Itinéraire de Baptiste C., néonazi (presque) repenti

Il appartient à la « génération Bataclan », ces jeunes militants d’extrême droite ultraviolents qui se sont radicalisés à la suite des attentats djihadistes de 2015. Dix ans plus tard, Baptiste C. purge lui-même une peine pour terrorisme. Le terme d’un parcours de vie chaotique, sur fond de carence affective, maltraitance, sévices et délinquance. Aujourd’hui, à 28 ans, l’ancien skinhead revendique sa volonté de décrocher de l’idéologie nazie.

Juil 7, 2025 - 06:24
Juil 7, 2025 - 06:30
Itinéraire de Baptiste C., néonazi (presque) repenti
THEOPHILE TROSSAT POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

Nous sommes au début du mois de février. La foule fait la queue pour assister au procès de l’affaire libyenne de Nicolas Sarkozy, au deuxième étage du tribunal des Batignolles, à Paris. Dans la salle en face, presque vide, se joue le sort de huit inconnus. Il s’agit de la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, chargée de juger les infractions terroristes passibles de moins de dix ans de prison. Chef d’accusation : « association de malfaiteurs terroriste » (AMT), pour avoir projeté d’attaquer des loges maçonniques dans l’est de la France.

Sur les huit prévenus, l’un est jugé en son absence, trop vieux et malade pour se déplacer. Deux autres, un homme et une femme, ont un âge déjà avancé et offrent l’apparence de paisibles retraités. Et cinq jeunes hommes assis sur les bancs ressemblent à des caricatures de militants d’extrême droite : crânes rasés ou cheveux très courts, certains dissimulent tant bien que mal des tatouages inquiétants sous les manches de leur veste et leur col relevé. Ceux-là sont des néonazis du groupuscule Honneur et nation, qui a connu une brève existence au tournant des années 2020. Ils sont la principale attraction.

Comme souvent dans les procès d’ultradroite, on ressort de l’audience frustré par les propos décousus, les borborygmes et les onomatopées tenant lieu de réponses aux questions de la présidente. La plupart des prévenus ne se souviennent plus de leurs propos, tous plus ignobles les uns que les autres, assurent que le projet d’attentat n’était pas sérieux, qu’ils se sont laissé entraîner par le groupe, que c’était de la provocation gratuite. Tous minimisent, sauf un.

A la limite du soutenable

A la barre, Baptiste C. se tient droit, regard haut et voix claire, il assume, sans provocation mais sans honte non plus. Pourtant, c’est l’un des pires. Ses déclarations racistes passées, égrenées par la présidente, sont à la limite du soutenable. La violence dont témoigne son casier judiciaire effraie. Mais il dit aussi, lors de son interrogatoire, qu’il a fait « 90 % du travail de déradicalisation » − il est permis de douter du chiffrage − mais que « les 10 % restants sont les plus durs ». Ce qui dénote une certaine lucidité.

Baptiste C. a 28 ans. Bien que condamné à l’issue du procès, nous ne le nommerons pas, à sa demande et contrairement à l’usage une fois la peine prononcée, pour ne pas faire porter à ses trois enfants le poids de son patronyme. Après le prononcé du délibéré, qu’il a accueilli avec un sac de vêtements à ses pieds, certain de retourner en prison, une brève discussion le convainc d’un rendez-vous en tête-à-tête, chez lui, à La Rochelle.

Se voir pour tenter de comprendre comment on devient un néonazi à 19 ans, comment on passe près d’une décennie dans la haine de l’autre et le culte d’un passé honteux et comment, enfin, on fait pour se déprendre de cette idéologie mortifère. Si son cas n’est pas si rare, ce qui l’est, c’est sa capacité, sa volonté, même, à en parler dans un milieu où s’exprimer dans la presse « ennemie » est estimé rédhibitoire.

Deuxième menace terroriste

Baptiste C. appartient à ce que les théoriciens de l’ultradroite surnomment la « génération Bataclan ». Cette vague de militants d’extrême droite, violente, née dans la sidération et la réaction au terrorisme djihadiste de 2015 ; on les croise dans la vingtaine d’affaires pour terrorisme d’ultradroite recensées à ce jour, ou à l’occasion de crimes racistes. Ils rêvent d’en découdre, et parfois s’y mettent tout seuls : loin derrière le djihadisme, ils constituent la deuxième menace terroriste en France.

