Guerre à Gaza : affaibli mais pas éradiqué, le Hamas cherche à s’assurer un horizon politique

Après vingt mois de guerre contre Israël, le mouvement islamiste palestinien refuse de capituler. Pratiquant la guérilla sur le terrain et disposant toujours d’otages, il n’entend pas céder sur ses deux exigences principales dans les négociations de cessez-le-feu : obtenir la fin de la guerre et le retrait israélien de la bande de Gaza.

Juil 4, 2025 - 07:23
Guerre à Gaza : affaibli mais pas éradiqué, le Hamas cherche à s’assurer un horizon politique
L’ancien chef du Hamas, Khaled Mechaal, s’exprime lors d’un entretien avec Reuters à Doha, au Qatar, le 5 octobre 2024. IBRAHEEM ABU MUSTAFA / REUTERS

Acculé par Israël dans la bande de Gaza, son commandement militaire décapité, le Hamas n’est plus que l’ombre de lui-même après vingt et un mois de guerre. Pour détruire le mouvement islamiste palestinien, responsable de la mort de 1 200 Israéliens et de la capture de 251 otages, le 7 octobre 2023, l’armée israélienne a dévasté l’enclave et tué plus de 56 000 Palestiniens. Le mouvement fondé en 1987 lutte aujourd’hui pour sa survie. Il n’est cependant pas éradiqué, comme l’avait juré le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et refuse de capituler. Alors que des négociations pour un nouveau cessez-le-feu sont engagées, le Hamas campe sur ses exigences : la fin de la guerre et le retrait total israélien de la bande de Gaza.

« Après la guerre en Iran, Israël a l’opportunité de déclarer victoire, mais cette guerre ne change pas la donne pour le Hamas. Ses calculs ont déjà drastiquement changé en deux ans de guerre. Il a été affaibli par la destruction de la bande de Gaza, la décapitation de sa direction et l’effondrement de “l’axe de la résistance” emmené par l’Iran », estime Amjad Iraqi, expert au sein de l’International Crisis Group (ICG). L’enjeu n’est plus, pour le Hamas, de reconstituer les Brigades Ezzedine Al-Qassam, le bras armé qu’il a bâti avec le soutien financier et militaire de l’Iran, mais de se ménager un horizon politique.

« Le Hamas a encore quelques cartes en main dans les négociations : des otages, ce qui est le principal échec pour Israël. Il se maintient sur le terrain et bénéficie toujours d’un soutien chez les Palestiniens », estime Azmi Keshawi, expert à l’ICG. Si Israël a décapité son commandement et dit avoir tué 20 000 de ses combattants, le mouvement fait preuve de résilience. « La stratégie d’hibernation du Hamas a fonctionné jusqu’à présent. Lorsque les forces israéliennes arrivent, ses combattants partent avec les civils ou se planquent. Des cellules mènent encore des attaques surprises et limitées », note Hugh Lovatt, expert à l’European Council for Foreign Relations (ECFR). En juin, plus de vingt soldats israéliens ont ainsi été tués dans les combats.

Offrir un répit à la population

Le mouvement se réorganise. Il reconstitue ses rangs avec de jeunes recrues, tout comme son leadership. Traqué par Israël, ce dernier n’exerce plus un commandement centralisé. « Le Hamas s’est transformé en mouvement de guérilla, au sein duquel la prise de décision a été décentralisée, laissée aux cellules locales », estime Amjad Iraqi de l’ICG. La même déficience organisationnelle s’observe dans la gouvernance de l’enclave. Des clans, soutenus et armés par Israël, en profitent pour contester son autorité. « Les clans, liés à des réseaux criminels et djihadistes, qui ont été réprimés par le Hamas à son arrivée au pouvoir à Gaza en 2007, veulent prendre leur revanche », explique Hugh Lovatt.

C’est le cas du clan Dormush, lié à Jaych Al-Islam, un groupe qui avait prêté allégeance à l’organisation Etat islamique, et dont le chef, Yasser Abou Chabab, est devenu l’homme à abattre pour le Hamas. Après avoir tenté de le capturer, le mouvement palestinien a, par la voie du ministère de l’intérieur qu’il contrôle, lancé un mandat d’arrêt contre le chef rebelle, un Bédouin qui évolue dans la zone de Rafah, actuellement sous contrôle israélien. Il a été inculpé par un tribunal révolutionnaire pour « trahison », « collaboration avec l’ennemi » et « rébellion ». « Le Hamas fait la guerre à ces clans et procède à des exécutions contre leurs membres. Mais ils ne présentent pas une véritable menace. Ils sont désavoués par des familles et des clans avec l’aide de qui le Hamas cherche à stabiliser son pouvoir dans la bande de Gaza », souligne Amjad Iraqi.

