A Fos-sur-Mer, les frères Popov ont développé leur propre formule chimique du badminton

Entraînés par leur père, Toma Popov, les Français Christo et Toma Junior visent le podium en simple et en double aux Mondiaux de Paris, du 25 au 31 août.

Août 26, 2025 - 03:27
A Fos-sur-Mer, les frères Popov ont développé leur propre formule chimique du badminton
Toma Junior Popov, à Changzhou (Chine), le 25 juillet 2025. - / AFP

Ambitieux lors des Mondiaux qui se déroulent depuis le 25 août à Paris, le badminton français ne doit pas ses progrès actuels qu’à son pôle olympique parisien. Deux des meilleurs joueurs tricolores, Christo Popov (10ᵉ mondial) et Toma Junior Popov (15ᵉ mondial), ne s’entraînent en effet pas à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), en lisière de la capitale, mais en famille, à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).

Aux côtés d’Alex Lanier (7ᵉ) et de la paire de double mixte, Thom Gicquel-Delphine Delrue (8ᵉˢ), pensionnaires, eux, de la structure fédérale, la fratrie Popov représente l’une des chances de médailles des Bleus en simple mais aussi en double, où ils sont classés 19ᵉˢ mondiaux.

Dans la ville surtout connue pour ses activités de pétrochimie, les Popov ont bâti depuis vingt ans l’un des centres névralgiques de haut niveau de ce sport de raquette, longtemps cantonné au milieu scolaire. Entraîneur de badminton, le père, Toma, a émigré en France depuis la Bulgarie en 2003. Joueur professionnel, son frère, Mikhail, l’avait précédé et avait même porté les couleurs de l’équipe de France.

« Un millier de frappes par séance »

Christo, 23 ans, et Toma Junior, 26 ans, n’avaient qu’1 an et demi et 5 ans lorsqu’ils sont arrivés dans les Bouches-du-Rhône. « Ils n’ont pas connu la Bulgarie. Ils se sentent beaucoup plus Français, confie leur père, dans un accent slave mâtiné d’une pointe sudiste. Je me suis replié ici avec ma famille. Vingt ans après, on y est toujours. On se sent chez nous. »

En Bulgarie, Toma Popov était entraîneur national et s’occupait du développement des espoirs. « Je sortais d’un pays qui avait une culture du badminton de haut niveau. J’avais déjà vécu l’expérience de prendre un jeune joueur et de l’amener au top, raconte-t-il. Ça m’a aidé pour la reproduire avec mes enfants. »

Au gymnase des Carabins, jeudi 26 juin, les Popov répètent inlassablement leurs gammes – « peut-être un millier de frappes par séance », estime Christo – à deux mois des championnats du monde. Véritable « chef d’orchestre », comme le qualifient ses deux fils, Toma Popov dirige une sorte de « PME familiale », une structure professionnelle privée consacrée à 100 % aux joyaux locaux. Leur staff, très complet, compte une dizaine de personnes. « Au début, le projet a été accueilli avec une certaine réserve par la fédération [Fédération française de badminton, FFBaD], qui s’est vite dissipée quand les résultats sont venus. Elle a vu qu’on était légitimes, et nous a aidés », explique le père.

Dans la salle, la chaleur est écrasante, car la climatisation n’est pas allumée pour ne pas perturber les trajectoires du volant. Cet objet, que les raquettes peuvent propulser jusqu’à 350 kilomètres-heure, trône aussi, en miniature, sur le pare-brise du véhicule du père. « Trente degrés, ce n’est rien. Hier, il faisait 40. Une vraie fournaise… », philosophe l’aîné, Toma Junior.

Champions d’Europe en double

En 2017, il a été le premier badiste français à remporter un titre européen chez les jeunes. Deux ans plus tard, son cadet a été vice-champion du monde chez les juniors. L’été dernier, ils ont participé aux Jeux olympiques (JO), éliminés en phase de groupe en double, et en huitièmes de finale du simple pour Toma Junior, seul tricolore sélectionné.

Depuis, ils ont progressé, et tous les signaux sont au vert avant les Mondiaux. Lors des championnats d’Europe, en avril, Toma Junior s’est incliné en finale face à son compatriote Alex Lanier. Les frangins ont aussi décroché l’or en double. En juillet, Christo s’est hissé en demi-finales de l’Open du Japon, puis en quarts de finale en Chine.

Pour la première fois, il a intégré le top 10 mondial, dont les connaisseurs assurent qu’il faut faire partie pour devenir un prétendant crédible aux podiums internationaux. Au 17ᵉ rang lorsqu’on l’a rencontré au début de l’été, le jeune homme avait bien identifié ce qui lui manquait pour intégrer le cénacle : « Le plus difficile est d’atteindre la consistance, accéder au moins aux quarts ou aux demies sur tous les grands tournois. »

Dans leur modeste club-house, les coupes et les trophées prouvent la qualité du travail des Popov. Leur plus jeune frère, Boris, 16 ans, incarne déjà la relève. Et leur cousine, Maria, 12 ans, est jugée très prometteuse. « Ce n’est pas qu’on ne veut pas se mélanger, c’est juste qu’on est bien ici. On y a pris notre première licence. On a besoin de notre cocon familial », lance Toma Junior.

Entre frères, « le pire des matchs »

Selon Toma Popov, ses deux fils se ressemblent tout en étant différents : « L’un est plus grand et l’autre plus petit ; l’un plus lent et l’autre plus rapide ; l’un plus puissant et l’autre plus créatif ; l’un est gaucher et l’autre droitier. »

Ces caractéristiques – et leurs liens personnels – les rendent très complémentaires en double. Au plus haut niveau, ils sont les seuls à être à la fois joueurs de simple et de double. Une singularité, énergivore et exceptionnelle, qui rend la FFBaD circonspecte. « Ils m’ont dit que ça ne les gênait pas physiquement pour le moment, explique Cyrille Gombrowicz, directeur technique national de la fédération. Je leur ai demandé de réfléchir si ça ne les gênait pas émotionnellement. Le but est de convaincre, pas de contraindre. »

Chez les Popov, on assume ce choix, qui leur a permis de participer tous les deux aux JO de Paris 2024. « Ce n’est pas la première fois que la fédération me dit : “Ça ne s’est jamais fait” », rétorque Toma Popov, pour qui jouer le double rend ses fils « plus compétitifs » en simple. « La vitesse est ce qui a le plus changé dans le sport. Or, au badminton, on trouve le plus de vitesse de frappe et de déplacement en double », analyse le coach. « On domine physiquement et on peut encaisser les deux tableaux », juge Christo, qui pense le duo capable de remporter des médailles dans les années à venir.

Les frères préfèrent jouer ensemble que l’un contre l’autre. En cinq affrontements, le cadet mène d’une victoire. « Ce n’est pas un plaisir d’entrer sur le terrain et de jouer contre son frère », lâche Toma Junior. « C’est le pire des matchs », complète Christo. Aux Mondiaux de Paris, les Popov peuvent avoir l’esprit tranquille : le tirage au sort les a placés dans des moitiés de tableau différentes, et une éventuelle confrontation entre eux ne pourrait avoir lieu qu’en finale.

[Source: Le Monde]