C’est le cas de Christophe Belgembe, mis en examen pour l’assassinat terroriste, aggravé « en raison de l’origine, la race ou la religion », d’un Tunisien, Hichem Miraoui, et pour avoir tenté de tuer deux autres personnes d’origine turque, à Puget-sur-Argens (Var), le 31 mai.

On retrouve Baptiste C. un samedi pluvieux de mars, dans un café un peu chic de La Rochelle. C’est lui qui a choisi l’endroit. On y croise des mamies bien mises et des familles endimanchées à l’heure du déjeuner. Baptiste C. a troqué son pantalon à pinces et sa chemise blanche pour un survêtement siglé. Il produit toujours la même impression d’étrangeté, due notamment aux petits tatouages en forme de runes scandinaves sur chacune de ses tempes.

Quête du père

Il est né à La Rochelle, le 13 novembre 1996, dans une famille assez pauvre vivant en cité HLM à Villeneuve-les-Salines, dans la banlieue du chef-lieu de la Charente-Maritime. « Je n’ai pas trop de souvenirs de mes premières années, raconte-t-il. Mon père, un peintre en bâtiment, est parti de la maison quand j’avais 2 ans et demi. A partir de là, on s’est vus comme lui avait envie. Il avait déjà du mal à s’occuper de lui-même, alors d’un enfant… » Ce père absent, alcoolique et dépressif ne lui a jamais fait de mal, mais il n’a plus de contact avec lui. Le profil de Baptiste C. confirme les études qui établissent un lien entre misère affective, quête du père et radicalisation brutale.

La suite n’est pas plus gaie. Son beau-père se montre vite violent avec lui, sa mère défaillante. Il est le troisième de cinq garçons nés de trois lits différents. Dans ce foyer dysfonctionnel, l’enfant du milieu se révèle silencieux et replié sur lui-même. Il est le souffre-douleur et, comme bien des bourreaux, a commencé par être une victime.

A l’âge de 7 ans, il ne sait toujours pas lire. « A un moment, ma mère a entendu parler du système des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP). Je me souviens très bien de la réunion où l’on a décidé de m’envoyer dans un centre de l’ITEP. Mes parents ont signé, ce jour-là, un aller simple pour l’enfer. J’en veux encore à ma mère, je lui en voudrai toute ma vie. Elle pense qu’elle a voulu bien faire parce que j’étais en échec scolaire, que j’étais un enfant difficile à gérer. Je cassais tout, je piquais des crises, j’étais ingérable. Je suis le seul de ma fratrie à avoir été envoyé en foyer. »

« Orange mécanique » entre élèves

L’enfant atterrit aux Brises marines, un centre éducatif de l’île de Ré aujourd’hui fermé. A l’époque, il accueillait une centaine d’enfants de 7 à 18 ans et même plus. Baptiste C. pense y rester une année, le temps qu’il a mis pour rattraper son retard scolaire. Il y restera sept ans. C’est un enfant à l’intelligence atypique mais avérée, placé dans un environnement inapproprié, avec beaucoup de gamins handicapés mentaux, notamment.

Les éducateurs sont des vieux ramasseurs de sel qui se sont retrouvés au chômage. Ils mettent volontiers des taloches, mais l’essentiel de la violence se situait ailleurs. Entre élèves, c’est Orange mécanique : sadisme et sévices sexuels, dont Baptiste C. dit avoir été victime. Un week-end sur deux, le garçon retrouve sa famille, où les choses ne se passent pas bien non plus. « Lorsque je vais chez ma mère, je subis de la part d’un de mes frères et de mon beau-père le même genre de violences qu’au foyer. Quand je débarque, je mange trop parce que j’ai faim. Comme il n’y a pas assez d’argent, ça se passe mal. Quand je mange trop, on m’attache les mains avec de la corde à la table, quand je n’obéis pas, on m’enferme dans les chiottes. On est pressé que je reparte. »

A 14 ans, l’adolescent tente un retour à la maison qui tourne court. A la première altercation avec son beau-père, il sort un couteau et le pique au ventre. On l’enferme dans sa chambre. Il fait le mur en nouant des draps et descend la façade en rappel. Il part faire des graffitis, tapisse la devanture d’un magasin Carrefour. Les gendarmes le retrouvent. Première garde à vue pour dégradation de biens. Retour en foyer. Les évaluations psychologique et psychiatrique réalisées en détention présenteront un « parcours de vie cabossé » et une « histoire de vie carencée », propices à des « failles narcissiques ».

