Au Maroc, la jeunesse qui manifeste attend un « signal fort » du roi Mohammed VI lors de son discours de rentrée

Depuis le 27 septembre, des milliers de jeunes Marocains et Marocaines dénoncent les inégalités sociales – éducation, santé, emploi – et réclament la démission du gouvernement.

Oct 10, 2025 - 12:42
Au Maroc, la jeunesse qui manifeste attend un « signal fort » du roi Mohammed VI lors de son discours de rentrée
Des manifestants du mouvement GenZ 212, à Agadir, le 5 octobre 2025. RAFAEL YAGHOBZADEH POUR « LE MONDE »

La parole du roi est très attendue en ces temps de fièvre sociale. Le discours que doit prononcer Mohammed VI, vendredi 10 octobre à Rabat, à l’occasion de l’ouverture des travaux du Parlement, sera sans nul doute pesé au trébuchet. Survenant en pleine mobilisation d’une partie de la genération Z (née entre 1997 et 2012) autour de doléances sociales – éducation, santé, emploi – il est censé offrir une réponse du sommet de l’Etat au malaise de la jeunesse.

Tel est en tout cas l’espoir des manifestants qui ont pris la rue depuis le 27 septembre dans les grandes ville du pays. La protestation, née de l’indignation suscitée par le décès de huit femmes dans un hôpital d’Agadir (Sud) après des accouchements par césarienne, est inédite depuis la révolte du Rif (Nord) en 2016-2017. Elle souligne la fragilité des équilibres sociaux au Maroc derrière une vitrine de modernité (TGV, ports et aéroports, autoroutes…) qui suscite en général l’admiration des visiteurs étrangers.

Signe que l’attente est forte du côté des protestataires, le collectif GenZ 212, à l’origine de la mobilisation, a annoncé suspendre les rassemblements prévus vendredi. A la fois en raison de « la portée symbolique » de l’allocution royale et parce qu’« un dialogue serein et constructif est le meilleur moyen de satisfaire nos revendications », faisait savoir le collectif dans un message diffusé mercredi sur les réseaux sociaux. Marches et sit-in avaient toutefois été maintenus dans la soirée de jeudi.

« Un Maroc avançant à deux vitesses »

Ciblant principalement le gouvernement d’Aziz Akhannouch, dont la démission est réclamée, le mouvement s’est bien gardé dans ses slogans de mettre en cause le souverain. Le rôle d’« arbitre suprême », que lui confère la Constitution, place Mohammed VI en ultime recours, alors que les manifestants expriment la méfiance la plus vive à l’encontre du Parlement. Mais que pourrait offrir le roi de concret ?

Selon toute vraisemblance, Mohammed VI rappellera qu’il a déjà maintes fois soulevé la question sociale en vingt-six ans de règne. Les mises en garde de sa part n’ont en effet pas manqué. En juillet, lors de la fête du Trône, il avait déploré « un Maroc avançant à deux vitesses ». En octobre 2017, son discours d’ouverture de la session parlementaire avait regretté que « le modèle de développement national [se révélait] inapte à réduire les disparités catégorielles et les écarts territoriaux et à réaliser la justice sociale ». En juillet 2014, il s’était interrogé : « Où est la richesse du Maroc ? Est-ce que tous les Marocains en ont profité, ou seulement quelques catégories ? »

Dans ce face-à-face désormais installé entre Mohammed VI et la jeunesse, les appareils politiques et syndicaux et, derrière eux, les corps intermédiaires, en sont réduits à une position de spectateurs tant le collectif GenZ 212 les ignore, et même les rejette. Tout au plus s’accrochent-ils à l’idée que « la plus haute autorité du pays saura répondre au malaise social ambiant », selon une source syndicale. Première centrale du pays, l’Union marocaine du travail (UMT) affiche son soutien aux protestataires depuis le 1er octobre, estimant que « les revendications de la jeunesse sont les [siennes] ».

« Souci d’apaisement »

Les partis d’opposition ne disent pas autre chose, voulant croire que la parole du roi aura valeur de « signal fort ». « Il est urgent de rompre avec les politiques actuelles », affirme le secrétaire général de la Fédération de la gauche démocratique (FGD), Abdeslam El Aziz. La gauche aussi bien que les islamistes escomptent, dans un « souci d’apaisement », un geste de Mohammed VI pour libérer les manifestants emprisonnés.

Dans un mémorandum rendu public, le 3 octobre, la GenZ avait demandé au roi de faire preuve de clémence. Une soixantaine de personnalités marocaines – parmi lesquelles l’avocat et ancien bâtonnier Abderrahim Jamaï, l’écrivain et poète Abdellatif Laâbi, l’historien Maati Monjib ou encore la députée de Casablanca, Nabila Mounib, ex-secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU) – ont relayé, mercredi 8 octobre, cette requête dans une « lettre ouverte » à Mohammed VI.

Leur pétition de « soutien au mouvement GenZ 212 », qui a recueilli environ 6 300 signatures en vingt-quatre heures, dénonce « la répression et les arrestations par centaines », réclamant la sortie de prison des jeunes incarcérés et celle de tous les détenus d’opinion. Plus inédit, en tout cas depuis le « Mouvement du 20 février 2011 » – version marocaine des « printemps arabes » – les signataires appellent à lancer « un processus de réforme constitutionnelle » qui consacrerait « la souveraineté démocratique du peuple, les libertés fondamentales et la séparation des pouvoirs ». L’audace du texte illustre l’émergence – certes embryonnaire à ce stade – d’un espace politisé prolongeant une mobilisation de jeunesse se contentant jusqu’à présent de mots d’ordre sociaux.

Reste que si les manifestants disent placer leur espoir dans l’institution monarchique, « le Makhzen, autrement dit l’Etat profond, n’a pas pour habitude de réagir sous la pression », souligne Abdullah Abaakil, élu de Casablanca et vice-secrétaire du PSU. Et de pointer la réponse qu’apporta le roi au soulèvement populaire qui gagna le Rif, entre octobre 2016 et août 2017. Il avait fallu attendre un an, après le déclenchement des manifestations, pour que le Palais annonce le limogeage de responsables politiques, dont trois ministres. La sanction avait été prise après la remise d’un rapport faisant état de « dysfonctionnements » dans un programme de développement destiné à la ville d’Al-Hoceima, épicentre de la contestation. Le temps du roi n’est pas nécessairement celui des protestataires.

[Source: Le Monde]