Un cessez-le-feu donnerait au mouvement palestinien les coudées franches pour réprimer ses détracteurs et restaurer son autorité. Le Hamas veut également obtenir une trêve et un afflux substantiel d’aide humanitaire pour offrir un répit à la population, de plus en plus critique à son égard. « La popularité du Hamas n’a jamais dépassé les 30 à 40 % au sein de la population gazaouie mais, relativement parlant, il reste le groupe le plus populaire. Pour que la population se détourne de lui, il faut que les gens cessent de craindre pour leur vie et prennent la mesure des dégâts », estime Hugh Lovatt.

« Nos armes ne sont pas négociables »

La direction politique du Hamas n’a pas fait son introspection après l’attaque du 7 octobre 2023. La guerre l’a durement éprouvée avec l’assassinat, le 31 juillet 2024, de son chef, Ismaïl Haniyé, à Téhéran, puis celle de son successeur, Yahya Sinouar, à Rafah, le 16 octobre. Depuis, le mouvement a opté pour une direction collégiale de cinq membres. Avec Khaled Mechaal, ancien chef du Hamas de 2004 à 2017, Khalil Al-Hayya, le négociateur en chef du Hamas, qui a pris la tête du politburo après la mort de Yahya Sinouar, en est devenu la principale figure. Mais tous deux ne sont pas à Gaza. « Le Hamas à l’extérieur n’a pas le dernier mot dans les négociations, souligne néanmoins Azmi Keshawi. Il revient toujours à ceux de l’intérieur, qui connaissent le terrain et détiennent les otages. »

Depuis le début de la guerre, le Hamas ne démord pas de ses deux exigences – la fin de la guerre et le retrait des forces israéliennes de l’enclave palestinienne. Or Israël refuse de les voir inscrites dans un accord de cessez-le-feu afin de se réserver le droit de reprendre les combats. Le 29 juin, dans un entretien à la chaîne qatarie Al-Jazira, le cadre du Hamas, Mahmoud Mardawi, a réitéré l’importance d’une « clause claire et explicite » en ce sens et d’un soutien des acteurs régionaux et des Etats-Unis à l’accord avec « des modalités d’application claires ». Le Hamas voudrait obtenir des Américains des garanties écrites que la trêve ne soit pas rompue par Israël, au terme de la première phase de soixante jours, comme ce fut le cas avec le dernier cessez-le-feu, en mars.

Le Hamas continue, par ailleurs, d’opposer une fin de non-recevoir aux exigences d’Israël concernant sa démilitarisation et l’exil de ses chefs hors de l’enclave. « Nos armes ne sont pas négociables. Elles sont liées à notre droit. Si un Etat palestinien indépendant est établi sur notre territoire, alors cet Etat décidera du sort de ces armes », a martelé Mahmoud Mardawi, le 29 juin. Le Hamas, qui a perdu son arsenal et recycle les munitions israéliennes non explosées pour combattre, pourrait néanmoins envisager des arrangements intermédiaires.

Prêt à céder le contrôle de la bande de Gaza

Lors de sa rencontre avec l’envoyé spécial américain pour les otages, Adam Boehler, en mars, le Hamas s’était dit disposé à un cessez-le-feu de cinq à dix ans avec Israël, à démanteler son arsenal offensif (roquettes et missiles) et à céder le contrôle de la bande de Gaza. L’exil des chefs du Hamas hors de Gaza est vu comme une demande symbolique, dès lors que la plupart d’entre eux ont été éliminés. « Le Hamas n’acceptera pas une évacuation, à l’image du départ de Yasser Arafat et de l’Organisation de libération de la Palestine du Liban en 1982 », souligne Hugh Lovatt.

« Le Hamas voudrait que celui qui gouvernera Gaza inclue ses membres dans les forces de sécurité et leur garantisse l’immunité », note Azmi Keshawa. Le mouvement palestinien veut pouvoir leur offrir des emplois et des salaires pour s’assurer de leur loyauté. La mesure pourrait être mise en œuvre pour les forces de police, dont les membres ne sont pas tous affiliés au Hamas. L’Egypte et la Jordanie ont entamé leur formation. Le Hamas n’a en revanche pas donné son aval au déploiement de forces arabes dans la période intérimaire. « Sans un accord et un consensus parmi les forces politiques palestiniennes, ce serait considéré comme une nouvelle occupation », poursuit l’expert de l’ICG.

Le Hamas est prêt à laisser le contrôle de la bande de Gaza à un comité de technocrates composé de 80 membres – des figures indépendantes qu’il a validées. Mais le président palestinien, Mahmoud Abbas, a rejeté cette option, tout comme il traîne des pieds sur la réconciliation interpalestinienne et l’intégration du Hamas au sein d’une direction palestinienne unifiée, une formule soutenue par les pays arabes. « Le Hamas fera toujours partie de la scène politique palestinienne, qu’on le veuille ou non, estime Hugh Lovatt. Pour affaiblir le Hamas et l’empêcher de jouer un rôle perturbateur, il ne faut pas l’exclure. »

[Source: Le Monde]