« J’allume tout le monde »

Longtemps victime de la violence des autres, il se mue, à 15 ans, en bourreau. « Toute la colère que j’ai accumulée sort. Le premier qui me cherche, je l’allume. Pour être très franc, à cette époque-là, j’allume tout le monde. Je deviens la bête noire du foyer, je force les autres à faire des pompes, je tape. Je me bagarre aussi avec des éducateurs. J’entre dans une sorte de violence habituelle et de plus en plus intense. » Renvoyé du centre, il est placé en famille d’accueil avec une demi-douzaine d’autres adolescents et inscrit dans un lycée professionnel. Fugues, bagarres, menaces avec armes, il est renvoyé de la famille d’accueil comme de son établissement scolaire.

Passant d’un foyer à l’autre, déscolarisé, sa seule activité régulière, à 16 ans, est la boxe thaïe. Et la délinquance : il est placé en garde à vue une fois par semaine, la plupart du temps pour des vols et cambriolages mais aussi pour des coups, menaces, pour outrage et rébellion… « Une vraie petite racaille », ironise-t-il. Avec sa dernière condamnation pour terrorisme, son casier en compte vingt-quatre. Dans les chemins conduisant à la radicalisation, il fait partie de ceux chez qui la violence précède l’idéologie. Il y a chez lui un besoin irrépressible de se battre, une colère permanente qui trouvera sa justification dans le néonazisme.

« Entre-temps, ma petite copine de l’époque est enceinte et accouche de ma première fille, qui est placée à la naissance. On s’est rencontrés à l’ITEP, nous sommes mineurs tous les deux, elle a 15 ans et moi 17. Je m’enferme dans cette relation chaotique. Sur un énième cambriolage, je me fais attraper. Mais, surtout, j’ai brûlé la maison d’un homme de 36 ans qui couchait avec la mère de ma fille, qui en avait alors 16. L’écart d’âge ne choquait personne. » A 18 ans, en 2014, il est condamné pour cet incendie volontaire. La peine est aggravée pour les propos racistes qu’il a tenus lors de sa garde à vue. Trois ans de prison ferme. Il en purgera quatre, à cause d’incidents en détention.

Epiphanie funeste

Baptiste C. commence par le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne (Vienne). C’est là qu’intervient une sorte d’épiphanie funeste : « A un moment, je me retrouve au mitard. On est le 13 novembre 2015. Je fête mes 19 ans, et c’est là que je vais vriller politiquement. J’allume ma radio, j’entends 130 morts à Paris et à Saint-Denis et je pleure, je ne sais pas pourquoi. Ça me touche. Sauf que dans les cellules de droite et de gauche à côté de la mienne, j’entends deux mecs crier “Allah akbar” et “Nique la France”. C’étaient des droits communs. J’ai été méchamment étonné. Ce racisme antiblanc et antifrançais m’a conforté dans le fait de devenir raciste à mon tour. Je l’ai moi-même subi de la part des Arabes, des Noirs : on m’a traité de “sale gwer” [mot péjoratif d’arabe maghrébin désignant les mécréants et, par extension, les Occidentaux], “sale Français”, “sale Blanc”. »

Il est impossible de vérifier la véracité de ce récit de la nuit du 13-Novembre, mais il nous a déjà été fait, quasiment mot pour mot, par un autre militant nationaliste, Nicolas Battini, à la tête d’un petit parti identitaire corse, Mossa Palatina, à l’époque emprisonné pour s’en être pris à une gendarmerie en Corse. Lui aussi date de cette nuit-là le début de son revirement politique qui l’amènera à quitter les rangs du nationalisme corse, dominé par la gauche, pour un nationalisme identitaire blanc et chrétien, proche de celui d’Eric Zemmour. L’avantage de cette version des choses est de rejeter la faute d’un patriotisme dévoyé sur « les autres », ces Arabes et musulmans « qui haïssent la France ».

