La guerre éclair en Iran, un révélateur de la « doctrine Trump »

Le président américain a cherché une voie médiane entre les isolationnistes et les faucons, s’appuyant sur une méthode faite de risque, d’improvisation et d’une poignée de convictions constantes.

Juil 1, 2025 - 06:12
La guerre éclair en Iran, un révélateur de la « doctrine Trump »
Donald Trump à son retour du sommet de l’OTAN, à la base aérienne Joint Base Andrews (Maryland), le 25 juin 2025. BRIAN SNYDER / REUTERS

Une parenthèse enchantée : c’est ainsi que Donald Trump envisage la brève entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Iran. Mission accomplie, célébration des pilotes des bombardiers, dénonciation des médias critiques : le président américain ne veut entendre aucune nuance ou réflexion pessimistes. Les bombardements du 21 juin contre trois sites nucléaires ont été rapidement suivis par une réponse télégraphiée et inoffensive de Téhéran, puis par un cessez-le-feu. L’avenir ? Le flou règne. Donald Trump a parlé d’une rencontre bilatérale imminente avec l’Iran, dont on ne sait rien. Il mise sur l’instinct de survie du régime théocratique pour qu’il renonce, sous pression diplomatique et militaire, à tout enrichissement d’uranium, en échange d’une possibilité inédite de développement économique et d’un programme nucléaire civil encadré. « Ils sont épuisés, a assuré le président le 27 juin. La dernière chose à laquelle ils veulent penser est le nucléaire. Vous savez à quoi ils pensent ? Ils pensent à demain, comment vivre au milieu de cette pagaille. »

On l’a vu dès son premier mandat : Donald Trump cultive un engagement à la fois sincère et intéressé en faveur d’un Moyen-Orient reconfiguré. Celui-ci tournerait le dos aux querelles religieuses et politiques, aux guerres sans fin. Il s’épanouirait dans le commerce, l’exploitation de l’énergie et les projets immobiliers. Cette vision suppose d’achever le chapitre, écrit en lettres de sang, des cycles de violence post 7-Octobre dans la région, à commencer par Gaza. Si elle fait peu de cas de l’histoire et des blessures des peuples, elle nécessite de traiter, même de façon minimaliste, la question palestinienne. Elle passe ensuite par un accord de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël. C’est la clé de voûte de tout, pense le président américain, et notamment de son prix Nobel de la paix tant désiré.

La guerre éclair en Iran a servi de laboratoire à grande échelle pour la méthode Trump. Elle est faite de risque, d’improvisation et d’une poignée de convictions constantes. Le risque a consisté à déclencher les bombardements, sans pouvoir anticiper toutes les répliques de cet acte transgressif. Si l’aviation israélienne avait auparavant décimé la défense antiaérienne du régime, en visant les lanceurs de missiles et leurs stocks, cette intervention américaine dans le conflit rompait néanmoins avec deux décennies de retenue, d’un président à l’autre, des deux couleurs politiques.

Succès sur Fox News

Suivant deux mois d’efforts diplomatiques improductifs à Oman avec l’Iran, elle revêt un caractère historique, malgré les réserves sur ses résultats. « Nous n’essayons pas de transformer l’Iran en Wisconsin, nous détruisons leur programme nucléaire et une fois qu’on a fait ça, on s’en va », a plaidé le vice-président, J. D. Vance, dans un entretien au site Breitbart, publié le 24 juin. L’ancien sénateur de l’Ohio essayait de définir la « doctrine Trump » en politique étrangère. Celle-ci s’imposera à l’avenir de façon bipartisane, veut croire J. D. Vance. Elle consiste à « définir notre intérêt, essayer d’employer la diplomatie, puis une force militaire écrasante lorsque la diplomatie échoue ».

La faiblesse de cette approche est le caractère velléitaire de cette diplomatie, surtout dans des dossiers aussi complexes que la guerre en Ukraine ou le nucléaire iranien. L’improvisation qui l’accompagne, elle, semble faire partie de l’hygiène de vie professionnelle de Donald Trump, qui préfère parler de « souplesse ». Lorsque Israël a lancé son attaque, le 13 juin, le président américain est d’abord resté en retrait, en observateur, sans condamner ni approuver. Constatant vite les succès obtenus et leur présentation enthousiaste sur sa chaîne favorite, Fox News, il a envisagé plus sérieusement une participation américaine. D’autant plus qu’elle apparaissait indispensable, disaient les experts, pour avoir une chance de détruire les installations souterraines de Fordo, avec les bombes anti-bunker à disposition du Pentagone.

