Stériliser les chats errants, une bataille déséquilibrée : « On voit bien que l’ampleur de la tâche est énorme »

Alors que la période estivale marque un pic de reproduction chez les chats, les associations multiplient les campagnes de capture et de stérilisation. Mais, face à une population d’animaux errants estimée jusqu’à onze millions d’individus, les moyens manquent.

Juil 13, 2025 - 10:51
Stériliser les chats errants, une bataille déséquilibrée : « On voit bien que l’ampleur de la tâche est énorme »
Chats errants capturés et stérilisés, par l’association l’Ecole du chat libre de Bordeaux, à Lormont (Gironde), le 16 février 2021. INSTAGRAM@ECOLE_DU_CHAT_LIBRE_BORDEAUX

Lunettes de soleil relevées sur la tête, chemisier ample et jean bootcut, Annika Lähdeniemi, présidente de l’association d’aide aux animaux L’Ecole du chat de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), s’affaire autour du coffre de sa voiture. Elle en sort deux trappes métalliques et un sachet de croquettes. Sur un terrain vague envahi d’herbes folles, une mission délicate l’attend : capturer et stériliser une vingtaine de chats errants signalés par des particuliers, selon la méthode TNR (Trap-Neuter-Return, pour « piéger, stériliser, relâcher »).

« On nous a appelés un peu tard, regrette-t-elle. Les chats ont déjà formé une colonie. » Quatre bénévoles de l’association la rejoignent. Avant de pénétrer dans la friche, elle rappelle les consignes : « On ne pourra pas tous les attraper. Il faut se concentrer sur les femelles gestantes et leurs petits », d’autant plus que l’été est une période d’accouplement propice à la prolifération.

Longtemps laissée à la seule initiative des municipalités, la gestion des populations de chats errants a pris un tour nouveau avec la loi du 30 novembre 2021, visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes. Le texte instaure un cadre expérimental, pour une durée de cinq ans, dans le but de structurer et encourager, à l’échelle nationale, les campagnes de stérilisation et d’identification des animaux errants. Ce dispositif repose sur des conventions entre l’Etat, les collectivités territoriales volontaires et les associations de protection animale. Mais sur le terrain, les associations sont souvent seules à tenter d’endiguer le phénomène. « On est tous des bénévoles, on essaie d’agir, de colmater un peu, mais on voit bien que l’ampleur de la tâche est énorme », concède Annika Lähdeniemi.

Risques sanitaires

Une chatte non stérilisée peut avoir plusieurs portées chaque année. En l’espace de sept ans, la descendance d’un seul couple peut atteindre plusieurs milliers d’individus, jusqu’à 10 000 environ, selon un rapport d’étude de l’association One Voice. En l’absence d’interventions régulières, ces naissances viennent grossir les rangs des chats errants, dont la population est aujourd’hui estimée à plus de onze millions à travers la France – un chiffre proche des 14,9 millions de chats domestiques recensés en 2021. Une estimation approximative, en l’absence d’étude nationale exhaustive puisque même le rapport gouvernemental publié en février, censé dresser un état des lieux chiffré de la situation, ne parvient pas à livrer de données précises.

Cette prolifération peut avoir plusieurs conséquences : les chats sont des prédateurs très efficaces sur la faune locale, notamment les oiseaux. Leur présence peut également être source de tensions entre félins, mais aussi de nuisances pour les habitants (bruits, odeurs, dégradations de poubelles). A cela s’ajoutent des risques sanitaires (zoonoses), des troubles à l’ordre public liés au nourrissage, et une grande vulnérabilité pour les animaux eux-mêmes, souvent exposés aux maladies, aux accidents ou aux actes de maltraitance.

Annika Lähdeniemi, forte de cinq ans d’expérience dans l’association, repère une femelle tigrée. Elle installe une cage-trappe et dépose à l’intérieur une boîte de thon : l’odeur est censée attirer l’animal, qui y entrera de lui-même. L’attente commence. La chatte hésite, s’approche, puis recule. Finalement, Aurélie, une autre bénévole, qui n’a pas souhaité donner son nom de famille, intervient. En quelques secondes, elle saisit l’animal et le place dans un module qu’elle referme. L’action est si rapide que le chat n’a même pas le temps de comprendre. « Parfois, on n’a pas le choix, avoue-t-elle. Il faut procéder de cette manière sinon on perd trop de temps. »

Trois chatons restent encore à attraper. Craintifs, ils refusent de se laisser approcher. Tapie sous un buisson, Diana Fernandes, jeune bénévole, guette, prête à tirer sur la ficelle qui retient la porte de la trappe. « Il faut attendre que le chaton entre totalement dans la cage pour tirer », explique-t-elle. Après plus d’une heure, deux d’entre eux sont finalement capturés. Le troisième s’échappe. En trois heures, l’équipe est parvenue à capturer cinq femelles et deux chatons. Un travail exigeant, rendu plus difficile encore par le manque de moyens.

« On a eu un déficit de 50 000 euros »

L’association est financée par des dons privés et subventionnée par la mairie de Clichy à hauteur de quelques milliers d’euros par mois, avec la mise à disposition d’un local. « Cette année, on a eu un déficit de 50 000 euros », fait savoir Annika Lähdeniemi. Alors que les dons diminuent, les frais vétérinaires augmentent. Stériliser un chat coûte aujourd’hui entre 60 euros et 130 euros, selon qu’il s’agit d’un mâle ou d’une femelle.

Des associations nationales comme la Société protectrice des animaux, la Fondation Brigitte-Bardot ou la Fondation 30 millions d’amis peuvent apporter un soutien financier. Depuis 2012, cette dernière affirme avoir financé la stérilisation de 200 000 chats à hauteur de 12,5 millions d’euros, en partenariat avec quelque 3 400 communes. Mais ce modèle atteint ses limites. « Nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes, alerte Reha Hutin, présidente de la Fondation 30 millions d’amis. Il est urgent que le gouvernement prenne ses responsabilités et s’engage davantage. »

En 2024, l’Etat a voté la mise en place d’une enveloppe de 3 millions d’euros pour aider les collectivités à faire face à la prolifération des félins errants. « C’est une aide qui n’a été débloquée qu’une seule fois et qui n’a pas été renouvelée, alors qu’il faudrait un soutien constant et un suivi rigoureux pour que cela soit efficace », poursuit Reha Hutin.

La fondation milite pour une stérilisation obligatoire de tous les chats, domestiques et errants, comme c’est déjà le cas en Belgique. Un point sur lequel s’accorde une grande partie des associations de protection animale. « Les particuliers n’ont pas vraiment conscience de ce que représente l’errance féline. De nombreuses personnes continuent de ne pas faire stériliser leur chat, et donc chaque année, des chatons viennent alimenter les populations de chats errants déjà présentes. C’est un cycle sans fin », explique Mathilde Perrot, de l’association One Voice.

A Clichy-la-Garenne, alors que l’équipe de bénévoles place les cages contenant les chats capturés dans les voitures, la fatigue se fait sentir. Prochaine étape : les amener chez un vétérinaire partenaire pour leur stérilisation. Avant de partir, Annika Lähdeniemi regrette de ne pas avoir pu attraper davantage d’individus. « On reviendra pour le dernier chaton », lance-t-elle, déterminée.

[Source: Le Monde]