"Il y a des vrais disparités en Côte d'Ivoire": quel bilan économique pour Alassane Ouattara?
En quelques années, sous la présidence d'Alassane Ouattara, la Côte d'Ivoire est devenue une locomotive de la croissance économique en Afrique de l'Ouest avec des chiffres macroéconomiques dans le vert. Peut-on parler d'un "miracle économique" ivoirien?

"Je suis candidat, parce que je veux que notre chère Côte d'Ivoire continue de demeurer un pays en paix et en sécurité et prospère." Le 29 juillet, Alassane Ouattara annonçait sa candidature pour un quatrième mandat lors de l'élection présidentielle qui se tient ce samedi 25 octobre en Côte d'Ivoire. Un mot revenait dans sa courte allocution, celui d'un pays "prospère".
Et les chiffres plaident en partie pour le président sortant. Depuis plusieurs années, le pays enregistre de forts taux de croissance économique. Entre 2012 et 2024, la richesse du pays a cru de près de 7% en moyenne annuelle. C'est un peu plus de 5% pour le Ghana et moins de 3% pour le Nigeria sur la même période. Sur le continent africain, seuls le Maroc et Maurice ont fait mieux, selon les chiffres de la Banque mondiale.
Un pays transformé en vaste chantier
Le taux de chômage est de moins de 5%. Plus de 70% des foyers ivoiriens ont accès désormais à l'électricité. C'était un peu moins de 50% il y a 10 ans. En 2019, le revenu moyen par habitant était de 2.200 dollars par an. Il atteint presque les 3.000 dollars aujourd'hui.
Le pays est devenu en quelques années un vaste chantier. Les projets se multiplient. Abidjan aura prochainement son métro. Un cinquième pont vient d'être construit. Des stades nouveaux ont été construits pour l'organisation de la CAN en 2024, que les Éléphants ont remporté. Un nouveau terminal pétrolier a vu le jour. Une vaste zone d'exploitation aurifère va voir le jour dans la région de Bouaké...

Le statde olympique Alassane Ouatarra, ici lors de la Coupe d'Afrique des nations 2024, fait partie des nouveaux stades construits dans le pays. AP/ Archives.
Une note du FMI estime que le pays est désormais sur le chemin de "l'émergence". Le pays devrait, selon l'institution internationale, sortir du statut d'un simple pays en voie de développement à celui d'une économique robuste qui voit croître sa classe moyenne.
Comment expliquer un tel succès? "Le moteur de la croissance est double. Il est premièrement porté par la croissance démographique du pays, une croissance d'une population jeune", explique l'économiste Émilie Laffiteau, chercheuse au sein de l'IRIS et spécialiste de l'Afrique de l'Ouest, interrogée par TV5MONDE. "Le deuxième moteur de la croissance est celui de l'investissement public sous les mandats d'Alassane Ouattara dans les services publics et dans les grands projets. La croissance a été également porté par la hausse des prix du cacao qui reste encore un secteur majeur".
L'agriculture ne représente plus que 15% de la richesse du pays mais l'exportation du cacao reste encore une des principales rentrées de devises pour le pays. Le pays est le premier producteur mondial de cacao.
L'investissement public, sous Alassane Ouattara, a toutefois eu un coût. L'endettement du pays a progressé, passant de 20% à près de 60% de la richesse nationale ces 12 dernières années. Mais dans une note récente le FMI jugeait le risque sur la dette ivoirienne "modéré".
Ancien économiste au sein du FMI, bon connaisseur des marchés financiers Alassane Ouattara s'est montré habile pour trouver les sources de financement. "Abidjan a fait preuve d'innovation dans le financement: recours accru aux eurobonds, émission obligataire en yen (Samouraï bond) et même une première émission en francs CFA sur les marchés internationaux, témoignant d’une gestion active et diversifiée de la dette", explique l'économiste Émilie Laffiteau.
L'économie s'est diversifiée également avec la découverte par ENI, la compagnie pétrolière italienne, d'un gigantesque gisement de brut à quelque 70 kilomètres au large d'Abidjan, le gisement Baleine devrait produire quotidiennement entre 75.000 et 85.000 barils de pétrole et entre 80 millions et 85 millions de pieds cubes (environ 2,5 millions de mètres cubes) de gaz.
Aujourd'hui la Côte d'Ivoire produit un peu moins de 35.000 barils de pétrole par jour, un chiffre insuffisant pour sa consommation domestique.
Plus de 80% des Ivoiriens et des Ivoiriennes vivent de petits boulots. Et cela cache de fait un sous-emploi chronique - Séraphin Prao, économiste
"Des secteurs comme le BPP, la finance, ont également pris le relais", souligne Émilie Laffiteau, économiste. Le pays est l'un des pays les plus jeunes au monde. L'âge médian dépasse à peine 20 ans. Le pays connait une forte croissance démographique. Le taux de chômage officiel de 5% reste un des plus bas de l'Afrique de l'Ouest.

Des dockers sur le port d'Abidjan. Abidjan est devenu un des principaux ports d'Afrique de l'Ouest. (AP Photo/Emanuel Ekra)
Mais cette croissance est-elle inclusive? Peut-elle suffisamment offrir d'emplois aux jeunes ivoiriens? "Non", selon Séraphin Prao, économiste à l'université d'Alassane Ouattara de Bouaké. "Les chiffres macro-économiques sont bons. Il faut avoir l'honnêteté de le dire. Maintenant les autorités n'ont pas réussi à transformer cette croissance en croissance partagée", explique-t-il.
"Il y a des vrais disparités régionales"
"L'espérance de vie en Côte d'Ivoire ne dépasse pas celle du Ghana. Le taux de pauvreté a baissé à Abidjan. Il est de 22% dans la capitale économique. Dans les zones rurales, il dépasse en moyenne les 55%. Et puis surtout il y a le maintien de l'emploi informel. Plus de 80 des Ivoiriens et des Ivoiriennes vivent de petits boulots. Et cela cache de fait un sous-emploi chronique", estime l'agrégé d'économie interrogé par TV5MONDE.
Émilie Laffiteau, économiste, abonde dans le même sens. "Toutes les régions ne bénéficient pas de la même manière de la croissance économique. Il y a des vrais disparités régionales notamment entre les régions rurales de l'est du pays et la capitale économique", explique la chercheuse.
"Certaines catégories de la population n'arrivent pas à joindre les deux bouts. C'est le cas surtout des femmes et des jeunes. L'accès aux service de base restent encore très inégal et dépend de la région où vous vivez", ajoute l'économiste. La richesse se concentre sur Abidjan. Un plus de 65% de la richesse nationale du pays est produite dans la capitale économique de la Côte d'Ivoire.
"Les gagnants de cette période sont ceux qui travaillent dans des grandes entreprises tournées vers la mondialisation. Et ce n'est pas le cas de la majorité des Ivoiriens", précise pour sa part Séraphin Prao.
C'est un signe de ces disparités. La présidence d'Alassane Ouattara a mis en place une assurance maladie universelle. Mais il faut être salarié pour en profiter. Dans le pays 80% des emplois sont encore informels. Les Ivoiriens et les Ivoiriennes qui vivent de ces emplois n'ont pas accès à des soins gratuits.
[Source: TV5Monde]