L’Autriche, premier pays de l’UE à reprendre les expulsions de réfugiés vers la Syrie

Un Syrien de 32 ans, arrivé en Autriche en 2013 et condamné à sept ans de prison en 2018, a été expulsé, jeudi, vers son pays d’origine. Les ONG d’aide aux réfugiés craignent que cette expulsion, la première vers la Syrie depuis la chute de Bachar Al-Assad, incite d’autres pays de l’Union européenne à faire de même.

Juil 4, 2025 - 07:21
L’Autriche, premier pays de l’UE à reprendre les expulsions de réfugiés vers la Syrie
Des migrants, majoritairement syriens, franchissent la frontière autrichienne, en provenance de la Hongrie, à Hegyeshalom, le 23 septembre 2015. LEONHARD FOEGER / REUTERS

Le ministre de l’intérieur autrichien, Gerhard Karner, a annoncé fièrement la nouvelle devant les caméras, jeudi 3 juillet, de l’aéroport de Vienne. « Pour la première fois en près de quinze ans, un délinquant syrien a été aujourd’hui expulsé directement vers la Syrie, en l’occurrence vers Damas », a annoncé ce responsable du Parti populaire autrichien (ÖVP, conservateur), quelques heures après le décollage d’un avion avec, à son bord, le premier cas connu de réfugié syrien à être expulsé directement vers son pays d’origine par un Etat de l’Union européenne (UE) depuis le début de la guerre civile, en 2011.

Cet homme de 32 ans, arrivé en Autriche en 2013, avait perdu son statut de réfugié après sa condamnation à sept ans de prison en 2018. Mais, comme tous les Syriens présents en Europe, il était jusqu’à récemment inexpulsable en raison des risques de mauvais traitements encourus en Syrie tant que Bachar Al-Assad était au pouvoir. Depuis la chute du dictateur, en décembre 2024, plusieurs responsables politiques européens se sont rendus à Damas pour essayer de reprendre les expulsions, en accord avec les nouvelles autorités syriennes.

Deux pays poussent particulièrement en ce sens : l’Autriche et l’Allemagne, qui ont accueilli plusieurs centaines de milliers de réfugiés syriens depuis la crise migratoire de 2015, mais font face à une extrême droite en pleine progression sur leur scène politique nationale. A la fin d’avril, M. Karner s’était ainsi rendu à Damas avec son homologue allemande d’alors, la sociale-démocrate Nancy Faeser, pour demander au nouveau ministre de l’intérieur de commencer à reprendre les Syriens après plusieurs cas d’agressions commises par des réfugiés dans les deux pays.

« Une politique d’asile dure mais juste »

Le ministère autrichien a justifié son refus de donner des détails sur le profil du « délinquant » expulsé jeudi, invoquant « des raisons de sécurité ». Mais à partir des bribes d’information fournies par les autorités, il est possible d’établir qu’il s’agit d’un islamiste condamné pour appartenance à l’Etat islamique par le tribunal de Salzbourg et qui avait ensuite été à nouveau signalé pour radicalisation lors de son séjour en prison. Il avait été placé en centre de rétention après sa libération, en décembre 2024, et avait tenté de demander une protection en référé à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), mais celle-ci, en juin, l’a débouté.

Cette expulsion est « un signal important pour montrer que l’Autriche suit une politique d’asile dure mais juste », a vanté M. Karner, promettant « que d’autres [allaient] suivre », y compris « vers l’Afghanistan », un pays vers lequel toutes les expulsions ont pourtant été suspendues par les justices européennes depuis le retour au pouvoir des talibans, en août 2021. Pour les nouvelles autorités syriennes, qui cherchent une légitimité internationale et réclament la levée des sanctions européennes, cette expulsion témoigne de leur disponibilité à coopérer avec les autorités occidentales.

Une décision critiquée par les ONG

Les ONG autrichiennes d’aide aux réfugiés, qui avaient soutenu le recours du Syrien devant la CEDH, ont dénoncé cette expulsion. « Sur la base des informations disponibles, il n’est pas possible d’exclure sérieusement que la personne concernée risque d’être soumise à des traitements inhumains, voire à la torture, en Syrie », a notamment critiqué l’association Asyl Koordination. Les ONG craignent que cette première expulsion incite d’autres pays de l’UE à faire de même, alors que la situation des réfugiés syriens présents en Europe s’est assombrie ces derniers mois.

Si M. Karner a dit vouloir expulser avant tout « les délinquants et des individus dangereux », sa coalition, où siègent conservateurs, sociaux-démocrates et libéraux, mène la vie dure à l’ensemble des réfugiés syriens et afghans, en espérant que cela privera de carburant électoral le parti d’extrême droite FPÖ, arrivé en tête des législatives, en septembre 2024.

Depuis la chute de Bachar Al-Assad, l’Autriche a ainsi rouvert les dossiers d’asile de milliers de réfugiés syriens arrivés récemment sur son territoire et suspendu toutes les procédures de regroupement familial. Elle fait aussi partie des neuf pays européens ayant signé une lettre ouverte, le 22 mai, pour reprocher à la CEDH de trop protéger les « étrangers criminels » et demander « plus de latitude pour décider de [leur] expulsion ». En ne bloquant pas l’expulsion de jeudi, la CEDH a montré qu’elle était sensible à ces préoccupations.