Incendie dans l’Aude : des pompiers venus de toute la France se sont organisés pour lutter contre l’immense feu
Après une alerte de Météo-France, le 4 août, un dispositif d’exception se met en place, dès le lendemain, afin d’assurer la coordination aérienne et terrestre, et organiser le travail de 2 000 pompiers.
Vendredi 8 août au matin, une pellicule de cendres recouvre l’aile d’un avion Beechcraft garé sur la base aérienne de Garons (Gard), près de Nîmes. Sylvain Magnien, qui vole avec l’appareil depuis 2020 pour cartographier les feux, estime que « ce simple détail raconte le profil hors norme du feu de l’Aude. D’ordinaire, il n’y a pas de cendres en altitude ». Mardi 5, au jour 1 du sinistre, c’est lui qui a cartographié, dès 17 heures, les contours du monstre de flammes qui a parcouru 17 000 hectares en soixante-douze heures et dévasté les Corbières.
« C’est mon métier de mesurer les feux depuis le ciel, de calculer leur vitesse et de lister les villages ou les habitations menacées », précise-t-il, afin qu’en moins de trente minutes les pompiers, au sol, élaborent leur stratégie. Là, l’avion de mesure a dû rester bien plus longtemps en vol, face à un sinistre très évolutif – avançant à 5 km/h, ce qui est très rapide – et capable d’envoyer des brandons à 500 mètres, donc de multiplier les départs de feu.
A l’heure où Sylvain Magnien terminait sa cartographie initiale, Jean-Marc Mateo, pilote de Canadair, décollait de la même base pour renforcer une première noria d’avions bombardiers d’eau et de produit retardant – ce liquide rouge qui ralentit la progression du feu en modifiant la combustion du végétal.
L’ancien pilote de chasse, qui a fait une première carrière sur les Mirage 2000 et a appartenu à la Patrouille de France, a eu, dès son survol précoce de Ribaute, dans l’Aude, l’impression de « se retrouver face aux grands feux » qu’il a eu à combattre en Grèce ou au Portugal. Celui qui, après dix-huit étés dans les cockpits des Canadair, est capable de dire quel type d’arbres brûle en fonction de l’odeur des fumées, a vite compris que l’intensité du feu lui imposerait de maintenir quelques distances, « tout en restant le plus efficace ».
Guet aérien et largage de tonnes de retardant
Mardi 5 août, le chef d’état-major de la sécurité civile, François Pradon, basé lui aussi à Nîmes-Garons, savait la journée à haut risque. La veille, le prévisionniste de Météo-France l’avait alerté sur la situation d’une bonne partie de l’Aude. Sur sa carte, un « TS + », signifiant « très sévère risque d’incendie », avait incité le responsable des situations de crise à prépositionner des pompiers et des avions près de ce petit département du sud de la France qui enchaîne les sécheresses depuis 2023.
Sur la base de la sécurité civile, en périphérie de Nîmes, il gère 60 aéronefs de lutte contre les incendies, soit 23 avions et 37 hélicoptères. Ces derniers, délocalisés en ce moment, pour être au plus près des sites à haut risque, ne reviennent à Nîmes qu’en maintenance. En revanche, mardi, les avions étaient là : neuf Canadair garés aux côtés de huit Dash – qui répandent du retardant – et de trois Beechcraft, dévolus à la reconnaissance, à la coordination ou à l’observation depuis les airs.
Ce matin-là, la visio de 9 h 45 avec les responsables des zones de défense et de sécurité confirme l’état de la menace. Vers midi, alors qu’il fait 34 °C sur les Corbières, avec des rafales de tramontane à 70 kilomètres-heure et un air très sec, François Pradon décide de doubler le guet aérien armé. Le Dash, qui survole les jours à haut risque les zones les plus menacées du pays pour repérer et traiter au plus vite les départs de feu, est donc rejoint par un second, afin de multiplier les chances de repérage précoce. Exactement ce qui se produit sur le feu de Ribaute, repéré par l’un des pilotes du guet aérien.
En moins de cinq minutes, le pilote largue là ses dix tonnes de retardant, mais « le ton qu’il emploie pour nous faire un retour et ses intonations nous laisse entrevoir que la situation va être compliquée », raconte le responsable de la salle de commandement.
A 16 h 25, quatre Canadair décollent donc de la base de Nîmes-Garons, pour déverser sur le feu naissant, mais déjà très puissant, leurs six tonnes d’eau. Après avoir rempli leurs réservoirs en mer, au Grau-du-Roi (Gard), ils larguent leur première cargaison à 17 heures en même temps qu’arrive sur la zone le Beechcraft équipé des appareils de mesure.
En parallèle, au sol, le directeur du service départemental d’incendie et de secours de l’Aude, Christophe Magny, installe son PC opérationnel à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, village vers lequel se dirigent les flammes. Moins d’une heure après le déclenchement du feu, François Pradon part en quête du renfort de 2 000 pompiers que le colonel Magny estime nécessaire.
