L’Europe sous la menace de deux guerres commerciales avec les Etats-Unis et la Chine
Alors que Donald Trump parle d’augmenter encore les droits de douane, les conflits avec Pékin se multiplient. Le commissaire Maros Sefcovic est rentré de Washington vendredi 18 juillet, sans faire état de progrès notables dans les négociations. Les Européens n’attendent pas grand-chose du sommet UE-Chine, prévu jeudi 24 juillet.

Entre deux guerres commerciales potentielles, l’Union européenne (UE) peine à trouver une voie de passage. D’un côté, les Etats-Unis de Donald Trump surtaxent ses exportations et la menacent de nouveaux droits de douane astronomiques. De l’autre, la Chine de Xi Jinping multiplie les barrières à l’entrée sur son marché, tout en se faisant de plus en plus offensive.
Le commissaire européen au commerce, Maros Sefcovic, est rentré de Washington vendredi 18 juillet, après y avoir rencontré le secrétaire au commerce, Howard Lutnick, le représentant au commerce, Jamieson Greer, et Kevin Hassett, le conseiller économique de M. Trump. Mais ce nouveau déplacement n’a pas permis aux négociations d’avancer.
Depuis son retour à la Maison Blanche, M. Trump a augmenté les droits de douane de 25 % sur les voitures et de 50 % sur l’acier et l’aluminium. Il a introduit des surtaxes de 10 % sur un large éventail de produits qu’ils pourraient remonter à 30 % vendredi 1er août si aucun accord n’est trouvé, et prévient qu’il pourrait s’en prendre aux biens pharmaceutiques, notamment. A ce stade, la Commission, qui négocie au nom des Vingt-Sept, n’a obtenu aucune concession.
« Trump ne cherche pas un accord, il n’a pas encore abattu ses cartes. Ce qu’il veut, c’est découdre les réglementations européennes, numériques et sanitaires », argue Elvire Fabry, chercheuse à l’institut Jacques Delors. Quand il traverse l’Atlantique, M. Sefcovic a, face à lui, des interlocuteurs qui ne savent pas forcément ce que veut M. Trump et qui ne sont pas décisionnaires. Le commissaire trouve parfois difficile de négocier avec des responsables qui n’ont pas toujours les mêmes codes que lui : quelle n’a pas été sa surprise quand, le 19 juin, alors qu’il avait rendez-vous avec Howard Lutnick, celui-ci lui a finalement accordé un échange en visio, en direct de son yacht.
Un accord privilégié
La Commission, elle, a une obsession : conserver l’unité européenne, ce qui l’a amenée jusqu’ici à refuser le rapport de force avec Washington. Sur le flanc est du Vieux Continent, on veut à tout prix sécuriser le soutien des Etats-Unis en Ukraine et la contribution américaine à la défense européenne. En Allemagne, en Italie et en Irlande, qui représentent près des deux tiers des exportations communautaires outre-Atlantique, on redoute une guerre commerciale.
Conséquence, l’UE n’a encore pris aucune mesure de rétorsion. Un premier paquet de contre-mesures – des surtaxes portant sur 21 milliards d’euros de biens américains – est prêt, mais, après avoir envisagé de repousser son entrée en vigueur à la fin de l’année, elle l’a finalement décalée au 6 août. Un deuxième (sur 72 milliards d’euros) a été concocté, mais l’exécutif communautaire ne l’a pas encore soumis aux Etats membres pour validation.
Quant au troisième paquet, qui lui permettrait de fermer les marchés publics aux entreprises américaines, de contrôler ses exportations outre-Atlantique ou encore d’imposer des taxes aux géants du numérique, Bruxelles ne l’a pas encore présenté aux Vingt-Sept. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a beau répéter que « toutes les options sont sur la table », elle privilégie un accord, quand bien même celui-ci serait asymétrique.
