Tadej Pogacar, un champion lassé de sa supériorité sur le Tour de France

Le cycliste slovène de 26 ans a remporté l’épreuve, dimanche, pour la quatrième fois de sa carrière. Il devance son rival Jonas Vingegaard de plus de quatre minutes au général, sans que celui-ci n’ait jamais semblé en mesure de le faire vaciller.

Juil 28, 2025 - 05:27
Tadej Pogacar, un champion lassé de sa supériorité sur le Tour de France
Tadej Pogacar sur le podium avec le maillot jaune de leader du classement général après la 21ᵉ et dernière étape de la 112ᵉ édition du Tour de France, à Paris, le 27 juillet 2025. LOIC VENANCE / AFP

Tadej Pogacar a régné sur le Tour de France 2025 sans contestation, jusqu’à l’ombre de l’ennui. La suprématie, lorsqu’elle ne rencontre plus d’opposition, s’étiole en routine. Sur la dernière étape de cette 112e édition, entre Mantes-la-Ville (Yvelines) et Paris, dimanche 27 juillet, un rival, Wout van Aert (Visma-Lease a Bike), a enfin fissuré ce règne sans partage. Le Slovène aurait pu conclure ces trois semaines de course sur un succès. Il aurait pu devenir le premier maillot jaune depuis Bernard Hinault en 1982, à lever les bras sur les Champs-Elysées.

Mais le Belge de 30 ans s’est imposé en solitaire, après l’avoir distancé dans les plus forts pourcentages de la rue Lepic, sous une pluie battante et sur des pavés glissants. « Il était incroyablement fort, respect pour sa victoire », a reconnu le chef de file de l’équipe UAE Team Emirates-XRG, finalement quatrième à 19 secondes du vainqueur du jour.

Et l’on a compris ce dimanche que le champion ne s’accomplit qu’au contact d’une menace. Il a suffi d’une journée sans réel enjeu, où les temps au classement général ont été figés à 50,3 kilomètres de l’arrivée en raison de la pluie, pour que surgisse enfin un semblant de combat après une semaine où Tadej Pogacar semblait avoir perdu son appétit pour la victoire.

Pour remporter sa quatrième Grande Boucle et égaler le Britannique Christopher Froome, il a d’abord dû livrer un duel âpre et palpitant face à Mathieu Van der Poel (Alpecin-Deceuninck). Un rival inattendu, habitué à croiser son chemin sur les monuments – les courses cyclistes d’un jour les plus prestigieuses – plutôt que sur les routes de l’Hexagone, au mois de juillet. Le Néerlandais, vainqueur de la deuxième étape à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), devant Pogacar, avait été battu deux jours plus tard, à Rouen, par le champion du monde, qui s’était alors offert un centième succès en carrière, à seulement 26 ans.

« C’est toujours mieux de se battre à deux »

« Nous nous sommes battus dès les premières étapes », savourait Pogacar, bourreau du coureur de 30 ans sur le Tour des Flandres, en avril. « Ce sont les deux meilleurs coureurs du monde, j’ai beaucoup de respect pour Mathieu Van der Poel. C’est toujours mieux de se battre à deux que tout seul », reconnaissait, auprès du Monde, Mauro Gianetti, manager de la formation UAE Team Emirates-XRG, au soir de la quatrième étape.

Il a fallu attendre le septième jour de course et Mûr-de-Bretagne (Côtes-d’Armor) pour voir Tadej Pogacar enfin confronté à son adversaire désigné pour le sacre final, Jonas Vingegaard (Visma-Lease a Bike), double lauréat du Tour de France (2022 et 2023), son dauphin sur les éditions 2021 et 2024. Implacable dans les étapes pyrénéennes, le « petit cannibale » slovène a écrasé le Danois et transformé l’épreuve en démonstration, jusqu’à ne plus laisser subsister que la question de l’écart au classement général. « La deuxième semaine a été décisive. J’avais une petite marge avant d’aborder les derniers jours de course », a expliqué, rétrospectivement Pogacar, fort de quatre succès d’étapes au cours de ce Tour, après le contre-la-montre de Peyragudes (Hautes-Pyrénées).

Avec plus de quatre minutes d’avance sur son rival, tout laissait croire que le Slovène, « insatiable » selon Ralf Genk, directeur sportif de la Red Bull Bora-Hansgrohe, poursuivrait sa razzia en troisième semaine. Mais dans les étapes alpines, à la surprise générale, il s’est mué en gestionnaire méthodique, se contentant d’accompagner les accélérations de Vingegaard sans jamais porter l’estocade.

Surtout, il laisse filtrer, dans chaque coup de pédale mesuré, dans chaque regard moins ardent, une forme de lassitude. Celle d’un champion qui semble fatigué non de l’effort, mais de l’absence d’un vrai danger. « Je me demande pourquoi je suis encore ici. C’est si long, livrait-il, au sommet du col de la Loze (Savoie), après la dix-huitième étape. Vous comptez les kilomètres jusqu’à Paris et oui, j’ai hâte que ce soit fini pour pouvoir faire d’autres choses sympas dans ma vie aussi. »

« Je veux juste vivre de nouvelles expériences »

Interrogé sur ce manque d’envie, Mauro Gianetti assurait, le lendemain, à La Plagne (Savoie), que son coureur était juste épuisé. Mais de quoi ? De trop dominer ? Selon Andy Schleck, vainqueur du Tour de France en 2010, tout champion a besoin d’adversité pour s’accomplir pleinement. « Il ne faut pas sous-estimer le bonheur d’un coureur. Pogacar retrouve davantage de confrontations sur les classiques avec Van der Poel. A mon époque, si je n’avais pas eu Alberto Contador [lauréat de la Grande Boucle en 2007 et 2009], ma carrière aurait été différente. Le public se souvient surtout des duels. »

Le Slovène, qui n’exclut pas un « burn-out » à cause des entraînements de plus en plus longs et intenses, semble désireux se tourner vers d’autres défis, là où l’incertitude l’exalte. Pendant le Critérium du Dauphiné, au mois de juin, il verbalisait une tendance déjà esquissée : « Je veux juste vivre de nouvelles expériences et ne pas m’ennuyer en faisant toujours la même chose. Les [courses à étapes] sont plus ou moins toujours les mêmes, avec le même résultat, alors que les classiques sont plus intéressantes. »

Depuis deux saisons, Tadej Pogacar règne – presque – sans partage sur le cyclisme mondial. Il a remporté les Tours d’Italie, de France et le titre mondial en 2024, avant de rencontrer une résistance face à Mathieu Van der Poel, au printemps de cette année, sur Milan-San Remo, puis sur Paris-Roubaix.

A l’heure du bilan, ce Tour de France 2025 laisse une impression étrange : celle d’un coureur qui s’ennuie de sa propre supériorité et qui cherche, ailleurs, la densité qui lui manque ici. Peut-être faudra-t-il accepter que le terrain naturel du glouton slovène ne soit désormais plus celui des interminables conquêtes de juillet, aussi prestigieuses soient-elles, mais celui des batailles plus brèves.

[Source: Le Monde]