Trois points de commandement
Pompier professionnel dans les Deux-Sèvres, la capitaine Carole Lepinay, croisée jeudi sur l’incendie, fait partie de ces soutiens. Elle est partie, mardi soir, de Niort avec douze autres soldats du feu, volontaires ou professionnels, pour prêter main-forte. « On a roulé toute la nuit et on s’est mis au travail en arrivant mercredi matin avec des pompiers venus des Landes, des Pyrénées-Atlantiques, de Charente-Maritime », explique la professionnelle habituée à venir en soutien, l’été, dans la zone méditerranéenne.
Dès la soirée de mardi, l’Aude peut déjà faire intervenir les 200 hommes, venus du nord de la Loire, déjà positionnés dans le département. Un premier appoint, renforcé par 900 autres, postés, eux, dans d’autres départements du Sud. Les pompiers attitrés des zones voisines, comme le Gard, l’Hérault, les Pyrénées-Orientales ou le Var, ont également rallié les Corbières.
Yannick Zuffo, 30 ans, est de ceux-là. Basé à Toulon, il est parti à 4 heures du matin, mercredi, avec un groupe de volontaires. « A l’arrivée, on a été affectés à la gestion de quatorze kilomètres de lisière de feu. C’est normal de prêter main-forte aux voisins, c’est notre culture et notre façon de travailler », commente l’homme, en remplissant d’eau la citerne de son camion dans un domaine viticole.
Comme les flammes se sont très vite étendues sur près de 100 kilomètres et sur 30 kilomètres de largeur, Christophe Magny a dû diviser le feu en trois parties et créer trois points de commandement en plus de celui de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse. Un dispositif d’exception, rendu nécessaire pour organiser le travail de 2 000 hommes, comme la mise en place dans les airs d’un Beechcraft affecté à la coordination aérienne.
Mercredi, au plus fort de la lutte, plus de 500 camions de pompiers peuplaient les collines en feu, survolés par neuf Canadair – sur les onze de la flotte française opérationnels cet été – huit Dash et deux Beechcraft. Une noria d’épandage d’eau et de retardant s’est dessinée dans le ciel de l’Aude jusqu’à jeudi soir, moment où le feu a été déclaré fixé par le préfet du département, Christian Pouget. Plusieurs hélicoptères bombardiers d’eau, venus d’Avignon et d’autres bases, se sont joints au ballet des avions.
La vitesse folle du feu
Jeudi, Jean-Marc Mateo a opéré 30 largages d’eau durant ses huit heures de vol. Huit heures dans un cockpit à 48 °C à respecter les check-lists d’avant et d’après largage, et d’avant et après écopage, l’autre moment délicat, puisque le remplissage, qui dure douze secondes, se fait à 130 km/h.
Aux commandes d’un Dash, Laurent Ménard a également enchaîné sur le feu de Ribaute les heures de vol et les largages de produit retardant. Combien de fois est-il allé faire le plein ? Il ne sait plus vraiment. Ce dont il se souvient, ce sont les mêmes images qui le marquent au lendemain de chaque grand combat contre les flammes : « Les gens qu’on voit défendre comme ils peuvent leur habitation, à trente mètres, l’altitude du largage, on est près d’eux. Ce sont des images fortes et on fait ce métier pour les aider à préserver le travail d’une vie », explique l’ancien pilote de Mirage 2000.
Sur le feu de l’Aude, il restera fier d’avoir pu contribuer à sauver une centaine de pompiers piégés par les flammes et réfugiés dans leurs camions. C’était mardi soir, le feu avançait à une vitesse folle et un groupe s’est retrouvé cerné, avant qu’un Canadair et un Dash ne rafraîchissent leur zone pour qu’ils puissent se repositionner. « Notre engagement, c’est d’être le plus efficace possible, dans toutes les situations, en pensant toujours à la sécurité – la nôtre et celle des autres pilotes autour de nous, comme des hommes au sol. Nous ne sommes qu’une partie d’un système, il faut savoir s’intégrer dedans. »
La base aérienne de Nîmes-Garons, dont le personnel a enchaîné les longues journées de travail durant la période où le feu a dévoré l’Aude, avait retrouvé, vendredi, un rythme d’entre-crise. En début d’après-midi, Laurent Ménard s’apprêtait à décoller vers Lacanau (Gironde), Ribérac (Dordogne) et Royan (Charente-Maritime), zones rouges du jour, sur lesquelles un guet aérien était mis en place.
Pendant ce temps, dans l’Aude, les forces engagées à terre commençaient à se réduire peu à peu. François Pradon espère que, lundi, ce grand feu, qui marquera pour longtemps l’été 2025 et la vie des Corbières, sera bel et bien « noyé ».
[Source: Le Monde]