Un an après Paris 2024 : les Jeux paralympiques ont changé la perception du handicap, mais pas les conditions de vie des personnes handicapées
Les Jeux de Paris ont suscité un « engouement » du public, une hausse des inscriptions en handisport, mais peu d’améliorations dans la vie quotidienne des personnes en situation de handicap.

« C’était extraordinaire : la victoire de l’équipe de cécifoot, en fin de Jeux, face à l’Argentine, avec des records d’audience… Je continue de revivre cette émotion à travers les gens qui m’en parlent un an après, et j’espère que ça perdurera longtemps. » Gaël Rivière, qui a décroché l’or avec les Bleus devant 11 000 spectateurs au pied de la tour Eiffel, tente de maintenir la flamme des Jeux paralympiques à la Fédération française de handisport (FFH), dont il a été élu président en décembre 2024.
Les 4 400 athlètes paralympiques qui ont concouru dans 22 disciplines à Paris entre le 28 août et le 8 septembre 2024 ont généré des records d’audience : 1,3 milliard de téléspectateurs pour les épreuves de para natation, 1,2 milliard pour le para athlétisme, 193,6 millions pour la cérémonie de clôture, soit 40 % de plus qu’à Tokyo en 2021. « Personne n’aurait imaginé l’engouement du public pour les paralympiques : c’était “waouh”, à la tribune, à l’extérieur, dans les médias, se félicite le président de la Fédération française du sport adapté, Marc Truffaut. Du matin au soir, vous pouviez voir et entendre des personnes en situation de handicap faire du sport, et aussi voir les aménagements dont ils ont besoin. »
Les para athlètes ont été traités dans les médias comme des sportifs de haut niveau, dont on saluait les performances et le travail, plutôt que comme des super-héros ou des personnes réduites à leur incapacité. « On est passés de la compassion à la passion partagée », résume Gaël Rivière.
La complexe classification établie par le Comité international paralympique a souligné pour le grand public la multiplicité des déficiences physiques, visuelles ou cognitives derrière le terme de handicap. Même si, rappelle M. Truffaut, les handicaps invisibles ne sont que très peu représentés. Seules trois disciplines (athlétisme, natation, tennis de table) sont ouvertes au sport adapté, réservé aux personnes en situation de handicap mental et/ou psychique – où la France a récolté une médaille d’argent grâce à Gloria Agblemagnon en lancer de poids.
« On part de loin »
Au-delà du changement de perception du handicap, l’effet Paris 2024 s’est aussi répercuté dans les clubs sportifs. Le Comité paralympique et sportif français a constaté en septembre 2024 une hausse d’environ 20 % des demandes d’inscription, avec parfois des effets de saturation. A la FFH, Gaël Rivière estime la hausse entre « 7 % et 15 % », dans l’attente d’un bilan des licences à la rentrée. La médaille d’or d’Aurélie Aubert a notamment mis un coup de projecteur inédit sur la boccia, sport dérivé de la pétanque adapté au handicap physique sévère. Jusqu’alors confidentielle, la discipline peine à trouver des moyens humains et financiers pour répondre à la demande. Car, après la période des Jeux, les budgets consacrés au sport et au parasport ont été drastiquement réduits.
Selon une étude de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, 47 % des personnes en situation de handicap déclaraient pratiquer un sport, de manière régulière en 2022 : un chiffre inférieur à l’ensemble de la population (60 %), mais en hausse notable de 3 points par rapport à 2018. Elie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif français de 2017 à juin 2025, s’attend à une poursuite de la tendance, grâce au programme Club inclusif, qui a sensibilisé 2 200 clubs dans 62 départements. « En 2022, 1,5 % des clubs sportifs fédérés de ce pays se déclaraient en capacité d’accueillir des personnes en situation de handicap. Aujourd’hui, c’est entre 4 % et 5 %, détaille-t-il. Les chiffres peuvent paraître encore bas, mais on part de loin, et on n’est pas dans un secteur où ça change d’un coup de baguette magique. »
Athlète paralympique dans trois disciplines depuis 1996, porteur de la flamme, Ryadh Sallem était aux premières loges pour mesurer l’« enthousiasme » post-Jeux, et souligner les avancées : relais médiatique, audiodescription, accessibilité de stades… Son club, Cap sport art aventure amitié, à Paris, a connu une hausse de 20 % de demandes d’inscription : « On s’y était préparés, mais on n’a pas pu recevoir tout le monde : on n’a pas assez de créneaux, et il faut mettre à disposition des fauteuils qui sont chers. »
Le faible nombre de structures sportives amplifie les difficultés de transport pour les personnes à mobilité réduite ou malvoyantes. Si, durant les Jeux, les taxis, navettes et volontaires présents en nombre ont permis d’accueillir athlètes et spectateurs dans de bonnes conditions à Paris et sur les sites olympiques, l’accessibilité de la ville ne s’est pas améliorée durablement. « Le très grand regret, c’est de ne pas avoir trouvé une solution pour le métro. C’est un symbole. A Londres, le métro est plus vieux et plus profond, mais il est en partie accessible grâce aux Jeux. »
Michaël Jeremiasz, ancien champion de tennis-fauteuil et chef de mission de la délégation française paralympique, qui avait salué, en septembre 2024 une « quinzaine de folie », est encore plus désabusé : « Il n’y a pas eu de relais dans l’accès à la pratique sportive, on a suscité l’espoir, mais il y a toujours les mêmes obstacles, le logement, le trajet… Tous les jours, des gens me racontent leur périple pour aller s’entraîner : ils ne se réinscriront pas. »
« Parenthèse enchantée »
« Pour le métro, on s’y est pris trop tard, et les freins à l’accessibilité dépassaient de beaucoup le cadre des Jeux. Mais dans les cinq ou six ans qui viennent, les lignes de métro vont doubler avec le Grand Paris Express, et d’un coup, le métro va devenir à 50 % accessible, rappelle Elie Patrigeon. Les Jeux peuvent faire deux choses, bouleverser l’image du handicap et modifier la pratique sportive : le contrat a été rempli. Mais ils ne changent pas les conditions de vie des personnes en situation de handicap de manière drastique, comme ils n’ont pas changé les conditions de vie en Seine-Saint-Denis. »
Un constat partagé par le Collectif handicaps, qui représente 54 associations du secteur. « La parenthèse enchantée n’a pas duré très longtemps : trois semaines après les Jeux, il n’y avait personne chargé du handicap dans le nouveau gouvernement, rappelle son président, Arnaud de Broca. Il y a eu des améliorations, de nouvelles gares et des lieux sportifs accessibles, mais on n’a pas réussi à changer le quotidien, ce qui est dommage. J’ai toujours dit qu’il ne fallait pas attendre d’un événement sportif plus que ce qu’il pouvait apporter. »