Nasser Bourita, « maître d’œuvre » des gains diplomatiques du Maroc au Sahara occidental

Nommé ministre des affaires étrangères en 2017, le diplomate est la coqueluche de la mouvance nationaliste dite « Moorish », dont les membres, nostalgiques du Maroc impérial, sont très présents sur les réseaux sociaux.

Nov 26, 2025 - 13:09
Nasser Bourita, « maître d’œuvre » des gains diplomatiques du Maroc au Sahara occidental
Le ministre marocain des affaires étrangères, Nasser Bourita, lors de la signature d’un accord entre la Belgique et le Maroc sur la sécurité, la justice et la migration, à Bruxelles, le 23 octobre 2025. ERIC LALMAND / AFP

Octobre fut un mois faste pour Nasser Bourita. Le 20, le ministre marocain des affaires étrangères exultait en costume cravate dans les tribunes du stade Julio Martinez Pradanos, près de Santiago, au Chili. Vainqueurs de l’Argentine, les Lionceaux de l’Atlas – la sélection nationale des moins de 20 ans – remportaient leur première Coupe du monde de football.

Quarante-huit heures plus tard, l’équipe était reçue en grande pompe par le prince héritier Moulay Al-Hassan, au palais royal de Rabat. Une partie des joueurs ayant été formée dans le royaume, ils incarnent la diplomatie du ballon rond promue par Mohammed VI.

Puis est venu le vote du 31 octobre, au siège des Nations unies, à New York. Le Conseil de sécurité adoptait ce jour-là une résolution favorable à la position du Maroc au Sahara occidental, faisant de son plan d’autonomie, proposé en 2007, « la base » des négociations à venir sur le statut du territoire.

Le règlement du litige frontalier, qui oppose le royaume chérifien au Front Polisario, soutenu par l’Algérie, demeure encore hors de portée, mais Mohammed VI voit dans cette décision un « tournant décisif ». Le souverain s’en est félicité le soir même dans un discours télévisé, avant que le palais ne décrète une nouvelle fête nationale le 31 octobre« Aïd-al-Wahda » (« fête de l’unité »).

Le lendemain, dans un rare exercice de communication, le ministre des affaires étrangères est apparu tout sourire sur la chaîne télévisée marocaine 2M. Questionné pendant près d’une heure, il s’est livré sur les coulisses du vote, évoquant l’intervention personnelle du roi. « [Mohammed VI] a appelé des dirigeants [de pays membres du Conseil de sécurité] au cours des cinq ou six derniers jours [précédant le vote] », a-t-il lâché, semblant jubiler derrière ses lunettes fines.

Coqueluche de la mouvance nationaliste

Le Sahara occidental étant le dossier numéro un de la politique extérieure marocaine, le « tournant » du 31 octobre a valeur de consécration pour Nasser Bourita. Secrétaire général des affaires étrangères en 2011, ministre délégué en 2016, puis ministre l’année suivante, le diplomate de carrière de 56 ans a été de toutes les grandes manœuvres de la seconde moitié du règne de Mohammed VI : réintégration du Maroc dans l’Union africaine en 2017 ; rapprochement avec l’Union européenne (UE) en 2019 ; reprise des relations officielles avec Israël en 2020, en contrepartie de la reconnaissance par les Etats-Unis de la « marocanité » du Sahara occidental.

Au point que son « patriotisme » l’a élevé au rang de coqueluche de la mouvance nationaliste dite « Moorish ». Très présents sur les réseaux sociaux, ses membres, nostalgiques du Maroc impérial, citent Nasser Bourita en exemple à suivre pour les autres ministres du gouvernement, suspectés de ne pas en faire assez pour leur pays. Son tempérament, réputé affable, et sa boulimie de travail, aux dires de beaucoup, font de lui l’archétype du fonctionnaire dévoué.

Sa prise de fonction à la tête de l’Avenue Roosevelt – l’équivalent du Quai d’Orsay –, en 2017, coïncide avec le virage tactique opéré par Rabat dans l’épineuse affaire sahraouie. La région sort alors d’une période de vives tensions. En mars 2016, le Maroc expulse le personnel civil de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, après que le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a parlé d’« occupation ».

Lors de l’été 2016, Nasser Bourita assiste en première ligne à une démonstration de force entre les forces armées royales et les indépendantistes sahraouis dans la région de Guerguerat, à l’extrême sud-ouest du territoire contesté.

« Le Maroc était considéré comme le “good guy”, le type docile que ses partenaires regardent un peu dédaigneusement, parce qu’ils l’estiment accommodant. Nasser Bourita est arrivé au moment où la volonté de rompre avec cette image est devenue effective », souligne une source diplomatique marocaine. Un changement de pied qui se ressent également vis-à-vis de l’Europe.

