Pollution aux plastiques : l’appel de la communauté scientifique à combattre un « danger grave et croissant pour la santé »

Plusieurs institutions académiques lancent une initiative avec la revue « The Lancet » pour suivre, chaque année, les effets de la pollution plastique sur la santé.

Août 4, 2025 - 06:41
Pollution aux plastiques : l’appel de la communauté scientifique à combattre un « danger grave et croissant pour la santé »
Des déchets de plastique en combustion, près de Phnom Penh, la capitale du Cambodge, le 30 janvier 2025. TANG CHHIN SOTHY/AFP

La pollution aux matières plastiques n’est pas seulement une menace pour l’environnement ou le climat, c’est également « un danger grave et croissant pour la santé humaine et planétaire ». A la veille de l’ouverture à Genève, le 5 août, d’une dernière session de négociations de la dernière chance pour aboutir à un premier traité mondial contre la pollution aux plastiques – qui se heurte à l’opposition des pays producteurs de pétrole et de gaz –, la communauté scientifique tire la sonnette d’alarme sur un péril qu’elle considère largement « sous-estimé » et qu’elle souhaite désormais « placer au centre des débats ».

Une trentaine de chercheurs des plus grandes institutions académiques publient, lundi 4 août, dans la revue The Lancet un rapport qui compile les données les plus récentes sur les multiples impacts sanitaires des plastiques. Sur le modèle de ce qui existe pour le climat, ils lancent le « Lancet Countdown on Health and Plastics », une boussole mondiale qui permettra de documenter dans la durée leurs effets sur la santé et de suivre les éventuels progrès réalisés pour les atténuer.

Le rapport rappelle que les plastiques, à chaque étape de leur cycle de vie (production, usage, recyclage, élimination), sont à l’origine de maladies et de décès par dizaines de milliers qui frappent d’abord les populations les plus précaires, et que les pertes économiques liées à ces pathologies sont estimées à plus de 1 500 milliards de dollars (1 294 milliards d’euros) par an.

Au moins 35 000 décès prématurés par an

Les chercheurs préviennent que ces coûts vont s’aggraver si la production de plastiques reste incontrôlée : au rythme actuel, elle devrait tripler par rapport au niveau de 2019 (avant le Covid-19) pour atteindre 1,2 milliard de tonnes par an à l’horizon 2060. Moins de 10 % sont recyclés au niveau mondial, si bien qu’on évalue aujourd’hui à 8 milliards de tonnes les déchets de plastiques qui polluent la planète, des fosses océaniques au sommet de l’Everest.

Les premières victimes sont les ouvriers qui travaillent sur les sites de production de polymères avec une estimation « prudente » d’au moins 35 000 décès prématurés par an en raison de leur exposition à toute une série de substances chimiques toxiques comme le benzène, le formaldéhyde, le chlorure de vinyle, le dioxyde de soufre ou encore les oxydes d’azote. Les populations vivant à proximité des installations industrielles sont aussi à risque. Selon un rapport de Greenpeace publié le 22 juillet, environ 16 millions de personnes vivent à moins de 5 km d’une plateforme chimique productrice de plastiques. Les seules émissions de particules fines de l’industrie seraient responsables d’au moins 158 000 décès prématurés chaque année, dont près de 75 % en Chine, le premier producteur de plastiques, et en Asie. Les communautés qui vivent autour des décharges à ciel ouvert sont également particulièrement exposées : on estime que 57 % des déchets de plastiques sont encore brûlés à l’air libre.

Les plastiques représentent aussi un danger pour les consommateurs. D’abord parce qu’ils sont constitués de plus de 16 000 substances chimiques. Pour les deux tiers, les données toxicologiques font défaut. Pour les autres, environ les trois quarts, soit plus de 4 200, sont considérés comme « hautement dangereux » parmi lesquels 1 500 cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. PFAS, bisphénols, phtalates, PCB, retardateurs de flamme… tous ces polluants imprègnent l’ensemble de la population, y compris in utero. Leur exposition est associée à une cohorte de pathologies : cancers, infarctus, obésité, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, hypertension, infertilité, naissances précoces, diminution des capacités cognitives : « l’ampleur réelle des effets néfastes de ces produits chimiques sur la santé est sous-estimée », commentent les auteurs.

Autre sujet de préoccupation émergent, les micro- et nanoplastiques. Chaque semaine, une nouvelle étude renseigne un peu plus notre contamination : urine, sang, lait maternel, placenta, cerveau, testicules… Le rapport appelle à multiplier les recherches pour mesurer l’étendue des effets délétères.

Quatre indicateurs des effets sur la santé

Des études récentes ont révélé une autre dimension insoupçonnée : les microparticules de plastiques peuvent servir d’habitat à toutes sortes de bactéries pathogènes. Cette « plastisphère » participe à l’expansion de l’antibiorésistance dans l’environnement, alertent les scientifiques. Avec le « Lancet Countdown », soutenu par un consortium regroupant le Boston College, l’université de Heidelberg, le Centre scientifique de Monaco et la Minderoo Foundation, ils entendent désormais suivre l’évolution de la « crise des plastiques » et de ces conséquences sur la santé à partir de quatre indicateurs principaux.

Le premier de ces indicateurs concerne les émissions de polluants liées à la production. Les chercheurs ambitionnent de mesurer la production de plastiques et de déchets générés par pays mais aussi le volume de produits chimiques intégrés, de gaz à effets de serre rejetés et de polluants (air, sol, eau) à chaque étape : fabrication, recyclage, enfouissement ou incinération.

Le deuxième indicateur concerne les expositions environnementales et humaines. Les chercheurs envisagent de multiplier les campagnes de mesure de microplastiques ou de substances chimiques dans l’environnement (océan, glaciers, sols, cultures, bétail), dans les produits de grande consommation (eau, nourriture, emballages alimentaires, produits d’hygiène) et dans les organismes (sang, urines…). Le troisième indicateur consiste à surveiller tous les effets sur la santé induits par l’exposition aux plastiques tout au long de leur cycle de vie, ainsi que leur coût économique. Le dernier indicateur ambitionne de rendre compte des engagements et des mesures prises par les Etats (mais aussi par le secteur privé ou les organisations non gouvernementales) pour réduire la production de plastiques et leurs effets sur la santé.

Ce nouveau système de suivi indépendant s’inspire du « Lancet Countdown », qui, depuis dix ans et l’accord de Paris, documente les effets du changement climatique sur la santé avec ses rapports annuels rédigés par une centaine d’experts d’une cinquantaine d’institutions académiques. « Le “Lancet Countdown” a joué un rôle-clé dans la décision d’intégrer la santé humaine dans les négociations annuelles sur le climat à partir de la COP 28, commente Philip J. Landrigan (Boston College), auteur principal de l’étude et coprésident du nouveau Lancet Countdown. Notre objectif est de placer la santé au centre des discussions sur la crise des plastiques, qui a longtemps été éclipsée par la crise climatique, deux crises majeures pourtant étroitement liées, l’une et l’autre découlant d’une mauvaise utilisation des énergies fossiles. »

[Source: Le Monde]