Handicap sévère : la difficile transition de l’enfance vers l’âge adulte

Pour les jeunes atteints d’autisme, de paralysie cérébrale ou de polyhandicap, l’adolescence est une période charnière à accompagner.

Juil 4, 2025 - 07:26
Handicap sévère : la difficile transition de l’enfance vers l’âge adulte
Une étudiante en situation de handicap mental travaille avec une étudiante en art, à la Haute école des arts du Rhin, à Mulhouse, en décembre 2019. SEBASTIEN BOZON / AFP

Atteint de paralysie cérébrale, un handicap de naissance qui altère sa mobilité, Gauthier Richard a suivi une scolarité mixte, entre école et l’institut médico-éducatif (IME), avant de poursuivre ses études en milieu ordinaire. « Dans mon IME, il y avait un ergothérapeute, un psychomotricien, un kiné, un neuropsychologue, formés à tous les types de paralysie, se remémore le jeune homme de 29 ans. Ensuite, il a fallu retrouver l’équivalent en milieu libéral et s’occuper du transport, car tout ne se trouve pas au même endroit. C’est difficile, il y a des moments où j’ai été en arrêt de soin de trois à six mois. »

L’adolescence constitue une période à risque en matière de santé et de parcours de vie, encore accrue pour les enfants atteints de handicap sévère : autisme, paralysie cérébrale, polyhandicap, troubles psychiatriques ou maladies neuromusculaires. Les changements d’établissement, de traitement ou d’équipe médicale compliquent la transition vers l’âge adulte de ces jeunes en « double vulnérabilité » et peuvent entraîner des ruptures de soin, comme le souligne un rapport de l’Académie nationale de médecine, publié le 13 mai.

Alors qu’un enfant en situation de handicap est généralement suivi par un pédiatre ou un neuropédiatre, « le monde médical de l’adulte est morcelé, le nombre de spécialistes consultés explose, et il y a peu de coordination », constate le professeur Alain Yelnik, rapporteur du texte et spécialiste en médecine de réadaptation. S’ajoute une mise à l’écart des parents lors des consultations ou aux urgences, dès que le patient est majeur. « Il y a un risque de ne pas connaître l’histoire des personnes, qui ont parfois du mal à communiquer », souligne Christian Biotteau, père d’un fils de 35 ans atteint de trisomie, et vice-président de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis.

Prise en charge « occupationnelle »

Les enfants privés de langage oral ont souvent appris à s’exprimer à travers la communication alternative (signes, pictogrammes, tablette…) en famille ou dans leur établissement pour enfant. Mais dans les foyers ou les maisons d’accueil spécialisées qu’ils rejoignent, ces techniques sont parfois méconnues, ce qui « est responsable de la hausse de vulnérabilité et de la dépendance, de troubles du comportement, parfois abusivement traités par médicaments », déplore le rapport.

Plus généralement, l’Académie nationale de médecine constate qu’« en établissements pour adultes, le projet éducatif n’est pas envisagé, car il est supposé être achevé ». La prise en charge est alors uniquement « occupationnelle », ce que déplore Pierre-Yves Lavallade, délégué général de la Fédération paralysie cérébrale. « On raisonne de façon binaire : “Ce jeune peut ou ne peut pas travailler.” Alors qu’un adolescent en situation de handicap, qui a souvent eu un parcours en zigzag, a encore des choses à apprendre, notamment en matières scolaires », dénonce-t-il.

Autre disparité : pour les enfants, les établissements sont financés par l’Etat ; pour les adultes, ils sont pris en charge par les départements, complétés par l’Assurance-maladie pour la partie soins. Pierre Fenaux, président de l’association aux services des autistes et de la pédagogie Les Petites Victoires – structure qui accueille, à Paris, des autistes de tous âges –, constate des écarts : « Pour l’IME, on a un encadrement important, une institutrice, etc. Dans le foyer pour adultes, le quota de personnel n’est pas du tout le même, le budget est réduit d’environ un tiers. Il y a une bascule à 20 ans. Et comme il y a moins de structures pour adultes proportionnellement, certains n’ont aucune solution, sauf à partir en Belgique. »

L’amendement Creton autorise, depuis 1989, des jeunes à rester en IME au-delà de 20 ans, dans l’attente d’une place : ils étaient 7 700 en 2022 dans cette situation transitoire, qui peut durer jusqu’à l’âge de 26 ou 27 ans. Un rapport de l’agence régionale de santé d’Occitanie, remis le 23 juin au gouvernement, préconise de réviser cet amendement pour créer une réelle étape de transition destinée aux 16-25 ans

Accompagner les projets de vie

Les rapports de l’Académie et de l’ARS Occitanie suggèrent de clarifier le financement des établissements sociaux et médico-sociaux. D’autres propositions visent à assouplir les bornes définies par les administrations – 15 ans et 3 mois pour la sortie des services pédiatriques, 18 ans pour la majorité légale, 20 ans pour les IME – considérant que « l’âge n’est pas le seul facteur déterminant du passage de l’enfant handicapé à l’âge adulte ». La société savante suggère d’instaurer une coordination entre les médecins lors de la période de transition, ou de créer des structures intermédiaires dévolues aux 18-25 ans.

Des initiatives existent déjà. Ainsi, un espace appelé L’Appart a été créé, en 2021, à l’hôpital de la Timone, à Marseille, pour les patients en pédiatrie pour handicap ou maladie chronique. Les adolescents y sont accompagnés vers le passage à l’âge adulte, pour les soins, mais aussi leur projet de vie.

« On nous donne des explications sur la maladie et les avancées médicales, comment poursuivre dans nos études ou voyager, remplir des documents administratifs… », explique Sahraoui Damlali, 18 ans. Touché par une maladie génétique dégénérative, il vient de passer son bac et s’apprête à intégrer une école de commerce. Il s’estime au début de sa « transition » vers l’âge adulte. « Comme je suis à mobilité réduite, mes parents m’aident au quotidien, administrativement, physiquement… Les choses sont compliquées, mais j’aimerais bien me prendre en main, essayer de devenir indépendant. Juste grandir. »

[Source: Le Monde]