En choisissant de répondre à la violence terroriste par un autre type de violence terroriste, ces militants sont l’illustration parfaite de l’efficience du piège tendu par le théoricien djihadiste Abou Moussab Al-Souri. Ce Syrien, proche d’Oussama Ben Laden, estimait, au début des années 2000, qu’en frappant les Occidentaux chez eux, on s’assurait de représailles contre la communauté musulmane, qui, à son tour, se souderait et se radicaliserait pour se défendre sous la bannière djihadiste.

Thèses accélérationnistes

En ce sens, malgré les victoires de la lutte antiterroriste depuis une décennie, les attentats de 2015 ont atteint leur objectif : ils ont provoqué l’émergence d’une génération de militants d’ultradroite profondément antimusulmans et gagnés par les thèses accélérationnistes, selon lesquelles il faut hâter la guerre civile entre races avant que les Blancs ne soient minoritaires.

Baptiste C. est transféré peu après à la maison d’arrêt de Neuvic (Dordogne). « Là, j’ai complètement vrillé politiquement. Mon truc, c’est le national-socialisme. J’ai toujours été passionné d’histoire. Le personnage d’Hitler, je dois reconnaître qu’il m’intéressait : parti de rien du tout, il est devenu chancelier du Reich. Je l’ai redécouvert en détention, au détour de reportages à la télévision. Je regardais les images sans le son, il me fascinait. Au début, j’étais seulement racialiste, je n’avais pas vraiment la notion de l’antisémitisme. Dans le national-socialisme, il y a aussi un côté social qui me plaît. » Obsédé par son nouveau credo nazi, Baptiste C. dessine des croix gammées partout dans sa cellule.

Repéré par le renseignement pénitentiaire, il est transféré à la prison de Mont-de-Marsan (Landes). Il y multiplie les provocations : il confectionne un grand drapeau orné d’un svastika, salue les surveillants d’un « Sieg Heil ! », fabrique une fausse bombe pour provoquer les gardiens. L’un d’entre eux lui aurait confié un jour : « Il y a pas que toi qui apprécies tonton. » « Je n’ai pas percuté tout de suite, raconte-t-il. Après coup, j’ai compris que “tonton”, c’était Adolf Hitler. Ça m’a conforté dans le fait que je pensais juste. »

Lecture de « Mein Kampf »

En détention, il fréquente assidûment la bibliothèque, où il met la main sur l’hebdomadaire Valeurs actuelles, les Mémoires de Himmler ou des romans de l’écrivain royaliste Jean Raspail. Ce qu’il ne parvient pas à trouver, comme Les Carnets de Turner [ouvrage interdit en France], le catéchisme de l’ultradroite paru en 1978 par l’auteur de science-fiction suprémaciste et antisémite William Luther Pierce, il le consulte sur Internet.

Malgré ses études écourtées, il a suffisamment de curiosité intellectuelle pour s’infliger la lecture de Mein Kampf. Il sympathise avec deux codétenus, dont un vieux skinhead anglais, patron de bar à Malaga, incarcéré pour trafic de drogue. « Je découvre le mouvement skinhead. Ils ont une bonne dégaine, de bonnes têtes cramées, ils vont au contact. J’aime le style, la musique. J’adhère et je me rase le crâne. »

Des objets en référence au nazisme appartenant à Baptiste C.
Des objets en référence au nazisme appartenant à Baptiste C.

A sa sortie de prison, en mars 2018, Baptiste C. rejoint Génération identitaire (GI) à La Rochelle. Ce mouvement d’extrême droite, dissous par le gouvernement en mars 2021, défend un nationalisme blanc et islamophobe. GI a multiplié les actions spectaculaires, en déployant des banderoles hostiles sur le chantier de la grande mosquée de Poitiers ou en organisant des vigies antimigrants près de la frontière espagnole. BaptisteC. ne reste à GI que quelques mois, sa dégaine de skin et son discours sur le IIIe Reich détonnent trop dans ce mouvement assez bourgeois et traditionaliste. Il les trouve trop sages et eux le trouvent trop radical.

