Giorgia Meloni tombe le masque, trois ans après son arrivée au pouvoir en Italie

Nommée en octobre 2022, la présidente du conseil italien a rassuré Bruxelles et les marchés financiers, notamment en réduisant le déficit public. Mais, derrière cette image conciliante, se cache une dirigeante d’extrême droite qui ne cesse de se rapprocher de Donald Trump, allant jusqu’à l’imiter sur la scène intérieure.

Oct 22, 2025 - 10:55
Giorgia Meloni tombe le masque, trois ans après son arrivée au pouvoir en Italie
Giorgia Meloni et Donald Trump, lors du sommet sur Gaza, après l’accord de cessez-le-feu, à Charm El-Cheikh, en Egypte, le 13 octobre 2025. EVAN VUCCI/AP

Contrairement à la majorité de ses prédécesseurs, Giorgia Meloni, arrivée au pouvoir le 22 octobre 2022, a le talent, ou la chance, de durer. Première présidente du conseil de l’histoire, elle est surtout la première de sa famille politique, issue du fascisme, à diriger l’exécutif italien depuis la chute du régime de Mussolini. Dimanche 19 octobre, son gouvernement est arrivé à la troisième place sur la liste des exécutifs les plus durables depuis 1946 et le début de l’ère républicaine.

Outre cette stabilité qui a si longtemps fait défaut à l’Italie, elle a su redonner au pays sa crédibilité, notamment grâce à une baisse du déficit public. Un résultat qui suscite les faveurs des agences de notation et la curiosité teintée d’admiration de la droite de la droite en France.

Durer, projeter une image de sérieux, donc. Mais pour quoi faire ? Les réformes à même de combattre les faiblesses structurelles de l’économie italienne sont inexistantes et la croissance reste faible. Une réforme de la justice devrait faire l’objet d’un référendum en 2026, mais les deux autres grands textes promis à l’électorat de la coalition de droite et d’extrême droite – censés accroître l’autonomie des régions et mener une refonte institutionnelle visant à concentrer les pouvoirs dans les mains du chef de l’exécutif – se sont embourbés. L’impression de stagnation est cependant trompeuse. Car, autour de Giorgia Meloni et de l’Italie, le monde a changé. Et elle aussi.

Militante professionnelle

Elle avait d’abord été une bonne surprise pour l’establishment occidental. A son arrivée au pouvoir, le 22 octobre 2022, on se souvenait de son incarnation précédente : une populiste des années 2010, europhobe et prompte à vanter les mérites d’un Vladimir Poutine campé en garant des valeurs traditionnelles. Présidente du conseil, elle a abandonné ce rôle pour construire celui d’une femme d’Etat en puissance. Alignée sur Kiev dès avant son arrivée au pouvoir, faisant preuve de bonne volonté vis-à-vis de Bruxelles, elle a vite établi les meilleurs rapports avec l’administration démocrate de Joe Biden.

L’Ukraine semblait encore prendre l’ascendant face à l’agresseur russe. On croyait la parenthèse trumpiste refermée. Et la réponse européenne à la crise provoquée par la pandémie avait renforcé la légitimité de l’Union. Cette configuration n’est plus qu’un lointain souvenir, mais Giorgia Meloni a su conserver d’un monde à l’autre sa figure respectée et remarquée dans les sommets internationaux, ne ménageant pas ses efforts sur le front diplomatique et s’insérant parfaitement dans le paysage européen et global.

Pourtant, il existe une autre Giorgia Meloni, de plus en plus visible dans la nouvelle ère Trump : la militante professionnelle immergée depuis l’âge de 15 ans dans une culture politique minoritaire et radicale, une dirigeante de parti, trempée dans une idéologie de droite dure qui multiplie, à une fréquence soutenue, les signes d’allégeance envers une administration américaine en pleine dérive autoritaire. Elle estime que l’Italie s’en trouvera avantagée, alors que Donald Trump et elle s’adressent régulièrement des mots flatteurs par réseaux interposés.

