Elhousine Elazzaoui, l’enfant du désert marocain devenu prince du trail mondial en Suisse

Elevé dans les dunes du sud du Maroc et établi en Suisse depuis 2016, le traileur de 33 ans, sacré champion des Golden Trail World Series en 2024, dispute, samedi, la Sierre-Zinal, doyenne des courses de montagne.

Août 9, 2025 - 18:01
Elhousine Elazzaoui, l’enfant du désert marocain devenu prince du trail mondial en Suisse
Le traileur marocain Elhousine Elazzaoui, le 10 janvier 2024, au Maroc. NNORMAL

Les montagnes suisses s’apprêtent à vibrer, samedi 9 août. Les sentiers pierreux s’ouvriront sous les pas d’Elhousine Elazzaoui et des autres concurrents de la Sierre-Zinal, doyenne des courses en montagne surnommée « la course des cinq 4 000 », en référence à l’altitude des sommets qui l’entourent – le Weisshorn (4 506 mètres), le Zinalrothorn (4 221 mètres), l’Ober Gabelhorn (4 063 mètres), le Cervin (4 478 mètres) et la Dent Blanche (4 357 mètres). Au total, 31 kilomètres suspendus entre ciel et vallées, avec plus de 2 200 mètres de dénivelé positif : une chevauchée entre glaciers et forêts alpines.

Le traileur marocain débarque en leader à cette dernière manche des Golden Trail World Series, avant les finales, prévues en Italie du 9 au 12 octobre. Ce circuit mondial de trail, en concurrence notamment avec le groupe UTMB, rassemble certaines des plus prestigieuses épreuves de la discipline, sur des distances allant de 22 à 42 kilomètres, pour permettre aux meilleurs de s’affronter plus souvent. Elhousine Elazzaoui, 33 ans, a remporté trois des six courses de la saison et s’avance en favori pour conserver son titre mondial, acquis en 2024.

« Je dis souvent que je suis né avec le sable dans les yeux », sourit l’intéressé, qui, de la Suisse – où il s’est établi en 2016 –, a répondu en visioconférence aux questions du Monde au début de juillet, alors qu’il venait à peine de rentrer d’une tournée américaine couronnée par deux victoires successives, à Broken Arrow (Etats-Unis), puis au Tepec Trail (Mexique).

L’enfant de Zagora, dans le sud du Maroc, a grandi loin des routes asphaltées et des stades. Sa famille berbère, issue d’une lignée de nomades, vit au rythme des caravanes et des troupeaux. « Cette existence nomade m’a donné une vraie chance, raconte-t-il. On changeait tout le temps d’endroit. On bougeait beaucoup. On était toujours actifs. C’est dans ce cadre que j’ai commencé à courir. » Pas de piste d’athlétisme : son premier terrain d’entraînement a été le désert, avec ses dunes et son vent. Il traversait les plateaux brûlants pour aller chercher l’eau. « C’était une vie dure, mais qui m’a beaucoup appris. »

Bien avant de tutoyer les cimes des Alpes et du trail, Elhousine Elazzaoui a disputé sa première course à l’âge de 14 ans, dans sa ville natale. Il s’élance pieds nus… et gagne. Peu à peu, il ressent l’appel de la course. Chaque matin, il s’éclipse à l’aube pour aller s’entraîner, avant de guider les touristes de l’agence familiale. En 2016, un voyageur suisse le remarque et l’invite en Europe. « Cette personne m’a beaucoup soutenu, explique-t-il. J’ai dû partir loin de chez moi et venir m’installer en Suisse pour continuer à faire ce que j’aime : courir. »

Dans les pas de Kilian Jornet

Et il le fait bien. Depuis 2018, il enchaîne les podiums et les succès, jusqu’à la consécration, en 2024 : le titre au classement général des Golden Trail World Series et un triomphe sur le prestigieux marathon du Mont-Blanc (42 km, 2 500 m de dénivelé positif). Des épreuves où la technicité des sentiers – pierriers instables, passages aériens, dénivelés violents – exige autant d’audace que d’endurance.

Le traileur marocain ne s’astreint pas à un plan d’entraînement rigide pour accomplir de bonnes performances. « Beaucoup disent que je suis un peu différent, reconnaît-il, insistant sur l’écoute. Chaque jour, je me demande comment je me sens. Si je suis fatigué, je préfère marcher ou randonner en montagne plutôt que forcer. Et, parfois, je dors sous la tente pour couper la routine. » Son coach s’adapte à ce menu fluctuant.

Le traileur marocain Elhousine Elazzaoui, le 10 janvier 2024, au Maroc.

« Elhousine est un diamant brut, estime Kilian Jornet, figure tutélaire du trail et de la montagne, qui a notamment remporté Sierre-Zinal à dix reprises. Même avant d’optimiser son entraînement, il obtenait déjà des résultats impressionnants. » Avant que le Catalan devienne l’un des modèles du Marocain, ce dernier a lu son livre Courir ou mourir : journal d’un sky-runner (Outdoor, 2011). « Il m’a énormément inspiré pour m’entraîner et progresser », se souvient l’enfant du désert. Après leur rencontre, lors d’une course, le quadruple vainqueur de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) le conseille, avant de l’intégrer dans l’équipe de NNormal, la marque qu’il a créée, en 2023.

« Inspirer beaucoup de monde »

« Un ami m’avait conseillé de tester leurs chaussures, relate le Marocain. Je les ai essayées lors d’une course [la DoloMyths Run, en Italie, en 2023] et j’ai gagné. » Depuis, l’équipe est devenue « une famille » pour l’athlète déraciné. « Quand tu discutes avec lui, tu vois tout de suite son cœur. Ça se ressent dans sa façon de courir et dans sa vie », explique Kilian Jornet à propos de son ami.

Au-delà des podiums, Elhousine Elazzaoui aspire à ouvrir la voie à ses compatriotes dans le trail. « Mon but est d’inspirer beaucoup de monde au Maroc », déclare-t-il, heureux d’avoir pu, cette année, « aider quatre Marocains à venir courir à Sierre-Zinal », avec l’aide de l’ambassade de son pays en Suisse. Il rêve d’organiser une grande course dans le désert, pour révéler les talents de sa communauté nomade. « Il y a beaucoup de coureurs incroyables au Maroc dont personne n’entend parler. Je veux leur donner une chance. »

S’il se concentre pour l’heure sur des « formats courts et [du] marathon », l’athlète marocain envisage de se lancer à plus long terme dans l’ultra-trail, ces courses de 100 à 180 km. « Pas encore, mais j’aimerais disputer un jour les plus grandes courses du monde », assure-t-il. Et marcher sur les traces de son modèle, Kilian Jornet, membre du cercle très fermé à avoir remporté les quatre « Majeurs » de l’ultra-trail (UTMB, Hardrock 100 et Western States aux Etats-Unis et Grand Raid de La Réunion).

Samedi, dans les lacets alpins de Sierre-Zinal, Elhousine Elazzaoui portera en lui un bout de désert. Sur ces sentiers étroits, où chaque virage ouvre une vue sur le Cervin, le Weisshorn ou la Dent Blanche, il s’élancera sans se retourner. « Je cours comme je le sens, sans trop regarder ce que font les autres. Et souvent, pendant la course, je pense à mon enfance, à d’où je viens. Ça me donne de la force. » Comme un fil invisible reliant le sable de Zagora aux sommets helvétiques.

[Source: Le Monde]