Il faut « changer de méthode », a déclaré lundi 14 juillet le ministre français du commerce extérieur, Laurent Saint-Martin, afin de « mettre sur la table la capacité de l’UE à riposter ». Relativement isolée, la France milite pour des négociations plus musclées. « Tout dépendra de l’Allemagne », insiste un proche de l’Elysée. Avant de poursuivre : « Le chancelier, Friedrich Merz, envoie des signaux contradictoires. Tantôt il affirme la nécessité d’une Europe puissance. Tantôt il prend le parti de l’industrie automobile allemande, qui essaie d’obtenir des passe-droits en allant négocier à la Maison Blanche. »
Le déficit commercial avec la Chine s’envole
Emmanuel Macron doit rencontrer M. Merz à Berlin mercredi 23 juillet et il espère que la perspective de droits de douane à 30 % soit suffisamment effrayante – ce serait « prohibitif de tout commerce », a jugé M. Sefcovic le 14 juillet– pour le faire bouger. Vendredi, lors d’une réunion entre les ambassadeurs auprès de l’UE et le commissaire au commerce, le représentant allemand a montré des signes d’évolution. Berlin ne s’oppose désormais plus à l’utilisation de l’instrument anticoercition. « Il y a un consensus pour accélérer sur le troisième paquet », confie un diplomate européen.
Sur le front chinois, la Commission n’a pas non plus, jusqu’ici, obtenu de résultat, et il est peu probable que le sommet UE-Chine, prévu à Pékin jeudi 24 juillet, change la donne. Les barrières à l’entrée au marché chinois pour les entreprises européennes sont pourtant de plus en plus nombreuses – la chambre de commerce UE Chine en a dénombré 1 580 en 2024 – et le déficit commercial européen s’envole : il a atteint 305 milliards d’euros en 2024.
La fermeture du marché américain ne devrait pas arranger les choses. Les Européens redoutent de voir les surcapacités chinoises se déverser sur leur sol. Dans ce contexte, la Commission utilise de plus en plus ses instruments de défense commerciale contre Pékin. Elle multiplie les enquêtes et, contre l’avis de Berlin, elle a notamment augmenté les droits de douane sur les voitures électriques chinoises.
Les intérêts divergents des Etats membres
Mais la Chine riposte et s’en prend tour à tour au cognac ou aux dispositifs médicaux européens, quand elle ne menace pas de ne plus livrer aux Européens des produits dont ils sont dépendants. Depuis avril, elle restreint ainsi ses exportations de terres rares, ce qui inquiète au plus haut point l’industrie européenne, à commencer par les constructeurs automobiles. « La situation est intenable », juge un responsable européen, et si cela devait durer, « l’UE défendrait ses intérêts ».
Etats-Unis, Chine : l’UE est assiégée et va devoir trouver une issue de secours, si elle ne veut pas être la victime impuissante de l’affrontement en cours entre les deux premières puissances mondiales. Mais, dans les deux cas, il lui est d’autant plus difficile d’arrêter une stratégie que les intérêts des Etats membres divergent et que les enjeux dépassent largement le cadre commercial.
M. Trump attend des Européens qu’ils se rangent à ses côtés contre Pékin, ce dont certains Etats membres soucieux de leurs exportations, à commencer par l’Allemagne, ne veulent pas entendre parler. D’autres imaginent que l’offensive américaine pourrait rapprocher l’Union de la Chine. « Le vrai défi structurel pour l’Europe, c’est la Chine, et les menaces de Trump risquent de nous distraire de cet enjeu », redoute Elvire Fabry.
Une chose est sûre, Pékin et Washington observent avec attention ce que fait l’Union européenne. « Si, aujourd’hui, nous acceptons qu’on puisse lever des droits de douane sur l’UE en faisant le dos rond pour laisser l’orage passer, demain, c’est la Chine, et puis à nouveau les Etats-Unis, qui reviendront pour lever une nouvelle fois des droits des douanes », a prévenu Jean-Noël Barrot, le ministre des affaires étrangères, le 17 juillet.