Cameroun, Côte d'Ivoire... Le pape Léon XIV face aux revendications des églises locales pour plus de transparence politique

Les Camerounais et les Ivoiriens doivent élire leur président respectivement les 12 et 25 octobre. Les Églises catholiques locales militent pour plus de démocratie. En 2018, le pape François avait clairement soutenu le combat de l'épiscopat congolais pour une élection présidentielle inclusive. Qu'en est-il pour Léon XIV? "Il revient à une forme de diplomatie plus traditionnelle", explique François Mabille, universitaire spécialiste de la diplomatie vaticane.

Oct 8, 2025 - 07:38
Cameroun, Côte d'Ivoire... Le pape Léon XIV face aux revendications des églises locales pour plus de transparence politique
Le pape Léon XIV apparait sur le balcon après son élection par le collège cardinal ce 8 mai 2025. (AP Photo/Andrew Medichini, File).

C'est une contestation qui ne faiblit pas au sein de l'Église catholique camerounaise. Trois évêques réclament toujours une élection inclusive et transparente au Cameroun. Le 10 août, Monseigneur Samuel Kleda, archevêque de Douala, première ville du pays, avait fait circuler une lettre pastorale dans son évêché, appelant les Camerounais(es) à ne pas se décourager tout en soulignant qu'il n'était pas acceptable que "le résultat des élections soit connu à l'avance."

L'évêque de Bafoussam, dans l'Ouest du pays, avait demandé qu'on l'emprisonne, lui, et qu'on laisse les citoyens tranquilles. Et l'évêque de Yagoua avait appelé à prier pour "une alternance pacifique et juste"

Pour un scrutin "sans violences"

En Côte d'Ivoire, le ton est moins véhément au sein de l'épiscopat. Mais il n'en demeure pas moins inquiet. Dans une lettre pastorale datée du 28 juillet dernier les évêques avaient demandé que le scrutin soit libre et que toutes les forces politiques puissent se présenter. Peine perdue. Les deux principales figures de l'opposition Tidjiane Thiam et Laurent Gbagbo ont été exclus du scrutin.

Dimanche 29 septembre, les évêques du pays ont demandé à leur fidèles que l'élection présidentielle se déroule "sans violence". Ces prises de positions politiques des églises locales ne surprennent pas François Mabille, spécialiste de la diplomatie vaticane et de l'influence de la Curie dans le monde.

"Depuis les années 1980, sous le pontificat de Jean-Paul II (1979-2005), les épiscopats notamment sur le continent africain prennent la parole et militent pour plus de démocratie et des élections transparentes. Ils prennent en compte les aspirations des populations",constate le chercheur. 

L'influence des Églises est réelle. "Au Cameroun et en Côte d'Ivoire, ces deux Églises sont influentes. Elles ont un rôle important. C'est le cas notamment en Cote d'Ivoire dans le domaine de l'éducation. Et c'est encore plus le cas au Cameroun", poursuit François Mabille.

Pape francois

Le Pape Francois le 5 février 2023  à Juba au Soudan du Sud lors de sa tournée Africaine.  (AP Photo/Ben Curtis)

Effectivement, ce n'est pas une nouveauté. En 2018 en RD Congo, le président sortant Joseph Kabila s'accroche au pouvoir et retarde la tenue d'une nouvelle élection présidentielle dont il serait constitutionnellement exclu. La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) se mobilise et les évêques congolais forcent le clan Kabila à renoncer à une prolongation de son mandat.

Durant cette crise politique le pape François soutient les prélats locaux. Fridolin Ambongo, deux ans plus tard, sera crée cardinal et intégrera le collège cardinalice, ce conseil de 9 cardinaux qui gouverne l’Église au coté du souverain pontife.

Pour l'instant, le pape Léon XIV ne s'est pas exprimé sur les deux élections présidentielles à venir au Cameroun et en Côte d'Ivoire. La prise de parole chez le nouveau souverain pontife semble plus mesurée. C'est ce que constate François Mabille. 

Fridolin Ambongo

Cardinal Fridolin Ambongo, durnat une messe en RD Congo en 2007. AP/archives.