Levier migratoire

Début 2016, le gouvernement marocain rompt ses relations avec Bruxelles, en réaction à une décision de la Cour de justice de l’UE. Celle-ci avait annulé un accord agricole, au prétexte qu’il incluait le Sahara occidental. Le contact est renoué au bout de trois semaines, mais ouvre une « période creuse », aux dires de Nasser Bourita, interrogé en 2019 par la chaîne 2M, qui durera trois ans.

Entretemps, Rabat durcit le ton. En 2019, Mohammed VI fait valoir la « fermeté extrême » du Maroc contre « tout abus(…) qui pourrait porter atteinte [à ses] droits légitimes ». Sous-entendu : à son intégrité territoriale. L’inflexion est plus nette, en 2021, lors des crises successives avec Madrid, Paris puis Berlin.

Dans le sillage de Washington, les trois capitales européennes finissent par se ranger, plus ou moins explicitement, dans le camp du Maroc, Rabat n’ayant pas hésité, dans le cas de l’Espagne, à user du levier migratoire : en mai 2021, des milliers de personnes franchissent la frontière qui sépare le nord du royaume de l’enclave de Ceuta. Les critiques fusent à l’égard de la diplomatie marocaine, qualifiée de « chantage » par la ministre de la défense espagnole, Margarita Robles.

Les exigences du royaume s’affermissent encore en 2022, lorsque Mohammed VI présente le Sahara occidental comme le « prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international ». L’intransigeance du monarque est plus explicite que jamais. A Nasser Bourita de mettre en musique ce paradigme. Le diplomate est écouté, mais « reste le maître d’œuvre des arbitrages du palais », confie une diplomate marocaine.

Car la politique étrangère du Maroc est celle de Mohammed VI, qui compte par ailleurs un conseiller en la matière : Taïeb Fassi-Fihri, lui-même ancien patron de la diplomatie (2007-2012). Nasser Bourita le connaît bien, ayant été son chef de cabinet. Nombre d’observateurs parlent d’un « tandem ». C’est à ses côtés que le ministre siégeait, le 10 novembre, lors d’une réunion très médiatisée sur les préparatifs du nouveau plan d’autonomie marocain au Sahara occidental.

Profil « multilatéraliste »

Le mandat de Nasser Bourita est d’ores et déjà le second le plus long dans l’histoire du Maroc indépendant. L’homme a gravi tous les échelons diplomatiques sans être encarté dans aucun parti. Un profil apolitique qui le distingue de ses prédécesseurs : l’islamiste Saad-Eddine Al-Othmani (2012-2013), psychiatre de profession et figure du Parti de la justice et du développement, ou encore le libéral Salaheddine Mezouar (2013-2017), ancien patron et membre du Rassemblement national des indépendants, auparavant ministre de l’économie.

Outre sa proximité avec Taïeb Fassi-Fihri, le profil « multilatéraliste » de Nasser Bourita, familier des organisations internationales, a joué en sa faveur. Passé par les ambassades marocaines à Vienne et à Bruxelles, directeur de la division des Nations unies au ministère, puis de la coopération, il « forme avec Omar Hilale [le représentant du Maroc à l’ONU depuis 2014] un duo qui fonctionne parfaitement », selon une collaboratrice.

Au sein du corps diplomatique, on veut aussi croire que Nasser Bourita est davantage qu’un simple exécutant. Portée à son crédit, l’augmentation du budget de la diplomatie marocaine – en hausse de 70 % depuis qu’il est en fonction – a permis d’ouvrir des ambassades au Cap Vert, en Gambie, au Lesotho, au Malawi, en Tanzanie, au Togo et en Zambie. L’Afrique est le continent où les ralliements à la position du Maroc au Sahara occidental ont été les plus nombreux ces dernières années.

Le bilan du ministre n’est cependant pas exempt d’échecs. Déposée en 2017, la demande d’adhésion du Maroc à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest est au point mort. Quant à la normalisation avec Israël, dont le ministre est présenté comme l’un des artisans, elle fait les frais de la guerre à Gaza.

Peu après la reprise des relations bilatérales officielles, Nasser Bourita assurait pourtant, à la télévision i24News, que « le Maroc peut apporter une valeur ajoutée inestimable à l’effort de paix [entre Israéliens et Palestiniens] ». Un péché d’optimisme : prônée par Rabat, la solution à deux Etats paraît plus incertaine que jamais.

[Source: Le Monde]