« Ma haine de l’étranger était viscérale »

« A cette époque aussi, j’ai commencé à travailler. Ce qui m’a donné envie de travailler, de m’améliorer, de me dépasser, de devenir quelqu’un de discipliné, c’est le national-socialisme. J’ai fait de l’électricité, des déménagements, de la maçonnerie, de la couverture zinguerie, de la peinture en bâtiment, j’ai même passé un CAP. » Avec sa copine, qu’il retrouve après la détention, il a deux autres enfants, un garçon puis une fille, mais le couple ne cesse de se disputer, et Baptiste C. est même condamné pour des violences conjugales en décembre 2019.

Il lui reproche ses infidélités, elle lui reproche son engagement politique. « Pour elle, j’étais devenu un mec au crâne rasé, qui avait un drapeau nazi accroché dans sa chambre et qui était devenu très raciste. Je ne pouvais pas m’empêcher de sortir toutes les deux minutes : “Sale Nègre, sale bougnoule”. Pour elle, c’était trop. A l’époque, ma haine de l’étranger était viscérale. Ce n’était pas une question politique, c’était juste racial. »

Après Génération identitaire, BaptisteC. rejoint Combat18, un groupuscule néonazi qui sera dissous en 2019. Sur Internet, il prend attache avec Johann Faust, connu pour réaliser des tatouages dans la sphère néonazie. Faust lui dessine dans le dos un buste d’Hitler surmonté par deux soldats SS. Sur une main, Baptiste C. porte le marteau de Thor entouré du soleil noir, un symbole de la mythologie nordique que se sont réappropriés les SS.

Sur l’autre main, un H gothique rend hommage aux hooligans, surmonté du mot « indep » (pour « indépendants », comme ils se nomment eux-mêmes). Au coude, il arbore une toile d’araignée et une croix celtique au poignet opposé. Aujourd’hui, Baptiste C. dit qu’il voudrait tout effacer − sauf le drapeau français −, ce qui lui coûterait la bagatelle de 12 000 euros. Il a déjà effectué quatre séances de gommage au laser, pour les tatouages sur les poings et au visage, ce qui a fait pâlir l’encre, mais sans effacer.

Baptiste C. a essayé de faire effacer ses tatouages (à gauche, le marteau de Thor entouré du soleil noir, symboles de la mythologie nordique adoptés par les SS ; à droite, un « h » gothique en hommage aux hooligans).

Johann Faust, dont le nom est ironiquement le même que celui du Faust qui a vendu son âme au diable, vient de quitter Bastion social, un groupe néofasciste fondé en 2017 par des anciens du syndicat étudiant d’extrême droite GUD (Groupe union défense), visant à appliquer la préférence nationale et raciale dans le domaine de l’aide sociale, et dissous en 2019. Il fonde la Division nationaliste révolutionnaire (DNR), un groupuscule néonazi pur et dur, qui organise surtout des concerts de RAC (rock anticommuniste) et tisse des liens avec la mouvance européenne.

« Fantasme de reformation des SA »

La DNR, basée au départ à Tulle (Corrèze), puis en Bretagne, s’établit finalement à Nevers (Nièvre), chez Johann Faust. Le mouvement compte, à son apogée, trente-cinq membres et 300 sympathisants. Mais l’entreprise capote vite, les fonds destinés aux maraudes ayant été détournés. Baptiste C. en parle avec un soupçon de nostalgie et de regret : « Ce qui m’attirait [dans le mouvement néonazi], c’était la castagne. Nous avions comme un fantasme de reformation des SA, avec la bagarre et la chasse aux opposants politiques. Bien sûr, l’esprit de fraternité comptait beaucoup. On était comme une famille que je n’ai pas eue. Avec eux, je suis allé à Clermont-Ferrand, Bourges, Bordeaux, Paris, Strasbourg. J’ai découvert la France et ses beautés, les volcans d’Auvergne, la statue de Vercingétorix… »

Nous sommes fin 2018 début 2019, et cette manie voyageuse est aussi à mettre en rapport avec le mouvement des « gilets jaunes », que Baptiste C. et ses amis néonazis enfourchent avec gourmandise. Ils vont volontiers faire le coup de poing avec les antifas et la police, en marge des manifestations. Baptiste C. refuse de confirmer qu’il était à Paris le1er décembre 2018, lors de la dégradation de l’Arc de triomphe par des « gilets jaunes » et de la marche sur l’Elysée, mais son sourire laisse comprendre que oui. En tant que « hooligan indépendant », il se joint à des groupes violents, à l’occasion d’opérations coups de poing, comme les Zouaves Paris ou les Strasbourg Offenders.