"Le style est très différent. Le pape François est souvent intervenu directement avec des phrases chocs sans trop se soucier de ce que l'on pouvait dire. Il s'est même imposé dans une posture de médiateur en Centrafrique, en RD Congo", décrit le chercheur. 

"C'est surtout un homme de dossier"

"Les thèmes de dignité humaine, de justice sociale, de Paix ont été martelés par le pape durant les deux dernières années de son pontificat et en Afrique notamment en RD Congo ou au Soudan du Sud. Ce sont des thèmes qui parlent aux populations du Cameroun et de la Côte d'Ivoire. Le pape François avait une parole forte compréhensible de tous", estime François Mabille.

"Le pape Léon XIV est lui un homme qui lui est surtout un homme de dossier, un juriste qui cherche à peser le sens de ses mots. On le voit. Il a dénoncé ce qui se passe à Gaza mais il a refusé de parler de 'génocide', tant que cela ne sera pas tranché juridiquement (par le cour de justice de l'ONU)", explique le chercheur. "Il regarde les problèmes au regard du droit international", ajoute François Mabille. Le caractère des deux hommes est également différent. "Le pape Léon XIV est un homme qui n'aime pas les discours, qui n'aime pas prendre la parole, surtout dans le cadre de discours non préparés."

Le nouveau pape selon le chercheur veut une expression plus synodale de l’Église, une expression plus collégiale. "Ce seront plutôt les Églises locales qui s'exprimeront plutôt que la Curie à Rome ou le pape lui-même. Et c'est ce que l'on constate déjà au Cameroun ou en Côte d'Ivoire", précise le chercheur. 

Un changement de style mais pas de doctrine

Est-ce que cela signifie que le Vatican veut rester dans une forte de position neutre? Le ton sera différent selon le chercheur.

"Le pape François était un homme du Sud. Il s'est présenté comme un protestataire notamment contre les pays du Nord et les Occidentaux, mettant en avant les préoccupations des pays du Sud, et notamment ceux de l'Afrique. Le nouveau Pape va revenir à une forme de diplomatie plus traditionnelle avec un Saint-Siège qui va tenter de s'appuyer sur un certain nombre d’États et qui se situera plus rarement dans une attitude de protestation à l'égard des autorités étatiques. Le soutien de Leon XIV à ces Églises locales, qui militent pour plus de transparence démocratique passera par exemple par l'envoi de diplomates du Saint-Siège." 

Le rapport à l'Afrique semble distant. Le pape Léon XIV a donné sa première interview, publiée le 18 septembre dernier, avec la vaticaniste américaine Elise Ann Allen. Il a mentionné ses dix priorités. Mais il n' a pas mentionné une seule fois le continent africain.

Pour autant selon le chercheur François Mabille la doctrine de l’Église n'a pas évolué, celle d'un soutien aux aspirations démocratiques des peuples et des église locales. Cette doctrine est mise par écrit par Benoit XVI dans un mémorandum dans les années 2000.

Le fond de la pensée du Vatican sur la question démocratique n'a pas changé, selon François Mabille. Le pape n'a pas changé les hommes qui gouvernaient la Curie romaine au coté du Pape François. Les deux principaux conseillers du pape François étaient le prélat britannique Paul Richard Gallagher, à la tête du Secrétariat d’État, la diplomatie vaticane, et le cardinal italien Pietro Parolin.

Ces deux hommes sont restés en place. Paul Richard Gallagher connait bien le Cameroun. Il s'y est rendu deux fois, notamment en 2024 pour rendre compte de la situation politique, social et religieuse du pays au pape. Le cardinal congolais Fridolin Ambongo reste toujours un membre influent du collège cardinalice. Ce collège, composé de 9 cardinaux,  constitue de fait le gouvernement de l’Église.

Selon François Mabille, tout dépendra de l'évolution politique au Cameroun et en Côte d'Ivoire. "Si par exemple, la situation politique dégénère après le 12 octobre au Cameroun, le pape interviendra publiquement", confesse le spécialiste du Vatican.

[Source: TV5Monde]