Devant la CIJ, la Guinée équatoriale dénonce « l’ingérence » de la France après la saisie de l’immense hôtel particulier du fils du président à Paris

Le bâtiment de 106 pièces, estimé à 107 millions d’euros, situé dans le 16ᵉ arrondissement, a été saisi à la suite du procès dit « des biens mal acquis » visant Teodorin Obiang, le fils du chef de l’Etat et vice-président du pays.

Juil 16, 2025 - 07:05
Devant la CIJ, la Guinée équatoriale dénonce « l’ingérence » de la France après la saisie de l’immense hôtel particulier du fils du président à Paris
Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit « Teodorin », le fils aîné du chef de l’Etat et vice-président de Guinée équatoriale, à Malabo, en décembre 2014. STEEVE JORDAN/AFP

Le 42 avenue Foch, à Paris, a perdu un peu de son faste ces dernières années. Mais les 106 pièces, la discothèque et le hammam de cet immense hôtel particulier du 16ᵉ arrondissement de la capitale sont l’objet d’une dispute judiciaire qui n’en finit pas. Le dernier épisode de ce bras de fer qui oppose la Guinée équatoriale et la France devant la Cour internationale de justice (CIJ) s’est joué mardi 15 juillet à La Haye, aux Pays-Bas.

En saisissant cette juridiction, le pays ouest-africain espère récupérer ce bâtiment chic estimé à 107 millions d’euros, et empêcher sa vente potentielle par l’Etat français.

Le 42 avenue Foch a en effet été saisi en 2012, puis confisqué en 2020, après la condamnation en appel à trois ans de prison avec sursis et 30 millions d’euros d’amende de Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit « Teodorin », le fils aîné du chef de l’Etat – Teodoro Obiang Nguema Mbasogo – et vice-président de Guinée équatoriale, pour abus de confiance, abus de biens sociaux, blanchiment et détournement de fonds publics, dans la procédure communément appelée des « biens mal acquis ».

Dans la salle d’audience, l’ambassadeur de Guinée équatoriale en France, Carmelo Nvovo-Nca, qui ouvrait les plaidoiries du jour, relate le récent désagrément vécu lorsque « tôt dans la matinée du 18 juin, une agence gouvernementale française, Agrasc [Agence de gestion
et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués], est entrée dans le bâtiment sans préavis ni notification et a procédé, malgré nos protestations, à nous exclure de larges parties du bâtiment. Plus de quinze personnes étaient présentes. J’étais personnellement présent sur place ».

Ce jour-là, à 8 h 30, en présence de fonctionnaires de l’Agrasc, la police fait changer les serrures, bloque le portail automatique d’entrée, met les caméras de sécurité hors d’état et relève l’identité des présents, dont l’ambassadeur Nvono-Nca. Une intervention due à « des informations provenant du syndic de copropriétés (…) qui ont fait apparaître que des dégradations dans l’immeuble, notamment des fuites d’eau, ont causé des dommages dans l’immeuble voisin », relate, devant les juges, le directeur des affaires juridiques du Quai d’Orsay, Diégo Colas, ajoutant au différend diplomatique une bagarre de voisinage. Il a été « fait état de locaux vétustes, voire décrépits, occupés, voire habités par plusieurs personnes et présentés comme des bureaux diplomatiques alors même qu’ils fonctionnent sans eau ni électricité », poursuit M. Colas.

« La Guinée équatoriale n’est pas propriétaire du 42 avenue Foch »

Pour la Guinée équatoriale, en saisissant cet hôtel particulier, Paris viole la convention des Nations unies sur la corruption, qui prévoit la restitution des biens à son ancien propriétaire, à l’Etat concerné ou aux victimes.

En 2022, la France avait promulgué une « loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales » afin « de restituer les avoirs issus de la corruption aux populations victimes des infractions ». Elle autorise la France à vendre les biens confisqués, à hauteur de la condamnation, et de redistribuer aux populations les recettes de la vente, par l’intermédiaire d’organisations de la société civile, au lieu qu’elles soient reversées au budget de l’Etat Français. « En d’autres termes, déplorent les avocats du gouvernement équato-guinéen, la France s’arroge le pouvoir de décider de l’utilisation des fonds publics de la Guinée équatoriale sans le consentement de cette dernière. » Ils dénoncent une « ingérence ».

Auparavant, la Guinée équatoriale avait fait valoir que le 42 avenue Foch abritait en réalité son ambassade en France, ce qui rendrait l’immeuble insaisissable. Un argument qui a été rejeté par la CIJ. « La Guinée équatoriale n’a jamais été propriétaire de l’immeuble au regard du droit français », a confirmé M. Colas.

« Nous en avons assez de la volonté de la France de gérer sans vergogne les ressources de l’Afrique, assez de la manipulation indue des intérêts de l’Afrique, a déclaré plus tôt à la barre le représentant de la Guinée équatoriale. Nous utilisons nos ressources financières pour ce que nous estimons être le mieux pour notre pays, et non pour servir les intérêts de la France. » Le diplomate a dénoncé l’attitude « paternaliste », « néocoloniale », et « inacceptable » de Paris.

La France promet que la restitution des fonds obtenus par la vente de l’hôtel particulier se fera par le biais d’un accord avec la Guinée équatoriale. Le directeur juridique du Quai d’Orsay a précisé que des discussions sont d’ailleurs déjà en cours sur la restitution de 6,1 millions d’euros récoltés par les ventes d’autres biens confisqués dans le cadre de l’affaire Teodorin Obiang. Il précise aussi qu’il faudra encore des mois avant de pouvoir vendre le 42 avenue Foch. La décision des juges sur ces mesures d’urgence réclamée par la Guinée équatoriale devrait être rendue dans les prochains jours ou dans les prochaines semaines.

[Source: Le Monde]