Pendant ces journées chaotiques dont il se délecte, le milliardaire a invité la population à évacuer Téhéran, puis il a directement menacé le Guide suprême, Ali Khamenei, en expliquant que, « pour l’instant », son assassinat n’était pas souhaité. Le 18 juin, il disait : « J’aime prendre une décision finale une seconde avant l’échéance, vous savez, parce que les choses changent, surtout avec la guerre. » Une seconde avant, dit le président de la première puissance du monde, et cela en faisant confiance à son instinct, et non aux évaluations des services de renseignement, qui estimaient que le régime n’avait pas pris la décision de fabriquer une bombe nucléaire.

Outrances contre les journalistes

Ce même rejet de l’expertise est apparu après les frappes, quand les médias américains ont révélé le contenu d’une première évaluation de la branche renseignement du Pentagone. Selon celle-ci, l’Iran n’accuserait que quelques mois supplémentaires de délai sur le chemin vers la bombe, s’il décidait de l’emprunter. Mais Donald Trump et son secrétaire à la défense, Pete Hegseth, ont redoublé d’outrances contre les journalistes, en mettant en cause leur patriotisme, car ils refusaient de célébrer l’opération « Midnight Hammer ». Selon les officiels américains et israéliens, le délai supplémentaire se compterait en années. Mais il faudrait les croire sur parole, lorsqu’ils assurent que les 400 kilos d’uranium hautement enrichi dont disposait l’Iran se trouvaient dans les sous-sols de Fordo et de Natanz, au moment où les bombes anti-bunker GBU-57 pénétraient la surface.

Donald Trump a cherché une voie médiane entre les isolationnistes MAGA (Make America Great Again) et les faucons rêvant de punition définitive contre Téhéran. Pour les premiers, tel l’idéologue en chef, Steve Bannon, la seule guerre légitime est intérieure : celle contre l’« Etat profond » et les migrants illégaux. Donald Trump, lui, répète depuis dix ans que l’Iran ne peut avoir la bombe nucléaire. Cela témoigne d’une rare constance, louable, mais aussi floue. Si Téhéran a enrichi l’uranium à des taux élevés et dans des quantités préoccupantes, la perspective d’une bombe nucléaire demeurait éloignée, sans doute d’au moins un an. Israël a saisi l’occasion, en faisant le constat de la faiblesse iranienne après la débandade de ses sous-traitants régionaux, comme le Hezbollah libanais et le régime syrien d’Al-Assad. Puis l’Etat hébreu a entraîné les Etats-Unis dans ses succès.

Rejet de Biden et d’Obama

Croire que Donald Trump est manipulé par Benyamin Nétanyahou n’a aucun sens, même si l’habileté de ce dernier a été cruciale pour le convaincre d’intérêts communs. Il suffit de constater toutes les contrariétés imposées par le président américain au premier ministre israélien depuis six mois : reconnaissance du nouveau pouvoir syrien, ouverture d’un canal direct de négociation avec le Hamas pour la libération de l’otage américain Edan Alexander, ou cessez-le-feu avec les houthistes, sans inclusion d’Israël, pour que les navires militaires et marchands américains ne soient plus inquiétés.

Donald Trump est aussi mû par un double rejet. Le premier est la faiblesse projetée par Joe Biden au moment du retrait catastrophique d’Afghanistan, en août 2021. La mort de treize soldats dans un attentat à Kaboul était le modèle à éviter à tout prix, d’où les nombreux avertissements transmis à Téhéran au sujet des bases américaines dans la région.

Le deuxième rejet est celui de l’accord sur le nucléaire (JCPoA), signé en 2015. Trump en avait retiré les Etats-Unis en 2018, dans le cadre de son règlement de comptes avec l’héritage Obama. Aujourd’hui, il se félicite d’avoir anéanti le programme nucléaire iranien. Le JCPoA était très imparfait et ne prenait pas en compte l’arsenal balistique de l’Iran. Mais il avait offert une perspective sur dix ans, sans le fracas des armes. Par ses bombardements, l’administration Trump a gagné un temps bien plus réduit, en prenant le risque de radicaliser le régime iranien.

[Source: Le Monde]