Le parti politique dont la DNR se rapprochait le plus à l’époque était la Dissidence française, une formation néonazie qui va très vite s’écrouler. « Le Rassemblement national [RN], pour nous, c’est un parti de gauche, assène Baptiste C.Les prises de position de Marine Le Pen au cours des dernières années, sa volonté de dédiabolisation, ont radicalisé les anciens militants, déçus qu’elle n’assume plus le côté identitaire et racialiste. Et puis, le RN a dégagé les skinheads alors qu’ils avaient fait office de service d’ordre pendant des années. Ça ne nous a pas plu. »

Déçu par les malversations découvertes à la DNR et fatigué de militer pour rien, Baptiste C. s’éloigne de la sphère nationaliste, sans vraiment renoncer à ses idées. Une déconvenue va le faire retomber dans la « nazisphère ». Alors qu’il a intégré la Croix-Rouge de La Rochelle à titre bénévole, il est démasqué et dénoncé à ses responsables par des militants antifas qui l’identifient. Il se sent obligé de quitter l’association, la mort dans l’âme, alors qu’il y avait trouvé une estime de soi et une utilité sociale qui lui faisaient cruellement défaut. Il retourne vers ses anciennes fréquentations, dont des anciens de la DNR, qui ont fondé depuis Honneur et nation, un groupuscule avec de prétendus buts sociaux, mais tout aussi nazi.

« La Shoah a existé »

Chez Baptiste C., la haine des juifs est venue après celle des Noirs et des Arabes, mais surtout après ses lectures. « La Shoah, à cette époque-là, c’est pas mon problème. A la rigueur, je me disais : ça a fait du ménage. » Aujourd’hui, il soutient ne pas être négationniste : « La Shoah a existé, c’est une partie de l’histoire. Je questionne juste le nombre d’exécutions, sans avoir d’idée arrêtée. De toute façon, l’horreur reste la même. On ne tue pas les enfants et les femmes enceintes. On a beau être fanatisé, il y a des limites. »

Les jeunes d’Honneur et nation rencontrent le beau-père, alsacien, de l’un des leurs. Obsédé par les juifs et la franc-maçonnerie, en contact avec le complotiste Rémy Daillet devenu célèbre à la faveur du Covid-19 et impliqué dans l’enlèvement de la petite Mia en 2021, le retraité projette une action armée contre des loges de l’est de la France. Une rencontre est organisée à la mi-2020. Les membres d’Honneur et nation ne prennent pas au sérieux les élucubrations du beau-père. Mais ils y voient une occasion de se procurer des armes. Ils en sont persuadés : le « grand remplacement » en cours va mener à une guerre civile, il faut se préparer et se protéger en fondant une communauté blanche survivaliste. Ils cherchent un terrain en Alsace. Le projet capote et les policiers de la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure), qui surveillaient tout ce beau monde, les interpellent, fin janvier 2021.

Baptiste C., lui, est interpellé au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (Gironde), alors qu’il vient d’y être incarcéré pour trois mois : il a menacé avec un couteau un couple d’origine africaine dans la banlieue de La Rochelle pour un regard de travers. Il est maintenu en détention provisoire à Osny (Val-d’Oise) jusqu’en 2023, le plus clair du temps à l’isolement (afin de lui éviter d’être passé à tabac par des détenus arabes). Il demande à consulter un psychologue et entame un chemin de « désengagement », plutôt que de déradicalisation. Il manque de mourir dans un incendie de la cellule jouxtant la sienne.

Relâché car sa détention préventive a pris fin, il comparaît libre à son procès, en février 2025, mais sait qu’une troisième incarcération est possible, voire probable. Car, cette fois-ci, l’enjeu n’est pas le même : la justice antiterroriste a la main nettement plus lourde que la justice pénale classique.

