisible ancien capitaine de l’armée. « Le président Bolsonaro ne pouvait d’aucune manière se soustraire [à la justice] ou s’évader de chez lui. Une voiture de policiers fédéraux armés stationne devant son domicile 24 heures sur 24, sept jours sur sept », a rappelé son avocat Paulo Cunha Bueno, estomaqué.
Lâché de toutes parts
L’ancien dirigeant se savait lâché de toutes parts. Assigné à résidence depuis le 4 août et interdit de réseaux sociaux, il n’est depuis des mois qu’une ombre fantomatique apparaissant de temps à autre sur le seuil de sa résidence. Les manifestations en sa faveur rassemblent de moins en moins de partisans et même le président américain, Donald Trump, qui entretient désormais d’excellentes relations avec Lula, paraît avoir pris ses distances. A défaut, son épouse Michelle Bolsonaro a annoncé samedi s’en remettre à la « justice de Dieu », ajoutant, laconique : « Je sais que le Seigneur lui offrira une issue. »
Si la gauche s’est bruyamment réjouie de son incarcération, certaines personnalités sabrant le champagne dans la rue ou en ligne, le camp ultraconservateur ne semble pas baisser les bras. Les alliés politiques de Jair Bolsonaro ont immédiatement pris la route de Brasilia pour manifester leur soutien. Tarcisio de Freitas, puissant gouverneur de Sao Paulo et dauphin probable de l’ex-président, a défendu l’« innocence » de son mentor et dénoncé une décision « irresponsable » de la justice, qui, selon lui, « porte atteinte au principe de la dignité humaine ».
Ses défenseurs invoquent la condition physique préoccupante de Jair Bolsonaro, 70 ans, atteint, selon eux, de troubles digestifs graves, de problèmes cardiaques, pulmonaires, neurologiques et d’un cancer de la peau de type mélanome. Son état physique est décrit comme « extrêmement affaibli » voire « compromis ». « L’objectif d’Alexandre de Moraes est très simple : tuer mon père », est allé jusqu’à lancer son fils Eduardo, depuis son exil américain, sur la plateforme X.
Pour parer à toute critique, le magistrat a permis à Jair Bolsonaro de recevoir des soins médicaux « en continu » et sans restriction. Mais par son geste, l’ancien président a ruiné toutes chances de pouvoir effectuer sa peine à domicile. Son placement définitif derrière les barreaux devrait intervenir en début de semaine. A ce stade, les juges penchent pour une unité pénitentiaire de haute sécurité, gérée par la police militaire au sein du complexe de Papuda, à Brasilia. Ultime étape d’une déchéance qui oscille entre grotesque et lugubre.
[Source: Le Monde]