Des champions de natation moins massifs physiquement qu’il y a dix ans : Léon Marchand, David Popovici ou Pan Zhanle

Aux Mondiaux de Singapour, les meilleurs nageurs ne sont plus aussi imposants qu’auparavant. Cette évolution s’explique par le coût énergétique d’une masse musculaire surdéveloppée.

Juil 31, 2025 - 14:02
Des champions de natation moins massifs physiquement qu’il y a dix ans : Léon Marchand, David Popovici ou Pan Zhanle
Le Roumain David Popovici (au centre), avant la demi-finale du 100 m nage libre des Mondiaux de Singapour, le 30 juillet 2025. JEREMY LEE / REUTERS

Pour tout passionné de natation, simple téléspectateur qui souhaite sa dose de sport en plein été ou modeste journaliste chargé de couvrir la compétition, les Mondiaux de Singapour sont un coup à se questionner sur sa propre hygiène de vie. Pendant huit jours, les athlètes défilent dans le Sports Hub de la cité-Etat, grands, affûtés, épaules larges et muscles imposants congestionnés par l’effort. A y regarder de plus près pourtant, certains corps, plus fluets que par le passé, donnent à voir une évolution récente chez les meilleurs nageurs de la planète.

Léon Marchand et David Popovici, qui s’avancent, pour ce jeudi 31 juillet, en favoris de la finale du 200 m 4 nages pour le premier et de celle du 100 m nage libre – l’épreuve reine – pour le second, incarnent cette nouvelle vague. Le Français (1,87 m pour 77  kg), le Roumain (1,90 m pour 80 kg) ou encore le Chinois Pan Zhanle (1,90 m pour 80 kg), qui se sont tous parés d’or lors des Jeux olympiques de Paris, ont des profils qui contrastent avec ceux de leurs prédécesseurs, les Américains Michael Phelps (1,93 m, 90 kg) et Caeleb Dressel (1,91 m, 88 kg) ou le Français Alain Bernard (1,96 m, 95 kg) entre autres.

Jusqu’à il y a peu, le microcosme de la natation professionnelle était obnubilé par une prise de masse musculaire importante. Une culture notamment appliquée en France aux Cercle des nageurs de Marseille, le club de Florent Manaudou. Le Français, qui a décidé de faire une pause après les JO et n’est donc pas du voyage à Singapour, est l’archétype de cet ancien idéal (1,99 m, 100 kg). Or le gotha actuel de la natation sur les courses d’une distance de 50 m, 100 m et 200 m rend facilement une dizaine de kilogrammes aux champions du passé.

Savant équilibre à trouver

« Je crois qu’il n’y a plus besoin d’avoir un physique atypique pour nager vite (…), assurait ainsi Léon Marchand à L’Equipe lors des Jeux de Paris. Au contraire, quand tu es fin, tu as moins de résistance dans l’eau, tu développes une technique propre à ton corps. »

Une étude de 2019, publiée dans la revue scientifique BMJ Open Sport & Exercise Medicine, conclut que les sprinteurs sont plus performants s’ils sont grands et dotés d’une importante masse musculaire. « Mais ça, c’est à l’échelle mondiale. Au niveau des tout meilleurs, ils sont plus fins, moins musclés », précise Robin Pla, coauteur de cette publication et responsable scientifique à la Fédération française de natation (FFN).

D’autant que ladite étude estime que, à partir de 50 mètres, une masse musculaire trop développée peut desservir le nageur. « Une fois passé ce cap, le plus important, c’est le système aérobie, la capacité à finir une course. Pour la propulsion, les muscles sont un avantage. Mais après, ils créent des résistances, donc des coûts énergétiques, qui augmentent au carré », détaille Robin Pla.

En contrôlant leur masse musculaire, les nageurs s’épargnent ainsi des dépenses trop importantes en course. La technique de nage devient alors essentielle. « Ce qui compte, ce n’est pas la force que l’on peut générer, mais la façon dont on peut la mettre au service de la vitesse que l’on développe, expliquait Adrian Radulescu, l’entraîneur de David Popovici, en 2022. Donc oui, il est très mince, mais il a suffisamment de force pour nager à des vitesses plus élevées. »

« Je n’ai pas envie d’être plus costaud »

Les nageurs, aussi précis qu’ils puissent l’être au niveau technique, doivent cependant se développer pour produire assez de force, avec pour objectif de trouver le juste équilibre entre la propulsion et la résistance que créent les muscles. Une stabilité bousculée à la puberté chez de nombreuses jeunes nageuses, selon Robin Pla : « Avec les hormones, les filles prennent quelques kilos et ne comprennent pas ce qui se passe. C’est le rapport poids-puissance qui devient mauvais. »

Cet équilibre sera essentiel à l’avenir pour Léon Marchand, qui s’est lancé pour défi de disputer aux Jeux de Los Angeles 2028 les courses du 200 m et 400 m nage libre. « Léon a un très bon ratio propulsion-résistance. Mais il manque un peu de puissance propulsive, il fait peu de séances en musculation et sur le développement de la force. Pour le 200 m en crawl, il aurait besoin d’en faire un peu plus. Mais s’il veut rester en même temps sur 200 m papillon et 400 m 4 nages, il devra être vigilant à sa prise de muscles, parce que ça pourrait lui coûter beaucoup plus en termes d’énergie », estime Robin Pla.

Avec un corps qui se développe de manière naturelle généralement jusqu’à 25 ans, voire 30 ans, Léon Marchand (23 ans), Pan Zhanle (20 ans) et David Popovici (20 ans) analyseront certainement l’évolution de leur masse musculaire dans les prochaines années. Plutôt fin à ses débuts et spécialiste des courses de 100 et 200 m, l’Australien Cameron McEvoy (31 ans) a par la suite pris une vingtaine de kilos de muscle et fait le choix de descendre sur 50 m, dont il est champion olympique en titre.

Au-delà de toutes ces considérations liées à la performance, l’autre évolution réside dans la mentalité des nageurs de premier plan, qui acceptent ce physique moins imposant. « Aujourd’hui, je me kiffe. (…) Je suis en paix avec moi et avec mon corps. Je n’ai pas envie d’être plus grand ou plus costaud », confiait Léon Marchand à Paris Match en 2022. Un constat partagé par David Popovici, qui s’était lui-même attribué un surnom après avoir battu le record du monde du 100 m, en août 2022 : « Skinny Legend » (« La Légende maigre »).

[Source: Le Monde]