Deux types de militant d’ultradroite

Au procès, la dichotomie entre les deux types de militant d’ultradroite éclate au grand jour : d’un côté, à l’instar de Baptiste C., des jeunes fanatisés et abreuvés de propagande néonazie, mais peu au point opérationnellement ; de l’autre, des personnes d’âge mûr, radicalisées dans la solitude, souvent complotistes et prêtes au passage à l’acte du jour au lendemain, à l’instar du beau-père alsacien ou de Christophe Belgembe, le tueur présumé du Puget-sur-Argens. Leur point commun ? Une haine incommensurable de l’Islam et des musulmans.

Le procureur Nicolas Braconnay entame son réquisitoire par un haut-le-cœur : « On ressort de la lecture du dossier d’instruction comme effarés et salis. Leurs opinions mêmes, elles nous dégoûtent, elles nous consternent, elles nous inquiètent. » Mais les peines requises sont modérées, et le procureur salue la volonté de sincérité de Baptiste C. « La lecture du dossier est assez violente concernant Baptiste, ce qui génère un certain rejet, admet son avocat bordelais, MeGaessy Gros, qui a plaidé avec rigueur et talent. Mais ma première rencontre avec lui a balayé toutes ces appréhensions. J’ai vite été marqué par sa sincérité et celle de sa démarche de déradicalisation. J’ai vu quelqu’un qui avait recherché une famille dans cette idéologie. »

Maître Gaessy Gros, l’avocat de Baptiste C., à Bordeaux, le 26 juin 2025.

Le sens de la nuance du tribunal a évité à Baptiste C. d’être condamné à une trop lourde peine : deux ans de prison ferme, dont la moitié a déjà été purgée en détention provisoire. Il peut effectuer le reste sous bracelet électronique. Mais il sera inscrit au Fijait (le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions terroristes), ce qui, toute sa vie, l’obligera à signaler ses changements de domicile et à prévenir avant de voyager à l’étranger. Il doit aussi se plier à un suivi sociojudiciaire lourd pendant cinq ans à l’issue de sa peine.

« J’ai un recul que je n’avais pas »

« Potentiellement, je me suis approché de quelque chose de très dangereux. Heureusement que cela n’a pas abouti, dit-il aujourd’hui. Il a fallu que j’en arrive à cette extrémité pour que je m’écarte de mes engagements passés. Maintenant, j’ai un recul que je n’avais pas. » Pas au point d’avoir des amis arabes, par exemple, mais il a cessé de considérer que « tous se valent ».

Baptiste C. conserve dans une boîte à chaussures les reliques de son engagement passé : un buste d’Hitler en plâtre, une dague SS et une autre des Jeunesses hitlériennes, un grand drapeau à croix gammée, un exemplaire de Mein Kampf… Quand on s’étonne, il explique que c’est pour pouvoir montrer plus tard à ses enfants les « bêtises » qu’il a faites. Il est permis de douter de cette explication et d’y voir plutôt une difficulté à rompre avec son passé.

Aujourd’hui, la vie de Baptiste C. reste assez chaotique. Quand nous nous rencontrons en mars, il n’a pas de logement, refuse de retourner chez sa mère et dort à droite à gauche. Deux mois plus tard, il a trouvé un domicile provisoire, mais a changé d’emploi et de compagne. « C’est ma vie, toujours le chaos », dit-il mi-fataliste mi-bravache.

Il attend un jugement qui lui permettrait un droit de visite de ses deux plus jeunes enfants, qui vivent encore avec leur mère, et le rendez-vous pour poser son bracelet électronique. Il continue à voir un psy et s’est laissé pousser la barbe.

Quand on lui fait remarquer qu’elle ressemble à celle des salafistes, avec la moustache rasée sur le dessus, il se renfrogne. Lui qui se dit de culture chrétienne s’agace quand on lui parle de « djihad blanc ». Il affirme ne pas vouloir toucher à la politique : « J’ai plus de déception que de rejet de cette idéologie : ça ne m’a mené nulle part. Je garde une certaine idée patriotique, mais j’ai compris que je n’étais pas obligé d’être dans le radicalisme à fond. Mais si, demain, il y a une guerre en France, je défendrai mon pays. » Et quel type de guerre pourrait-il y avoir ? « Une guerre civile. »

[Source: Le Monde]