Nouvelle-Calédonie : l’accord « historique » sur l’avenir de l’archipel au bord du naufrage
Le principal parti indépendantiste a rejeté l’accord signé le 12 juillet à Bougival, en banlieue parisienne, plongeant à nouveau l’archipel dans l’incertitude. Les partisans du texte placent un maigre espoir dans le congrès du FLNKS prévu le 9 août et qui aura le dernier mot.

« Bougival, c’est fini. » La sentence de l’Union calédonienne (UC), la principale composante du Front de libération national kanak et socialiste (FNLKS), sur le projet d’accord signé le 12 juillet dans la commune des Yvelines, a été officialisée jeudi 31 juillet en conférence de presse par Mickaël Forrest, l’un des membres de la délégation qui a participé aux discussions.
La décision prise samedi 26 juillet par le comité directeur du mouvement n’est pas une surprise. Dès le retour de la délégation indépendantiste sur le territoire, les premiers doutes avaient surgi, alimentés par la levée de boucliers des militants, exprimée notamment sur les réseaux sociaux.
L’opposition au texte du président du FLNKS, Christian Tein, également membre de l’UC, a eu tôt fait d’être éventée, avant d’être confirmée officiellement par l’intéressé mardi 29 juillet, lors de sa visite en Corse à l’invitation parti indépendantiste corse Nazione.
Pour l’UC, l’accord de Bougival ne respecte pas les fondamentaux du combat indépendantiste : « Bien que des éléments d’une nation souveraine soient évoqués comme la dénomination d’un “Etat”, une nationalité, une loi fondamentale avec la capacité d’auto-organisation, une reconnaissance internationale, ce document est ressenti comme un projet d’accord d’intégration à la France présenté sous l’apparence d’une décolonisation », estime le plus vieux parti néo-calédonien. « Nous, ce qui nous importe, c’est le droit à l’autodétermination, pas d’obtenir une nationalité de papier, si ce droit est renvoyé dans les mains du congrès à une majorité plus que qualifiée », explique le député Emmanuel Tjibaou.
Or, cette concession avait permis d’emporter l’adhésion des non-indépendantistes à l’accord de Bougival, après l’échec des discussions sur le sol néo-calédonien, début mai : entre les deux rounds de négociations, la perspective d’un nouveau référendum d’autodétermination a disparu au profit d’un transfert des compétences régaliennes pouvant être décidé, au cas par cas, par une majorité de 36 des 56 membres du congrès, soit trois voix de plus que la majorité des 3/5e. Inatteignable pour les indépendantistes, au vu des équilibres politiques actuels.
Un simple « engagement »
Malgré ces doutes, la délégation du FLNKS était pourtant présente sur la photo de famille des signataires prise au petit matin du 12 juillet, après un marathon de dix jours de discussions. Mais le diable se niche toujours dans les détails. « Nous avons signé un engagement à défendre le texte, mais on n’a pas paraphé l’accord. Cet engagement, nous l’avons tenu en revenant vers notre base, mais au final, c’est elle qui décide, comme nous le faisons toujours », précise Emmanuel Tjibaou, qui conduisait la délégation.
Les signatures des participants précèdent en effet le projet d’accord, sous la mention « engagement à défendre le texte en l’état », au lieu de se trouver au bas du document, comme le voudrait son approbation. Mais alors que le président de la République a aussitôt vanté « un accord historique » au point d’organiser une réception à l’Elysée, pourquoi ne pas avoir mis les choses au clair ? « On n’est peut-être pas très bons en communication », justifie Emmanuel Tjibaou.
Que l’Etat ait un peu tordu le bras de la délégation ou que l’Union calédonienne, dont les revirements sont fréquents, ait une nouvelle fois cédé à ses vieux démons, le résultat est le même : le territoire, où la crise insurrectionnelle de 2024 a fait 14 morts et 2 milliards d’euros de dégâts, est à nouveau plongé dans l’incertitude, faisant immédiatement réagir l’architecte de l’accord.
Dès les premières interrogations soulevées, Manuel Valls a écrit à l’Union calédonienne, avant de s’exprimer dans les médias locaux : « Si demain il n’y avait pas d’accord, ça veut dire que l’avenir, l’espoir seraient remis en cause. Les investissements pour le nickel ne seraient pas possibles. Ce sont derrière des milliers d’emplois qui seraient mis en cause, expliquait ainsi le ministre des outre-mers sur la chaîne Nouvelle-Calédonie la 1ère. On joue là l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Et puis demain, s’il n’y a pas Bougival, par quoi on le remplace ? Quelles sont les possibilités d’un nouvel accord, d’un nouveau compromis ? Ça sera très difficile, ça fait des mois que nous discutons. »
Pour éviter de voir l’accord totalement jeté aux oubliettes, Manuel Valls a donc proposé la mise en place d’un comité de suivi, qui devrait se réunir à la mi-août. « Il s’agira de lever toute ambiguïté et de clarifier l’esprit de l’accord, qui appelle naturellement à des compléments et à des précisions », écrit Manuel Valls, laissant la porte ouverte à des ajustements. Localement, l’annonce de l’UC a jeté un froid. L’Union nationale pour l’indépendance, l’autre mouvement indépendantiste, se dit « inquiète », tandis que Calédonie ensemble demande à l’UC « des efforts pour un pays qui risque de crever si on ne trouve pas un accord ».
Individuellement, une partie des membres de l’Union calédonienne est en faveur d’un amendement du texte. Mais les « nationalistes », ces groupuscules et syndicats intégrés au FLNKS en août 2024, sont majoritairement en faveur d’un rejet en bloc du texte. Radicale mais également imprévisible, la Cellule de coordination des actions de terrain, dont le rôle a été déterminant dans la mobilisation qui a dégénéré en émeutes en 2024, doit se réunir le premier week-end d’août pour statuer sur le texte. Sa position sera décisive avant le congrès extraordinaire du FLNKS, qui devait initialement se tenir le 2 août, mais se réunira le 9 août pour prendre la décision finale.
[Source: Le Monde]