Dimanche, le président américain a publié sur son réseau, Truth Social, une étrange vidéo sous forme de reportage. Elle annonçait la rupture de Giorgia Meloni avec l’Union européenne et l’Ukraine, ainsi que le placement de l’Italie sous protection américaine au nom de la « chrétienté » et de liens datant de « milliers d’années » avec les Etats-Unis, pays dont les deux cent cinquante ans d’existence seront célébrés en 2026. Les questionnements de l’opposition ont conduit des sources proches de la présidence du conseil à démentir dans la presse.

Pourtant, au nom de ses rapports avec Washington, Giorgia Meloni ne rechigne pas à suivre l’exemple de l’administration Trump en matière de propagation de fake news. Samedi, dans un message à la communauté italo-américaine, elle s’est félicitée du prétendu rétablissement du « Jour de Christophe Colomb », victoire qu’aurait remportée Donald Trump contre la « culture woke », hostile à l’explorateur au nom de l’anticolonialisme. Or cette réparation supposée n’a jamais eu lieu.

Internationale réactionnaire européenne

De la même manière, à la suite de l’assassinat, le 10 septembre, du nationaliste chrétien et raciste, icône du monde MAGA (« Make America Great Again »), Charlie Kirk, transformé en martyr par le pouvoir trumpien, elle s’est lancée dans une célébration à outrance de sa mémoire. Se disant fière d’être associée à lui, elle a construit, de meetings en publications sur les réseaux sociaux, un récit apocalyptique annonçant un affrontement existentiel avec une « gauche »vouée à la violence politique.

Dans le monde réel pourtant, la violence vient d’ailleurs, comme l’a montré une inquiétante série d’événements survenue la semaine dernière. Jeudi 16 octobre, Sigfrido Ranucci, journaliste d’investigation, célèbre visage d’un audiovisuel public sous pression du pouvoir et cible régulière d’attaques du camp Meloni, a été visé par un attentat à la bombe. L’attaque, pour laquelle sont suspectées la criminalité organisée ou l’extrême droite, n’a fait aucune victime.

Un chauffeur de car transportant des supporteurs de basket de deuxième division a été tué, le 19 octobre, par le jet d’une brique lancée par un groupe d’ultras soutenant une équipe adverse. Il a été établi que deux d’entre eux avaient des liens avec l’extrême droite. Le même soir, des dizaines d’autres ultras vêtus de noir se réunissaient dans la gare centrale de Milan pour exécuter des saluts fascistes.

Ces incidents surviennent dans un pays endeuillé par la mort de trois carabiniers, tués lors d’une explosion dans un piège tendu par les occupants illégaux d’une ferme (deux frères et leur sœur, âgés de 59 à 65 ans) alors que les forces de l’ordre tentaient de les expulser. Dans ce climat, l’opposition à Giorgia Meloni – que la présidente du conseil est allée jusqu’à assimiler au Hamas – ne constitue pas une alternative aux yeux de l’opinion. La cheffe du gouvernement bénéficie d’un taux d’approbation entre 34 % et 43 %, selon les derniers sondages se basant sur des études effectuées en juillet. Depuis fin septembre, son camp a remporté des élections dans deux régions stratégiques.

Lorsqu’elle est arrivée au pouvoir, il y a trois ans, Giorgia Meloni n’aspirait pas au bruit et à la fureur, contrairement aux populistes d’antan. A la manière de ses alliés de l’internationale réactionnaire européenne, elle entend plutôt transformer les institutions de l’intérieur. Tout en complaisant à un parrain américain qui a déjà lancé, par la voix du vice-président, J. D. Vance, une déclaration de guerre idéologique contre le modèle démocratique européen. C’était en février, à Munich. Giorgia Meloni lui avait déjà exprimé son appui.

[Source: Le Monde]